20181213 cle pour l'action ryanair et aviapartner

La lutte des travailleur.euse.s de Ryanair, un exemple de lutte européenne pour le mouvement ouvrier !

Pietro Tosi
CIEP-MOC Bruxelles 

Les travailleurs de Ryanair ont réussis à faire reculer la plus grande multinationale européenne du transport aérien. En s’unissant et en tenant bon, les travailleurs ont montré que la mise en place d’un plan d’action syndical européen est possible et efficace. En effet, c’est la bonne nouvelle du début de ce mois de juin: la CNE annonce que les syndicats ont négocié une hausse des salaires du personnel de cabine de Ryanair basé en Belgique[1].

Fin octobre 2018, Ryanair a dû accepter d’appliquer intégralement la loi belge pour tous ses employés basés à Charleroi et à Zaventem. Par la suite, elle a aussi dû reconnaître les organisations syndicales. Ces victoires sont le résultat d’actions au niveau européen qui ont paralysé la compagnie irlandaise. En effet, ce n’est qu’après plusieurs grèves de ses pilotes et de son personnel de cabine, que Ryanair a dû accepter d’ouvrir des négociations avec les syndicats.

Pour Ryanair, c’est en tout cas un peu la fin d’une époque. Dans les derniers résultats annuels de son exercice décalé 2018-2019, son bénéfice a chuté de 30%, de 1,45 milliard à 1,02 milliard d’euros. Lors du dernier exercice, les revenus de Ryanair étaient encore en hausse de 7% [2]. Ces profits records étaient (et continuent) faits sur les dos des pilotes et du personnel de cabine. Une multitude de statuts existent dans l’entreprise : dans le système des « contrats 0 heures » par exemple, le personnel n’est payé que lorsque l’avion est en vol. Retard? Nettoyage de l’appareil entre deux vols ? Pas de salaire. Presque 70% des pilotes travaillent sous statut d’indépendant. Parmi le personnel de cabine, qui doit essentiellement vendre des marchandises en vol, il s’agit surtout de contrats d’intérim, avec encore moins de sécurité et de protection. Des journées de travail trop longues mettent aussi en danger la sécurité des voyageurs. Le personnel, tant les pilotes que le personnel de cabine, en a marre des conditions de travail, de la pression extrêmement élevé et de la flexibilité.

Pour la CNE, ces négociations ont permis des avancées sociales considérables. “Fin janvier 2019, les pilotes ont obtenu un accord sur les rémunérations et les horaires. Fin février 2019, le personnel de cabine qui opérait via des agences d’intérim (une large majorité des stewards et hôtesses sur les vols) a été intégré à la société Ryanair. Le personnel de cabine le moins payé verra son salaire augmenter de 25%, de quoi atteindre le minimum légal en Belgique dans le secteur de l’aviation. […] Le reste du personnel de cabine voit également ses salaires augmenter, avec une hausse en moyenne de 8%”, détaille encore la CNE[3].

Didier Lebbe, secrétaire permanent du syndicat des employés CNE à Bruxelles est engagé depuis des années au côté du personnel de Ryanair. Dans une série d’interviews[4], le permanent CNE explique comment a pris place le processus de mobilisation :

« l’organisation a commencé en dehors des structures syndicales traditionnelles, qui étaient clairement un frein à l’organisation d’une action collective. La CNE a décidé de rencontrer d’autres syndicalistes directement sur place, d’abord en Roumanie puis au Portugal. On organisait des meetings dans les aéroports de manière informelle. Très vite, on a décidé de contacter les italien.ne.s et les espagnol.e.s qui nous ont suivis. L’enjeu européen était très important.

La première étape était de convaincre les travailleurs de surmonter la peur qui régnait dans l’entreprise. Encore début juillet 2018, Ryanair était une entreprise où vivait la terreur. Sans culture syndicale, il fallait convaincre les travailleurs qu’une grève était possible. Au début, on a organisé des séances d’information pour répondre aux questions des travailleur.euse.s et rentrer en contact avec elles/eux. On a mis en place une grille de réponses et on a édité un guide pour expliquer que le droit de grève était défendable aussi au sein d’une multinationale comme Ryanair. Au début, on se faisait engueuler par les travailleur.euse.s, on était vu.e.s comme un danger. On n’a pas balayé leurs questions mais nous y avons répondus systématiquement.

C’était un long travail, mais on est parvenu à briser la peur ! Avec quelques travailleur.euse.s plus impliqué.e.s, on a mis en place des revendications et on a réfléchi à comment on pouvait faire respecter les législations nationales. C’était la première demande du mouvement.

C’est à ce moment-là, une fois que les travailleurs ont commencé à bouger, que les structures syndicales se sont intéressés et ont commencé à soutenir le mouvement. 

 Les travailleur.euse.s étaient soumis.es à des conditions inacceptables, avec en permanence des chantages par la direction, mais ils ont trouvé la confiance de se mettre en action. Aujourd’hui, les travailleurs ont pris cette confiance ! L’objectif était de faire respecter le droit du travail chez Ryanair, mais pour cela il fallait construire un rapport de force.

Ce dernier devait forcement se construire au niveau européen: Belgique, Portugal, Roumanie, Espagne, Italie, puis les Pays Bas et l’Allemagne. La solidarité entre le personnel de cabine et les pilotes a été un élément important pour réussir la grève. En effet, il fallait empêcher la direction de diviser les travailleurs et garder l’unité des revendications. Ces deux facteurs ont été les clés de la réussite de cette action. 

Pourtant, rien n’est encore acquis. Pour exploiter au maximum ses travailleurs, Ryanair travaille avec des sous-traitants. Ces travailleur.euse.s-là sont exclus de l’accord. Quand les syndicats poursuivront les négociations autour des conditions de travail, on ne devra pas les oublier. Cette leçon, le personnel de Ryanair l’a déjà apprise. Ils savent que l’on ne peut arracher des améliorations qu’en mettant la pression et en étant uni.e.s. De futures actions doivent faire naître la possibilité d’obtenir un meilleur accord pour tou.te.s les travailleur.euse.s de Ryanair.

Même si ce n’est pas terminé, cette victoire est historique à tous points de vue. Dans toute l’Europe, il est clair désormais qu’on peut gagner même contre un géant antisyndical comme Ryanair. Grace à un mouvement de uni et européen, on peut aller loin. Les travailleurs de Ryanair ont découvert, engagé et pleinement utilisé leur force collective. A nous de nous inspirer de leur exemple pour conquérir de nouvelles victoires !

[1] https://www.lecho.be/entreprises/aviation/le-personnel-de-cabine-belge-de-ryanair-approuve-le-protocole-d-accord-sur-les-salaires/10132910.html

[2] ibidem

[3] https://www.lecho.be/entreprises/aviation/accord-entre-syndicalistes-belges-et-ryanair/10129543.html

[4] https://youtu.be/tv2GeTlDxBk

https://youtu.be/rQ1MJlmSJnA

https://youtu.be/I-Jz1C6CvwA

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