Alarm 1

Le Group Alarm

Entretien avec Aurélia Van Gucht,
Travailleuse sociale à la Maison de Quartier Bonnevie à Molenbeek

Le groupe ALARM a été créé en 2001. Depuis cette année-là, il réunit des personnes qui connaissent des difficultés de logement. Au niveau local, les membres de ce groupe ont mené de nombreuses actions et ont influencé la réalité de la politique du logement. A un autre échelon, ils ont aussi réalisé et joué dans un film de fiction intitulé : « Le Parti du rêve du logement ». Aurélia Van Gucht nous en dit un peu plus.

Est-ce que tu peux nous expliquer le contexte dans lequel le groupe ALARM a commencé ?

Aurélia Van Gucht (AVG) : En 2001, j’ai commencé à travailler à la permanence logement de la Maison de quartier Bonnevie. Elle s’adresse à des gens du quartier qui ont des difficultés de logement. Au bout de quelques mois, je me suis rendu compte que le logement est une question collective, même si les gens la vivent avant tout de manière individuelle. Je ne voulais pas rester impuissante face à des situations pour lesquelles on n’avait pas de solution. Je pensais aussi que la parole de ces personnes qui rencontraient des difficultés de logement restait trop confinée dans le bureau de l’assistante sociale. On a donc commencé un travail de groupe. Et on a proposé à six familles du quartier – ce sont souvent elles qui ont le plus de difficultés – de se réunir pour voir ce qui, à leurs yeux, représentait les obstacles majeurs à leur accès à un logement décent et financièrement accessible. Le groupe s’est d’abord et avant tout choisi un nom (une identité) : ALARM ou Action pour le Logement Accessible aux Réfugiés à Molenbeek. Même si très vite le groupe n’était plus uniquement composé de réfugiés et qu’il est devenu un groupe réunissant des personnes de statuts différents, le nom de départ (ALARM) est resté.

Leur première préoccupation concernait la discrimination au logement sur base de l’origine. Nous avons alors fait appel au Centre pour l’Egalité des Chances pour organiser un testing – autrement dit, un test de discrimination. Les membres du groupe ALARM dont le nom et l’accent étaient à consonances étrangères ont choisi une série de petites annonces dans Le Vlan. Le testing consistait à téléphoner aux propriétaires de ces logements pour en obtenir une visite. Une heure après, des personnes au nom et à l’accent à consonances belges téléphonaient eux aussi aux mêmes propriétaires avec la même demande. Dans 58% des cas, les réponses ont été différentes ! A l’occasion d’une conférence de presse, les membres du groupe ALARM ont ensuite présenté les résultats de ce testing. La presse écrite, la radio et la télévision ont répondu présent. Des journalistes nous ont même contactés pendant trois mois.

Ça a été un moment fort qui a soudé le groupe et au niveau individuel, cet évènement qui dénonçait les discriminations rencontrées dans la recherche d’un logement a renforcé l’estime de soi et la confiance en soi des participants. Et puis, petit à petit, on a continué à explorer les thématiques qui les intéressaient, comme celles qui consistent à se demander pourquoi il n’y a presque pas de grands logements sociaux pour les familles nombreuses ou pourquoi les garanties locatives morales accordées par le CPAS ne fonctionnent pas ? Progressivement, ça a amené les membres du groupe ALARM à une prise de conscience politique et à constater que : « La politique du logement à Bruxelles ne répond pas aux besoins des plus pauvres. » Et ensuite, à s’interroger : « Qu’est-ce qu’on peut faire pour dénoncer ça ? »

En 2005, si mon souvenir est exact, pour la Journée internationale du refus de la misère qui tombe chaque année le 17 octobre, on a réalisé une intervention théâtrale de dix minutes sur le thème : « Le logement que j’occupe, le logement dont je rêve. » Ce fut une expérience forte qui, elle aussi, a permis de renforcer la confiance des membres du groupe, en particulier dans leur capacité à prendre la parole en public afin de dénoncer les difficultés qu’ils rencontrent dans le domaine du logement. Du coup, on s’est mis à faire des choses en lien avec les actions du RBDH (Rassemblement Bruxellois pour le Droit à l’Habitat) et avec les revendications de Bonnevie.

