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L’extrême-droite, les femmes et les LGBT

Par Elodie Stockman,
Jeunes CSC Bruxelles

Nul.le ne peut nier la montée de l’extrême droite en Occident, en Belgique comme ailleurs. Cette montée de l’extrême droite se traduit également par la récupération d’un certain féminisme par les partis nationalistes occidentaux et le vent néolibéral qui souffle sur toute la planète. Ce féminisme se traduit par une infantilisation de la femme racisée[1], en particulier musulmane, soumise à un diktat patriarcal dont la femme blanche aurait, réussi à s’extirper tout du moins en partie.

Tout d’abord de quoi s’agit-il ? Dans un contexte politique où l’extrême droite se renforce un peu partout en Occident, il n’est pas inutile d’expliquer ces deux concepts, travaillés par de nombreux/ses auteur.e.s. Si le fémonationalisme peut s’entendre comme étant une « mobilisation des idées féministes à des fins racistes et souvent islamophobes par les partis nationalistes et les gouvernements néolibéraux[2] », l’homonationalisme peut être décrit comme un  mouvement de récupération par les partis nationalistes dans le but de légitimer une culture LGBTQI+[3] essentiellement blanche et appartenant aux couches aisées des populations, au détriment des populations racisées et spécifiquement musulmanes.

En premier lieu, parlons du fémonationalisme, qui a été longuement exploré et développé par Sara Farris[4], assistante professeure en sociologie à l’Université de Londres et écrivaine. Cette récupération politique et stratégique se fait sans aucun accord établi entre les mouvements féministes et les différentes instances de pouvoir. Les partis nationalistes affichent des postures résolument identitaires, reliées à une « culture ethnique» spécifique qui peut être occidentale ou plus précisément belge, française, hongroise… Ces assises identitaires permettent de hiérarchiser les personnes suivant leur couleur de peau, leur religion, leur origine. Nous parlons ici d’une catégorisation où l’homme blanc tient la place haute, toujours, au détriment des hommes racisés, présentés comme l’incarnation de la misogynie et du patriarcat. Ces hommes racisés sont le m(â)l(e) incarné, l’homme blanc le sauveur des pauvres femmes soumises.

D’une part, l’islamophobie ambiante (et fortement renforcée depuis le 11 septembre 2001) permet de diaboliser toute une population. Le féminisme est ici présenté comme une manière de sauver les femmes musulmanes, en leur imposant de « se libérer » dans une conception très univoque du sens de ce mot. En effet, le fémonationalisme ne considère pas qu’une femme musulmane puisse avoir sa propre réflexion et ses propres choix concernant sa manière de s’habiller ou de réfléchir. Celle-ci est présentée comme nécessairement « soumise », « silencieuse » et « malheureuse ». Son seul salut résiderait dans l’intégration des valeurs présentées comme « occidentales » (rejet du port du voile et dévoilement du corps).

En plus de l’infantilisation et du paternalisme, cette approche fait du corps des femmes une marchandise qui doit impérativement être visible. Obliger les femmes à se dévoiler, à afficher leur corps, fait de nous des produits à consommer, à regarder, à s’approprier. Les femmes musulmanes sont sommées d’intégrer qu’en Occident, il est de bon ton de marcher léger. Cette vision très limitée de la liberté sexuelle est alors insidieusement détournée contre les femmes, les obligeant à  suivre une seule manière d’être « libérée ».

Ce discours idéologique du fémonationalisme ne peut se comprendre si on n’y ajoute pas une analyse de l’ethnostratification du marché du travail, autrement dit la répartition des emplois selon le genre et la « race sociale » (ou l’origine, voire la culture présumée) dans nos sociétés. Aujourd’hui en Occident, il est primordial de se rendre compte que les postes les plus importants sont  majoritairement occupés par des hommes, relativement âgés et blancs. Tout au bout de cette chaîne, nous retrouverons les femmes racisées et sans-papiers. Entre les deux, nous aurons les femmes migrantes avec un statut précaire, les femmes avec papiers racisées, les femmes blanches avec un statut précaire ou pas. Cela s’accompagne d’une répartition genrée des différents secteurs : les femmes sont extrêmement majoritaires dans les secteurs domestique et du « care » (du soin à la personne comme les infirmières, les nounous, par exemple), tâches qu’elles endossent déjà très majoritairement à la maison. Ces travailleuses, principalement racisées et migrantes, constituent une réserve de main d’œuvre indispensable au capitalisme néolibéral, pour des secteurs où le travail n’est pas délocalisable ni mécanisable : nous n’allons pas faire garder nos enfants en Chine, ni nous faire soigner au Canada et on ne remplace pas encore une nounou ou une infirmière par un robot. Le fémonationalisme considère ces femmes comme ayant une utilité particulière, à l’inverse des hommes sans-papiers, pourchassés dans le secteur de la construction ou de l’HORECA par la police, parce qu’ils sont remplaçables par des travailleurs « nationaux ».

