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Un été victorieux pour les pompiers bruxellois

Par P.
Pompier bruxellois
interview réalisé par Pietro Tosi,
MOC Bruxelles

 

En juin dernier on a vu sur Bruxelles beaucoup de mobilisation dans le secteur public y compris parmi les pompiers. Pablo, tu travailles justement dans ce secteur : quel était le contexte spécifique qui a qui déclenché cette lutte ?

P : Le manque d’investissement dans les services publics à Bruxelles, y compris chez les pompiers, est énorme. On a des casernes qui tombent littéralement en ruine.  Des pièces abandonnées, des toits qui fuient, le chauffage qui ne marche pas, des fenêtres cassées, des douches qui ne fonctionnent pas en hiver et des toilettes qui ne fonctionnent pas correctement ! Ces infrastructures ne sont pas adaptées pour un service digne de la sécurité des tou.te.s les bruxellois.e.s. Même les nouvelles infrastructures sont déjà dépassées. La maintenance ne suit pas. Toute une série de services ne fonctionnent pas, les factures d’internet ne sont pas payées ou payées retard. Ça crée une énorme frustration parmi les collègues qui voudraient bien accomplir leur mission de service public correctement mais voient que les moyens ne suivent pas, ce qui les empêche de faire correctement leur travail.

Quelle a été la goutte qui a fait déborder le vase ?

Nous sommes descendus dans la rue suite à une proposition de loi passée en première lecture au gouvernement bruxellois et élaborée par notre secrétaire d’État, Cécile Jodogne (Défi). Celle-ci voulait faire basculer nos systèmes de primes de garde vers le système fédéral de primes d’opérationnalité afin de ne pas payer d’impôt à l’ONSS. Cela impactait notre salaire en général et diminuait le montant des primes de nos équipes spéciales (les grimpeurs, intervenants chimiques et plongeurs). Enfin cette prime d’opérationnalité menaçait notre horaire de travail 24h/72h (horaire de travail qui est le meilleur pour une bonne récupération d’heures entre 2 gardes).

Comment avez-vous réagi suite à cette mesure ?

Les délégations syndicales ont immédiatement produit un document pour alerter tout le personnel sur cette loi et elles ont repris la proposition de collègues d’organiser des petites actions devant les bureaux de négociation dans le but de commencer à établir un rapport de force. Nous avons donc lancé l’idée de « comités d’accueil » durant les trois jours des premières négociations. On organisait cela avec une trentaine de collègues. À la première action on se retrouve à 300 travailleurs. Un tiers du personnel en repos, ce n’était pas une grève. On avait remis un préavis de grève mais juste pour les instructeurs et pour ceux qui étaient en formation. La majorité des participant.e.s ont donc participé en prenant des jours de congé.  Une action très suivie et combative.  Une minute de silence devant la gare du métro Maelbeek en souvenir des victimes et de ceux qui sont intervenus lors de l’attentat du 22 mars 2016. Le sentiment chez beaucoup de collègues c’est que suite aux attentats, les pompiers étaient des héros, mais maintenant que le temps est passé, les politiciens oublient nos services sans aucun investissement. Les collègues voulaient de manière consciente marquer cette contradiction.

Quel type de stratégie pour construire le rapport de force ?

Deux jours plus tard, on s’attendait cette fois ci à une centaine de collègues présents. On s’est retrouvé à nouveau à 300. Un tiers du personnel régional était présent.  Ici la petite action prévue devant les négociations s’est transformé en manifestation qui a vu plus de 300 pompiers bloquer la petite ceinture.  Un groupe de gilets jaunes a rejoint le cortège en solidarité avec les pompiers. Ce jour-là, la 11ème compagnie qui était de garde se présente le matin à l’appel dans la cour à leur poste avec un t-shirt de solidarité au mouvement qui affichait le slogan « NON aux diminutions de salaire, on ne recule pas face au feu, on ne reculera pas face aux politiques ». La solidarité du personnel été énorme. A côté de ça on commençait à assister à des petites actions spontanées qui affichaient des banderoles devant les casernes avec le même slogan. Ils ont organisé des actions en étant de garde mais avec des méthodes très imaginatives comme organiser des piquets filtrants devant la caserne afin de distribuer le tract à la population, aux automobilistes, ils organisaient des stands avec distributions de café aux civils et appelaient la population à klaxonner en solidarité. Suite aux actions et aux débordements du matin les médias et particulièrement le Soir ont critiqué quelques dérapages qui s’étaient passé dans l’action.  Le jour d’après, on a sorti une lettre ouverte vers la population qui expliquait les raisons de notre mouvement en répondant aux attaques de la presse. Plusieurs journaux ont publié cela et ça a été massivement diffusé sur les réseaux sociaux. On a aussi décidé de la distribuer sous forme de tract devant les casernes pour impliquer le maximum de travailleur.se.s. On n’avait pas encore eu d’assemblée générale mais trois personnes était déjà désignées pour parler à la presse.