Depuis l’an 2000, à chaque élection communale, la Maison de quartier Bonnevie et l’asbl « La Rue » rédigent ensemble un Mémorandum pour le Droit au Logement à Molenbeek. En 2012, les membres du groupe ALARM ont pris la parole pour introduire le débat auquel nous avions invité les candidats aux élections. Ils ont présenté ce qu’ils feraient s’ils devenaient bourgmestre. Le cinéaste Peter Snowdon en a fait un clip intitulé : « Moi, si j’étais bourgmestre » (visible sur YouTube[1]). C’est de cette collaboration cinématographique qu’est né le film «  Le Parti du rêve du logement »[2].

Juste après les élections de 2014, pour essayer d’avoir une influence sur l’accord de gouvernement, les membres du groupe ALARM ont décidé de créer leur propre parti : le parti du rêve du logement. Ils ont créé un programme et l’ont présenté à l’occasion d’une journée d’action du Rassemblement Bruxellois pour le Droit à l’Habitat. Même si nous parlons de choses sérieuses, les actions, menées par le groupe ALARM, présentent toujours un aspect ludique ou décalé. A l’occasion des projections du film, on observe que les publics s’identifient beaucoup aux personnages et aux histoires contées. Le film est également un outil qui réveille certaines consciences. Le film a déjà été présenté plus de 40 fois non seulement chez nous mais aussi dans des festivals à l’étranger. Aujourd’hui, le film est devenu la carte d’identité du groupe ALARM.

Comment est-ce que vous avez choisi les participants ? Quels sont les ingrédients pour construire un groupe ?

AVG (ALARM) : Il s’agissait de personnes dont j’assurais le suivi individuel et pour lesquelles on avait peu ou on n’avait pas de solutions à offrir. Mais je ne voulais pas rester seule face à cette impuissance et il me semblait important de réunir toutes ces personnes qui vivaient des situations similaires pour qu’elles puissent partager leurs expériences et en tirer des conclusions. Je pense en particulier à une dame qui répétait : « Je ne suis pas contente. Je ne suis pas contente. Je ne suis pas contente. » Le fait d’avoir été dans une relation d’aide et, ensuite, d’être passé progressivement de l’entretien individuel à un travail collectif leur donnait confiance. Je leur disais : « La politique du logement, ce n’est pas contre vous, mais c’est quelque chose qui est mené par une grosse machine. Ce n’est pas la priorité du politique (pour l’instant). Donc, là où on est, qu’est-ce que nous pouvons faire pour faire changer les choses ? »

Tous les personnes qui passent dans cette permanence ne sont pas prêtes à s’engager dans un groupe comme ALARM et je pense que, ça aussi, ça se construit. Ce qui compte avant tout à mes yeux, c’est de prendre le temps, prendre le temps d’apprendre à se connaître et de construire la confiance. Pour y arriver, il est important de rencontrer les gens là où ils se trouvent vraiment. On part alors de leurs propres questions, de leur vécu. Soit ce sont les membres du groupe qui ont déjà acquis certaines connaissances qui peuvent alors donner des réponses, soit c’est moi qui le fais.

Quant à la composition du groupe, il n’y a pas un profil bien particulier. On a des hommes et des femmes de tous âges, des chrétiens, des musulmans… Le groupe s’est construit à partir de la question du logement et donc les membres ont appris à se connaître autour de cette question. Du coup, la question des origines, de la religion, etc. ne se pose plus vraiment parce qu’ils ont déjà appris à se connaître autour de celle du logement.

Où vois-tu la force du groupe ? Comment le groupe construit-il à partir de son propre pouvoir celui des gens qui sont à l’intérieur ?

AVG (ALARM) : Je pense que c’est parce qu’on est peu dans le discours, peu dans le blabla. L’idée centrale, c’est de FAIRE. On a mené des actions, on a participé à la création du ministère de la crise du logement, on a fait du théâtre et on a fait un film. Les membres du groupe ALARM deviennent acteurs de changement. « On n’est pas d’accord, on veut que ça change. » Tout ce travail a développé leur capacité à se mettre en récit et à prendre de la distance par rapport à leur propre histoire. C’est un moyen parmi d’autres pour eux de sortir d’une position de victime et de pouvoir dire : « Je peux, là où je suis, faire quelque chose. » Même si au bout du compte, il n’y a pas de garanties, ils auront toujours le sentiment d’avoir agi pour transformer les choses.

