7. Europe sociale

Un New Deal pour une Europe sociale et équitable

Karin Debroey
CSC Service des Relation Internationales et européennes

Les observateurs considèrent les élections européennes du 26 mai 2019 comme les plus importantes depuis les premières élections directes du Parlement Européen en 1979, certains parlent même ‘des élections de la dernière chance’. On craint toutefois un taux de participation historiquement faible, alors que les partis extrêmes obtiendront des résultats inégaux. Guy Verhofstadt, Donald Tusk, Jean Claude Juncker et Emmanuel Macron lancent dans les journaux des appels solennels aux citoyens.

Mais comment les travailleurs peuvent-ils donc être convaincus de la plus-value et de l’utilité de l’Europe et de l’Union Européenne ? Comment la confiance en Europe et la crédibilité de l’Europe peuvent-elles être rétablies ?

Pour nous, syndicalistes, la réponse est sans équivoque : les travailleurs attendent que l’Europe et l’UE leur offrent la protection. Une protection de nos jobs, de nos salaires et revenus et une protection sociale. Le Triple A pour une Europe sociale que le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker nous a promis doit pour nous se traduire dans un Triple R : Rights (Droits en français), règles et résultats pour une Europe sociale.

La protection sociale et un travail décent avec un salaire décent sont des droits qui nous sont garantis par les conventions internationales de l’Organisation Internationale du Travail ainsi que par le droit européen, ancré dans le Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne.

La proclamation du Socle Européen des Droits Sociaux par la Commission Juncker de 2017, est un ensemble de 20 principes ou droits sociaux des citoyens européens, groupés autour de 3 thèmes : l’égalité de chances et l’accès au marché du travail, les conditions de travail équitables, et la protection et l’insertion sociales. Bien qu’elle ne soit pas un instrument normatif et contraignant, elle a été favorablement accueillie par les travailleurs parce que ce document politique d’orientation offre bien des perspectives pour la Commission Européenne  actuelle et surtout la prochaine, en vue de la concrétisation d’une véritable Europe sociale, dans laquelle les droits sociaux priment. L’objectif prioritaire pour la prochaine commission est pour nous l’intégration d’un protocole de progrès social dans les traités européens afin de consacrer la primauté des droits sociaux et des droits fondamentaux sur les libertés économiques. Mais il faudra également continuer les efforts déjà entamés dès 2017 pour des initiatives législatives permettant de concrétiser le socle des droits sociaux dans des règles ou lois contraignantes. Cela passera par l’appréciation et bilan du travail décent et la protection sociale dans les états membres de l’UE et dès lors l’identification des repères et des normes pour leur convergence vers le haut.

Pour les travailleurs, la priorité est à une norme sous forme de directive sur les régimes de revenu minimum pour combattre la pauvreté et sur le salaire minimum, afin d’asseoir un socle minimum salarial européen pour une formation salariale plus équitable à travers l’Europe. Une norme d’importance égale, sous forme de directive cadre pour la promotion des négociations collectives et du dialogue social, sera la meilleure garantie dans la durée d’une convergence des salaires et de la sécurité sociale (comme salaire collectif postposé) entre l’Europe de l’Ouest et l’Europe de l’Est, et donc la meilleure arme contre le dumping social. La couverture des travailleurs par des conventions collectives dans certaines parties de l’Europe et notamment en Europe de l’Est est devenu très basse, à peine 25% ou moins, constituant ainsi un facteur primordial des bas salaires et de la faible sécurité sociale en Europe de l’Est…

Ce sont souvent les pays les plus riches de l’UE qui s’opposent à des normes contraignantes en matière sociale, étant donné qu’ils craignent une convergence vers le bas et pas vers le haut… Mais comme les modèles sociaux dans les états membres en Europe de l’Ouest se détricotent de plus en plus – et ceci même dans les pays nordiques –, les normes européennes peuvent de plus en plus offrir des bénéfices aux citoyens dans ces pays. Prenons le cas de la Belgique. La directive sur l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée, qui vient d’être votée au Parlement européen, signifie que les travailleurs intérimaires belges pourront accéder à un congé parental… Par la directive « déclaration écrite » qui vient également d’être adoptée, les travailleurs à temps partiel avec un horaire variable auront désormais droit à une compensation lorsque l’employeur retire tardivement un horaire planifié.

Il nous faudra également des résultats et objectifs sociaux plus concrets, plus mesurables et surtout plus contraignants sur le plan européen. Les indicateurs sociaux sous l’angle des 17 objectifs du développement durable doivent être intégrés dans le Semestre européen et doivent avoir le même poids en termes de contrainte et de sanction possible sur les états membres, que les indicateurs économiques et financiers. Nous avons besoin d’objectifs et de résultats sociaux ambitieux mais atteignables et réalistes, avec la volonté politique nécessaire. Réduisons de moitié la pauvreté en UE d’ici 2030. Mais prônons des objectifs intermédiaires pour 2023, parce que rien n’est plus facile pour les politiciens que de passer la facture au gouvernement suivant…

Pour atteindre des résultats sociaux, il faudra des ressources financières adéquates. Ceci requerra une gouvernance économique, une politique budgétaire et une politique fiscale européennes qui donneront aux états membres l’espace pour investir dans l’emploi durable et la croissance durable.

L’UE a été pendant bientôt 70 ans la base de paix et de développement économique en Europe et dès lors un projet social bénéfique pour les travailleurs. Pendant longtemps, l’harmonisation de nos politiques sociales était considérée comme n’étant pas utile, ni nécessaire, ni faisable ni même souhaitable. On supposait que la croissance économique générée par le marché unique serait traduite en bien-être social par les modèles fondés sur la concertation sociale et la sécurité sociale dans les états membres. Mais depuis les années 1980 et 1990, la donne a changé. Avec l’extension, l’UE est devenue plus large et plus hétérogène. Nous sommes dès lors dans l’ère de la globalisation avec l’émergence des problèmes ou défis globaux, non gérables au plan national, comme le changement climatique et la migration. Et surtout nous sommes maintenant dans l’Union Européenne Monétaire, qui rend impossible pour les états membres de redresser les déséquilibres économiques par une dévaluation monétaire. L’UME réduit les moyens d’action des états membres à des dévaluations internes, comprenons : des réductions des dépenses publiques, et donc des dépenses sociales. C’est pourquoi nous avons besoin des politiques / des systèmes / des normes / des résultats et objectifs et des règles sociales.

Des droits sociaux, des résultats sociaux, des règles sociales. Pour la protection des travailleurs. Un New deal pour une Europe équitable et sociale.

 

 

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