débat jeunesse-feminisme et justice climatique

Femmes, féminismes et écologie

Aurore Mignolet
Vie Féminine Bruxelles

Pollution de l’air, de l’eau, désertification, sixième extinction massive des espèces,… les preuves de la catastrophe écologique se multiplient. Si le réchauffement climatique est le plus médiatisé des dérèglements environnementaux, il n’est pourtant qu’un des dangers qui menacent l’existence de la vie sur notre planète, qu’elle soit humaine ou non-humaine.

Notre survie même est menacée. Et pourtant, si nous sommes tou.t.es touché.e.s par les conséquences du désastre écologique, ces dernières impactent les populations de façon différente, selon leur classe sociale, leur genre, leur origine ethnique ou encore leur origine géographique. Les inégalités socio-économiques coïncident en effet avec les inégalités environnementales. Les personnes en situation de précarité sont ainsi par exemple davantage exposées que les autres à la pollution de l’air et affichent par ailleurs une surmortalité en période de pic de pollution.

Pendant ce temps, l’écologie et la lutte contre le réchauffement climatique sont dans toutes les bouches, à droite comme à gauche. Le capitalisme se teinte de vert et le développement devient durable, pendant que la destruction de la sécurité sociale et la paupérisation des populations se poursuivent. Face à l’absence de volonté politicienne, les citoyen.ne.s tentent de se mobiliser. Le large mouvement politique  que devrait être l’écologie se morcelle en des actions individuelles. La responsabilité de sauver la planète vient peser sur les individus, devenus éco-consommateurs (et non sur l’Etat, les industries,…). Cette charge repose particulièrement sur les femmes. C’est en effet à elles que reviennent très majoritairement les tâches de reproduction, liées à la vie quotidienne (s’occuper des enfants, faire les courses, s’occuper du ménage,…), à elles qu’il revient donc en premier lieu de changer leurs modes de vie.

Pour les mouvements militants de gauche traditionnels la lutte contre le capitalisme est plus que jamais d’actualité. Et ici aussi le discours est au vert, avec un risque supplémentaire : que ce nouvel attrait pour l’écologie éclipse encore d’avantage les combats féministes et anti-racistes, déjà secondaires à leurs yeux.

De leur côté, les mouvements féministes historiques majoritaires ne semblent pas désireux de s’emparer de l’écologie, a priori bien éloignée de leurs priorités.  Et pour cause ! Le féminisme constructiviste, majoritaire ici, a lutté contre l’idée d’une essence féminine, contre l’idée selon laquelle « la femme » serait par nature plus douce, plus fragile et plus apte à certaines tâches qu’à d’autres, servant ainsi à les exclure de la sphère publique et les cantonnant dans des tâches de reproduction, dévalorisées. Ces attributs faisaient de la femme un être proche de la nature, comme elle, immobile, passive, incapable d’atteindre la culture et sa raison, domaines réservés aux hommes. Le féminisme constructiviste a donc pensé l’émancipation des femmes comme arrachement à la nature ; s’arracher à la nature pour devenir comme l’homme, un être de culture. Parler de la nature en contexte féministe est donc souvent suspect et très mal accueilli.

Heureusement toutes n’ont pas ces scrupules et partout dans le monde, des  mouvements de femmes (mouvement Chipko, mouvement pour la justice environnementale, écoféminisme,…) s’organisent pour lutter contre la dégradation de leur environnement et de leurs conditions de vie. Toutes ne se disent pas féministes (voire rejettent l’étiquette) mais toutes se sentent particulièrement concernées, parce qu’en première ligne par leur condition de femmes (et souvent de femmes racisées et/ou issues du Sud).

L’un de ces mouvements, l’écoféminisme, retient ici particulièrement l’attention. L’écoféminisme, c’est un mouvement multiforme à la fois féministe et écologiste né aux USA, dans les années 70, dans le sillage des mouvements antinucléaires et pacifistes. D’abord mouvement politique recourant à l’action directe non-violente, usant volontiers de formes créatives et poétiques, il a été ensuite rattrapé par le milieu académique où il est devenu objet d’étude.

Le concept majeur des écoféministes est le « reclaim », c’est-à-dire réclamer, se réapproprier ce qui a été mis du côté de la nature et du féminin. Non qu’il y ait essence féminine ou nature (versus culture) mais au contraire en repensant le monde en dehors des dualismes nature contre-culture, instinct contre raison, corps contre esprit, etc. et en revalorisant les qualités et compétences dites « féminines ». En quoi en effet être proche de la nature, soucieu.x.se de  son environnement et de l’autre serait synonyme de faiblesse et  d’incompétence? En quoi encore les qualités dites « féminines » de soin aux autres, de capacité à communiquer, à vivre ses émotions, etc… justifieraient traitement inégalitaire et oppressif?

Le concept de nature n’a été inventé que pour mieux exploiter. Le patriarcat peut exploiter les femmes parce qu’elles ressemblent à la nature et le capitalisme, autre avatar du patriarcat, peut exploiter la nature parce qu’elle ressemble aux femmes : la boucle est ainsi bouclée. L’écoféminisme lie donc destruction de la planète et oppression des femmes. Il invite ainsi ces dernières  à se réapproprier leurs vies et leurs corps saccagés par la société patriarcale.  Il les invite aussi, elles et tou.te.s celleux qui luttent à leurs côtés à se battre pour la terre et la nature. C’est la même culture mortifère, sexiste, raciste, capitaliste qui exploite la nature dans un rapport de haine et de dévalorisation à l’égard des femmes et des minorités (et vice-versa). C’est donc seulement à condition de s’attaquer à cette culture-même qu’on pourra mettre fin au patriarcat, au racisme et au capitalisme.

L’écoféminisme propose ainsi un autre rapport au monde, aux autres, humains et non-humains. Il vise à produire des formes différentes, non dominantes d’organisations sociales et d’interactions humains-nature[1]. Il invite à retrouver le sens de l’entraide et la réciprocité, en prenant exemple sur et en réintégrant cet écosystème terrestre dont l’humain a voulu s’extraire, écosystème où tout est interconnecté, système complexe et interdépendant.

En 1974, Françoise D’Eaubonne, première écoféministe française revendiquée publiait son manifeste Le féminisme ou la mort. Ce mantra est aujourd’hui plus que jamais d’actualité. Mais loin du fatalisme, l’écoféminisme nous invite au contraire à une lutte joyeuse et sororale. A nous de renouveler nos imaginaires pour faire de cette catastrophe écologique et de cet effondrement civilisationnel annoncé par certain.e.s[2] l’opportunité de construire un monde enfin juste et solidaire.


[1] CARLASSARE Elizabeth, L’essentialisme dans le discours écoféministe. In : HACHE Emilie. Reclaim. Editions Cambourakis, p. 319

[2] notamment Pablo Servigne et Raphaël Stevens avec le concept de « collapsologie »

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