Et de ton point de vue, c’est une expérience qui est reproductible ?

AVG (ALARM) : Tout à fait. Si on a beaucoup d’énergie, de patience, d’indignation et de créativité aussi. Et surtout si on part des questions que les gens se posent et des choses qui les préoccupent. Le logement, c’est vraiment quelque chose qui préoccupe les gens. Petit à petit, on fait de l’éducation permanente. Et puis après, il s’agit de leur permettre de se positionner et de les faire rencontrer la Ministre du logement par exemple. C’est aussi une question de saisir les opportunités qui se présentent en fonction de l’actualité politique et en fonction des actions menées par le réseau des associations. Quand j’ai commencé, je n’ai jamais imaginé qu’un jour nous réaliserions un film.

Est-ce que tu ne penses pas qu’on arrive souvent à faire des choses à l’échelle locale, mais qu’on ne parvient pas à imposer à un moment donné des changements structurels ?

AVG (ALARM) : Je pense qu’on a obtenu des choses importantes. On a obtenu des logements de transit, un conseil consultatif du logement, la représentation des associations dans le comité d’attribution de logements communaux, un règlement d’attribution des logements communaux transparent, donc on a obtenu des choses. On n’a pas obtenu une politique régionale du logement telle qu’on la voudrait. Il y a donc des limites à ce niveau, mais pour moi, ces revendications-là sont relayées par des coupoles comme le RBDH ou la FEBUL (Fédération Bruxelloise de l’Union pour le Logement).

Quelles leçons penses-tu pouvoir tirer de votre expérience ?

AVG (ALARM) : « Travailler avec les gens ». On ne peut pas se contenter d’être dans l’aide individuelle. C’est important, mais ça ne suffit pas. Mon moteur, ça a été ma propre impuissance et de me dire : « Voilà, moi, je fais des rapports annuels, je les envoie à la ministre, etc. Mais rien ne bouge. Toute seule, je ne vais pas y arriver. » En fait, il faut les deux : avoir l’expertise, une vraie expertise de qualité et entendre ce qui préoccupe les gens, ce à quoi ils veulent réfléchir, puis faire le lien entre les deux.

On a l’impression que c’est le passage de l’articulation entre l’individuel et le collectif qui est la clef dans ton histoire.

AVG (ALARM) : J’étais en première ligne, donc je recevais les histoires. L’essentiel est d’arriver à convertir ça. Et je pense que c’est là qu’il manque des échanges. Le travail collectif fait peur à beaucoup de gens. On n’est pas formé à ça, alors j’ai appris sur le tas, à partir des opportunités, des demandes des gens et du temps que j’avais. Tu vois, à l’heure actuelle, on répond à des appels à projets. Si tu reçois une subvention, tu dois faire un rapport de ton projet à mi-parcours et puis tout doit être dépensé à telle date. Ça n’a pas beaucoup de sens pour un projet comme ALARM, ça n’a pas de sens parce que ça se construit justement en fonction de ce qui existe et vit dans le groupe. Ce travail est un processus vivant qui se construit dans le temps.

Je pense que tu as répondu aux questions que je voulais te poser. Est-ce que toi tu as quelque chose à ajouter ?

AVG (ALARM) : Oui. Continuer à diffuser le film, le faire voir, car il illustre bien le message : « Ensemble, on est plus fort. » C’est un peu simple, mais c’est quand même ça : le travail collectif crée des solidarités. Mon rêve est que le groupe ALARM inspire d’autres travailleurs sociaux et d’autres personnes qui éprouvent des difficultés afin qu’ils développent leurs propres imaginaires de luttes et qu’un jour tous ces petits groupes se rejoignent pour mener la lutte à une plus grande échelle.

[1]https://www.youtube.com/watch?v=f_6W2_Fd-24&feature=youtu.be

[2]https://cvb.be/fr/films/ateliers-urbains-12-parti-du-reve-de-logement

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