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Un statut et des conditions de travail dignes pour les travailleur.euse.s de plateformes !

Depuis 2016, il est possible de travailler pour une plateforme agrée et de percevoir des revenus faiblement imposés, pour autant qu’on ne dépasse pas la limite annuelle. C’est de cela qu’il s’agit, lorsque l’on parle de « l’économie collaborative », ou « P2P », et c’est la forme que revêt majoritairement le travail des livreurs à vélo, notamment chez Deliveroo et Ubereats, travail qui reste largement précaire.

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Les seules données disponibles (et incomplètes) sont celles du SPF  Finances qui récolte les données de particuliers qui déclarent travailler via le régime de « l’économie collaborative » (telle que nommée par la Loi De Croo de 2016). En 2017, seules 2.700 personnes déclaraient travailler dans le cadre de l’économie collaborative en Belgique, en 2020 elles étaient 24.300, particulièrement concentrée dans les zones urbaines comme en Région Bruxelloise.

Ce développement des plateformes constitue la poursuite formelle de la libéralisation de l’économie contemporaine. En fait, nous avons autant à faire au résultat qu’à l’outil de la transformation du droit du travail. Car ces modèles cherchent à répondre aux prétendues « problématiques » de l’économie, en proposant plus de « flexibilité » (souplesse organisationnelle, adaptation organique à la demande, contrat précaire), notamment via l’usage d’algorithmes dont nous ignorons la teneur (et les éventuelles discriminations qui pourraient leur être constitutif). Ce travail flexible permet, de surcroît, d’investir sur des segments de services encore peu exploités, car plus difficilement compatible avec le travail salarié traditionnel. 

Certes, il y a une grande diversité de plateformes ; on peut imaginer que certaines travaillent légitimement avec des prestataires sous statut indépendant (parce qu’elles leur laissent l’autonomie d’un indépendant), mais d’autres subordonnent clairement leurs travailleurs sans leur donner de contrat de travail, et donc en les cantonnant dans une situation de « fausse indépendance », qui ne leur permet pas d’accéder aux droits des travailleurs qu’ils sont.

Tous ces arguments économiques conduisent certaines plateformes (dont pricipalement Deliveroo et Ubereats) à remettre en cause le code du travail, notamment via des pseudo-statuts qui excluent les travailleurs et les travailleuses de la sécurité sociale. Les récents « Uber files » montrent bien comment ces entreprises n’ont pas hésité à s’imposer par tous les moyens, quitte à être dans l’illégalité pendant un temps pour « forcer la main » du législateur (qu’ils n’ont pas eu beaucoup à forcer, trouvant bien sûr de nombreux alliés dans les gouvernements). Ce dont il s’agit, ce n’est ni plus ni moins que l’établissement d’une nouvelle organisation du travail, qui répondrait aux exigences de l’époque et vis-à-vis de laquelle le droit du travail ne serait pas adapté.

Les organisations constitutives du MOC ne peuvent que s’opposer à ce modèle qui détruit la sécurité sociale, appauvrit les travailleurs et anéantit leurs capacités à s’organiser pour défendre leurs intérêts.

D’autres entreprises de livraisons de repas (comme TakeAway par exemple) montrent bien qu’il est possible d’assurer ce genre de services, avec la flexibilité qu’il impose, dans le cadre du statut de salarié, intérimaire en l’occurrence pour TakeAway –statut qui, loin d’être la panacée, ouvre tout de même l’accès à certains droits. Par exemple, il y aura cette année des élections sociales chez TakeAway, ce qui ouvre la possibilité d’une réelle concertation sociale dans cette entreprise.

En 2022, le ministre Dermagne a émis un projet de loi, inspiré du projet de directive européenne, et qui a fait l’objet d’un compromis gouvernemental et d’un vote du Parlement : le chapitre IV (économie de plateforme) de la loi « deal pour l’emploi » du 3/10/2022.

Cette loi comporte 2 volets :

  • Une présomption de salariat pour les travailleurs de certaines plateformes.  Cette présomption est en vigueur depuis le 1/1/2023[1].
  • Une obligation d’assurer en « accidents du travail » les prestataires indépendants qui travaillent pour une plateforme donneuse d’ordre.  Mais ce volet n’est pas encore en vigueur car il nécessite un arrêté royal qui précise les modalités de cette assurance.

Bien que le volet 1 (présomption de salariat) soit en vigueur depuis le 1/1/2023, aucune plateforme n’a, depuis, déclaré ses travailleurs. Suite à nos sollicitations, puis de nouveaux lors de notre passage en commission relations de travail (CRT), Deliveroo comme Ubereats ont répondu ne pas être concernée par cette loi, sans qu’aucune autorité ne les y contraigne.

Nous sommes donc, depuis janvier 2023, dans une situation aberrante où, malgré la loi, les travailleurs se voient privés de leurs droits (tant droit du travail que droits sociaux), ce qui crée une situation très problématique. Non seulement cela pourrait démontrer l’impuissance d’un gouvernement s’il ne parvient pas à faire respecter la loi prise, mais, en outre, cela crée une situation juridique absurde, les travailleurs concernés pouvant légitimement demander des droits sociaux (par exemple de pension ou l’ouverture de leurs droits au chômage) pour leurs prestations depuis le 1/1/2023, ce qui pose problème si l’ONSS ne collecte pas les cotisations dues auprès des plateformes concernées.