Comment avez-vous développé vos revendications ? Quelles étaient-elles et comment se sont passées les négociations ?

Nous avons, le matin du troisième jour de mobilisation, organisé une Assemblée Générale des pompiers à laquelle plus de 300 collègues étaient présents pour voir si nous étions tous d’accord avec les revendications minimales. Nous y avons voté à la quasi-unanimité le retrait des syndicats de la table des négociations et la constitution d’un comité de concertation. Nos premières exigences étaient : aucune diminution de salaire, maintien des primes des équipes spéciales et des engagements écrits et sérieux concernant la pérennité de notre horaire de travail. Cependant, à cela est venu se greffer une série d’autres demandes plus spécifiques. A chaque jour de négociation l’attitude de la direction était de nous présenter différentes propositions de grilles d’horaires/salaires qui étaient contradictoires l’une avec l’autre. Il n’y avait pas une attitude sérieuse de la part du ministère d’écouter vraiment les demandes des travailleurs. La frustration parmi les collègues était encore plus grande, et nous avons du coup décidé d’appeler à une assemblée générale le troisième jour de négociations, afin de décider collectivement si les syndicats devaient continuer ou stopper la négociation. Il y avait beaucoup de colère parmi les travailleurs. Avec quelques pompiers, qui étaient aux marges des organisations syndicales traditionnelles, on avait préparé cette assemblée pour donner forme à la colère qui s’exprimait fortement parmi des couches plus larges de collègues.

En quoi consiste l’idée de ce comité ? 

L’idée a été de créer un organe directement géré par les travailleur.se.s pour permettre de construire la lutte, d’élaborer les actions et d’unifier le discours ou de développer des revendications plus spécifiques. Avec un groupe de pompiers, nous avons donc soumis l’idée à l’AG d’un comité formé de représentant.e.s élu.e.s et révocables dans chaque caserne et chaque compagnie. Nous ne voulons pas remplacer les syndicats qui ont un rôle à jouer dans la négociation, mais véritablement organiser le mouvement démocratiquement. Nous devrions être 16 représentants effectifs plus 16 suppléants. Nous pensons que ce comité de concertation est une très grande avancée de notre mouvement. Pour la première fois on a fait voter les décisions prises en assemblée. L’assemblée voulait que les syndicats se retirent des négociations.  Les travailleurs voulaient garder la présence de leurs délégués en assemblée et déplacer la date des négociations prévues avec le politique.  L’institutionnel a été mis de côté au nom de la construction d’une volonté collective de tou.te.s les travailleur.se.s pour aller encore plus fort dans les négociations aussi avec les syndicats. Le but de ce comité était d’unifier l’action indépendamment des structures syndicales classiques et d’unifier la parole des collègues : aller en avant avec les mêmes revendications, avec un seul discours face aux médias et élire des portes-paroles du mouvement. La troisième assemblée devait « recadrer » les collègues sur certaines méthodes, avec quelques éléments :

  1. Hors de question de lancer des pétards vers la population ou la police, qui sont deux alliés.
  2. On ne casse pas l’immobilier urbain pour ne pas être attaquable dans l’opinion publique.
  3. On ne veut plus de voir de pompiers avec des canettes de bière.  Il fallait protéger l’image du mouvement en l’organisant mieux.

Comment s’est conclue cette bataille ?

A la fin de ces trois jours, on avait arraché l’arrêt des négociations, on avait gagné une légitimité pour le comité indépendant en collaboration avec les syndicats et le soutien du PS. C’était important.  Trois jours plus tard on apprend de la part du ministère de la fonction publique que les négociations ont été gelées, mais aussi que le projet du début a été retiré. On avait gagné ! Le sentiment dans la troupe est celui d’une victoire. On a réussi à gagner quelque chose par notre force, ça donne une confiance au collègues très importante pour recréer une cohésion parmi nous. Deuxièmement, beaucoup de collègues sont maintenant vigilants et à ne pas crier victoire tout de suite. Le gouvernement devra payer ces impôts à l’ONSS.  Les travailleur.e.s ne veulent pas juste que les impôts soient payés et que le système de prime ne soit pas revu à la baisse mais que du budget supplémentaire puisse être trouvé pour combler le manque structurel d’investissements dans le secteur. C’est très intéressant de voir comment dans le secteur Pompiers on a été capable de combiner le soutien du syndicat et des travailleurs syndiqués avec une formule plus large, l’assemblée et le comité qui permettait d’impliquer plus de monde, construire une véritable démocratie des travailleur.se.s sans rompre avec les structures syndicales classiques. De plus, cette action a donné confiance à de plus en plus de collègues qui resteront vigilants sur les prochains mouvements du gouvernement dans la prochaine législature. Avec les plus actifs on a aussi participé à l’assemblée de coordination des blouses blanches pour exprimer la solidarité de tous les pompiers aux travailleurs de la santé. On réfléchit aussi à organiser une délégation de pompiers à la grève pour le climat du 20 septembre. Un autre bel exemple de l’impact de la mobilisation sur les collègues.

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