Ligue travailleuses domestiques

La Ligue des travailleuses domestiques en grève le 16 juin

Par Magali Verdier
CIEP-MOC Bruxelles

La Ligue des travailleuses domestiques de la CSC Bruxelles a décidé de faire grève le 16 juin à l’occasion de la journée internationale du travail domestique. Cette décision constitue une étape importante dans son processus de lutte. Faire grève lorsque l’on est travailleuse domestique, sans papiers, et qui plus est lorsqu’elles sont isolées dans les maisons de leur patron ou patronne n’est pas chose simple. Et pourtant, conscientes des risques et forces qu’une telle démarche, la Ligue a décidé de relever le défi. Mouvements a interrogé un dimanche matin dans un café Aurora, Marilou, Nancy et Flor, qui depuis le début sont parties prenantes de la grève, sur leurs motivations, craintes et forces.

Mouvements : Pourquoi avez-vous choisi de faire grève ?

Pour Aurora et Nancy, faire grève, c’est dénoncer l’exploitation que de nombreuses travailleuses domestiques subissent. Nancy raconte qu’elle travaille entre 13h et 16h par jour alors qu’elle n’est payée que pour 8h de travail. Aurora et Nancy veulent signifier aux patrons qu’elles ont des droits, et les mêmes droits que n’importe quelle autre travailleuse avec des papiers. Faire grève c’est aussi pour elles, se faire entendre vis-à-vis du gouvernement en montrant l’impact sur les familles.

Marilou estime quant à elle que faire grève, c’est rendre visible dans l’espace public le travail invisible et non reconnu. « Nous existons mais ils ne nous voient pas » : les patrons prendront conscience de l’apport de leur travail et du fait qu’ils ont besoin d’elles.

Flor raconte : « Nous avons fait beaucoup d’actions à destination des responsables politiques, des films, des manifestations y compris pour certaines des grèves de la faim. Nous avons, grâce à toutes ces actions, sensibilisé beaucoup de personnes qui ont marqué leur solidarité. Mais cela n’a pas été suffisant pour atteindre notre objectif, avoir un statut légal. Nous avons alors réfléchi sous un autre angle en nous posant la question : que représentent les travailleuses domestiques pour l’économie ? Nous avons réalisé que si les milliers de travailleuses domestiques s’arrêtaient de travailler à Bruxelles, Il y aurait une crise d’état d’urgence, les besoins aux familles ne seraient plus rencontrés. Nous devrions faire appel à une armée de réserve pour résoudre cette crise !  Nos patrons ne pourraient plus travailler (et les entreprises en cascade perdraient de l’argent) et devraient prendre congé pour s’occuper des enfants et ou de leurs parents âgés.  Ils devraient réaliser ce travail pour autant qu’ils sachent le faire ! Leur vie serait vraiment difficile. Nous espérons à travers cette grève gagner la sympathie de nos patrons et plus largement des entreprises où ils travaillent. »

Faire grève lorsque l’on est travailleuse domestique n’est pas chose aisée, quels sont selon vous les obstacles mais également les leviers que vous pouvez actionner ?

Aurora, Marilou, Flor et Nancy pointent pour l’ensemble des travailleuses domestiques de nombreuses peurs. C’est tout d’abord la peur d’avoir des problèmes avec leur patron, de risquer de perdre leur travail. Marilou renchérit : « Les patrons arrachent nos droits, ils savent que nous sommes peu protégées si nous faisons grève. Ils savent que nous ne pouvons pas nous permettre de perdre notre travail car nous avons nos familles à nourrir. Ils profitent des failles du système puisque la loi ne permet pas de nous régulariser. Ils nous disent « J’aimerais bien vous donner des papiers, mais je ne peux pas, ce n’est pas possible avec la loi ». Flor ajoute la peur de beaucoup de femmes de l’intervention policière et souligne le fait qu’en tant que personne sans papiers, on ne peut pas déposer plainte contre les abus.

Mais face à ces peurs, elles pointent deux leviers. Le premier est d’être régularisée pour avoir de meilleures conditions de travail et donc de vie. Autre levier et le plus important est d’avoir d’autres travailleuses domestiques sans papiers qui rejoignent la grève car « l’union fait la force », disent-elles. Cela requiert que les femmes ne restent pas spectatrices et s’engagent dans la lutte. Cela exige des sacrifices, de l’effort et du courage. « La seule solution pour y aller c’est l’action collective », insiste Nancy. « On plus on est au plus on se sent fortes » appuie Aurora.

Dans la Ligue participent quelques travailleuses des titres-services. Elles font aussi part de leurs conditions de travail difficiles et de réalités de travail communes avec les travailleuses domestiques sans-papiers. Comme la Ligue, elles luttent au sein du syndicat pour leurs droits. Elles soutiennent la grève de la Ligue. Comment pensez-vous que ces travailleuses pourraient marquer leur solidarité ?

Toutes appellent à la solidarité des travailleuses en titres-services ce jour-là, à ce qu’elles fassent grève. Marilou, pointe le fait qu’en tant que travailleuse avec papiers, elles ont le droit de grève et peuvent ainsi marquer leur soutien concret. Flor, quant à elle, souligne que les travailleuses dans les titres-services travaillent dans le secteur du travail domestique et qu’elles sont aussi exploitées et non-reconnues. Au-delà de la solidarité, Nancy ajoute qu’il existe un intérêt commun entre les travailleuses domestiques avec papiers avec et sans papiers à faire grève ensemble. Pour elle, tant qu’il existera des travailleuses domestiques sans-papiers avec des bas salaires, les travailleuses avec papiers auront de moins bons salaires, « cela créée de la concurrence entre travailleuses ».

De plus en plus de monde soutient de combat de  la Ligue, quelles attentes avez-vous vis-à-vis de toutes ces personnes pour ce jour de grève ?

Toutes souhaitent la présence du plus grand nombre de personnes possible ce jour-là. Aurora, insiste : « il faut nous faire entendre via les médias ». Flor considère que « la Ligue des travailleuses domestiques est un mouvement qui s’est fait de plus en plus connaître dans la société belge. Le chemin n’a été simple mais c’est très gratifiant de savoir que beaucoup de personnes commencent à valoriser notre travail, qu’elles sont emphatiques et solidaires. Elle constitue un acteur clé pour nous amplifier nos voix dont l’écho touchera les médias et in fine le gouvernement ».

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