Grâce à la mobilisation de United Freelancers, de la CSC Transcom et de la Maison des Livreurs qui se battent depuis maintenant 7 ans avec le Collectif des Coursiers et les livreurs de plateforme, et ce à tous les niveaux (judiciaire, national, européen), nous avons enfin obtenu, en décembre 2023, un arrêt favorable de la Cour du Travail de Bruxelles dans l’affaire Deliveroo. Le tribunal a en effet décidé que la plateforme n’est PAS dans les conditions légales pour appliquer à ses livreurs le régime de l’économie collaborative (P2P – loi De Croo) et que les livreurs de Deliveroo doivent être déclarés comme des travailleurs salariés.  La plateforme doit donc payer les cotisations sociales leur donnant les droits sociaux et les lois du travail ainsi que les conventions collectives du secteur 140.03 doivent leur être appliquées. Cet arrêt rend justice aux livreurs, qui dorénavant peuvent réclamer les droits sociaux et les droits du travail qui s’appliquent à tous les autres travailleurs, à commencer par une rémunération correcte, un droit aux congés-payés et à leur salaire en cas de maladie, la couverture prévue par la loi en cas d’accident du travail, la négociation collective, etc.

Bien sûr, le combat ne s’achève pas là, les plateformes concernées chercheront certainement encore de nouvelles échappatoires. Il revient aux travailleur.euse.s et à leurs organisations de maintenir la pression. Mais il est aussi de la responsabilité du SPF emploi et le SPF affaires sociales de faire appliquer la loi et les décisions de justice. Que mettra-t-on en place pour octroyer leurs droits sociaux aux travailleurs concernés, avec effet rétroactif ? Permettra-t-on aux travailleur.euse.s sans papiers actif.ve.s dans ce secteur d’accéder enfin au travail légal pour bénéficier des mêmes droits que leurs collègues ?  

Pour le MOC, les revendications sont claires :

  • Les travailleurs doivent être reconnus sous le statut adéquat :
  • Le statut de l’économie collaborative n’est en aucun cas adapté aux services de livraisons à vélo, son usage par les plateformes de livraison doit donc être prohibé.
  • Aucun troisième statut n’est pour nous envisageable ; soit les plateformes modifient leur organisation du travail pour une véritable Indépendance des travailleurs, soit les livreurs doivent être salariés, conformément à la loi en vigueur.
  • Actuellement, beaucoup de travailleur.euse.s sans papiers n’ont d’autre choix que de se tourner vers ce secteur qui leur permet d’accéder à un emploi non déclaré étant donné qu’ils n’ont pas accès au travail légal. Il est indispensable de permettre aux travailleur.euse.s sans papiers d’accéder au travail légal, notamment via des critères clairs et permanents de régularisation qui leur donnent droit au séjour (compétences fédérales) et, à tout le moins, via un assouplissement des conditions d’octroi du permis unique (compétences régionales), pour qu’iels puissent eux aussi bénéficier du statut que nous revendiquons dans le secteur de la livraison.
  • La rémunération des travailleurs doit être décente: dans le cas où les livreurs deviennent de véritables indépendants, nous demandons l’extension de la loi sur le bien-être et une meilleure rémunération (de l’ordre de 18 euros de l’heure, hors TVA). La commission paritaire adaptée pour les livreurs salariés est la 140.3, parce que leur activité consiste bien à faire du transport pour compte de tiers.
  • Nous demandons également la transparence des algorithmes, quel que soit le statut du livreur. Notamment, les travailleurs ont le droit de connaître quel sont les critères qui déterminent la priorité en termes de répartition du travail.
  • Les livreurs se déplacent à Bruxelles en vélo. Pour ces dernier, comme pour tou.te.s les autres cyclistes, il est nécessaire d’adapter et de sécuriser les voieries bruxelloises pour favoriser une mobilité douce en toute sécurité.

Venez en discuter ce mardi 27 février, dès 18h, au n°4, rue d’Anderlecht, avec

  • la projection du film “Livrer bataille” (ZinTV, 2022)
  • Abdellah Ed-darham, Amine Van Bever et Abdestar Techachi, livreurs à Bruxelles
  • Maxime Kouvaras, réalisateur de “Livrer bataille” (Zin TV)
  • Martin Willems, permanent United Freelancers (CSC)
  • Un.e chercheur.euse militant.e impliqué.e dans l’enquête ouvrière comme moyen de conscientisation
  • avec la Maison des livreurs
  • Un.e représentant.e de la coopérative Urbike

[1] Cette présomption a été ajoutée dans la loi du 27 décembre 2006 sur la nature de la relation de travail.  Voir article 337/3 de la loi : http://www.ejustice.just.fgov.be/cgi_loi/change_lg.pl?language=fr&la=F&cn=2006122730&table_name=loi

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