En second lieu, l’homonationalisme permet d’asseoir l’impérialisme occidental au détriment de la population racisée et spécifiquement musulmane LGBTQI+, en dressant le portrait d’un monde LGBTQI comme l’apanage des populations riches, blanches dans leur grande majorité, dont le modèle de vie se calque sur la norme hétéro de la famille nucléaire. Ainsi, le mariage pour toutes les personnes se revendiquant homosexuelles permet de consolider le mariage comme modèle de reproduction sociale, sans remettre en cause en profondeur le modèle dominant, et sans non plus offrir de réponse aux membres de la communauté LGBTQI qui subissent la répression, la violence et la pauvreté au quotidien, dans la famille, au travail ou dans l’espace public. Les migrant.e.s LGBTQI ou les personnes qui ne souhaitent pas se conformer à la norme dominante (queer, non-binaires, trans, etc.), entre autres exemples, restent marginalisées. Cela permet cependant d’écarter les populations racisées et musulmanes de ce modèle, en les assimilant à des « populations homophobes » par essence. Jasbir Puar[5] montre ainsi qu’il s’agit de légitimer la colonisation des pays du Sud par l’Occident, voire des actes de torture sur ces populations, en prenant pour prétexte que ces pays sont de toutes façons des endroits « barbares » où les droits des personnes LGTBQI+ n’existent pas. Les personnes ainsi criminalisées finissant parfois elles-mêmes par se convaincre de leur homophobie face à des droits LGBTQI perçus comme justification d’une politique de guerre et d’invasion.

Les exemples d’instrumentalisation des populations LGBTQI+ sont  nombreux : le pinkwashing, couplé à l’islamophobie en Israël  (où les personnes gays et lesbiennes sont représentées comme des modèles de consommation, issus des milieux aisés, frivoles), à la présence de la N-VA dans la Pride en Belgique en mai dernier, la nomination de Zuhail Demir (figure d’origine kurde de la N-VA) au poste de secrétaire d’Etat à l’égalité des chances et qui est la première à dénoncer le trop plein d’étrangers en Belgique. Plus proche de nous également, à Bruxelles, l’interdiction pour des femmes musulmanes de porter le foulard dans différentes administrations ainsi que dans les écoles témoignent d’une insidieuse contamination du fémonationalisme, y compris dans des milieux dits « de gauche ».

Ces différentes mouvements politiques ont pour conséquence d’invisibiliser complètement les populations musulmanes et racisées des luttes des milieux queer et féministes, ainsi que de lutter contre le militantisme féministe inclusif et pro-choix, et de jeter les opprimé.e.s les un.e.s contre les autres au nom d’une « civilisation » prétendument supérieure. Autrement dit, les mouvements féministes et LGBTQI font face à un danger réel de récupération et d’embrigadement par des Etats et un système politique et économique qui n’ont rien d’émancipateurs. A l’heure où l’extrême-droite ressurgit partout, il est plus que jamais nécessaire de faire connaître la critique sociale de l’homonationalisme et du fémonationalisme dans nos organisations et collectifs, et de donner place, visibilité et parole aux personnes concernées au premier degré, notamment les femmes et personnes LGBTQI racisé.e.s. L’heure est moins que jamais à la division mais à l’unité des mouvements sociaux et de gauche sur des bases résolument anticapitalistes,  anti-sexistes, antiracistes et inclusives de toutes les identités.

 

 

 

 

[1] racisé.e = personne non blanche

[2] WIKTIONARY. Fémonationalisme, https://fr.wiktionary.org/wiki/fémonationalisme

[3] (Lesbiennes, Gays, Bi, Trans, Queer, Intersexe)

[4] S. Farris, « Les fondements politico-économiques du fémonationalisme », https://www.contretemps.eu/les-fondements-politico-economiques-du-femonationalisme/

[5] G. REBUCINI, « Homonationalisme et impérialisme sexuel : politiques libérales de l’hégémonie. » https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2013-1-page-75.htm

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