De la droite en Italie

Par Pietro Tosi,
CIEP-MOC Bruxelles

« Le fascisme se présentait comme l’anti-parti, il ouvrait ses portes à tous les candidats, il laissait la place à une multitude pour recouvrir d’un vernis d’idéaux politiques vagues et nébuleux le débordement sauvage de passions, de la haine et de désirs. Le fascisme est donc devenu une coutume, identifiée à la psychologie antisociale de certaines couches du peuple italien. » – Antonio Gramsci, L’Ordine Nuovo, 26 avril 1921

En 1921 déjà, Gramsci décrivait le phénomène du fascisme qui allait s’installer dans les consciences du peuple italien. Encore aujourd’hui, en Italie, où le fascisme est né, la violence d’extrême droite est en train de renaître et de grandir, et ce, en semant dans le débat politique le racisme, le sexisme et l’homophobie.

Un climat de haine
C’est le 3 février dernier que l’Italie a vu son premier attentat prendre place dans la ville de Macerata, sur la côte adriatique. Un jeune d’extrême droite s’est positionné à la fenêtre et a tiré sur des migrant.e.s qui passaient dans la rue en en blessant 8 d’entre eux. En juin, c’est un groupe de mafieux payés par les patrons qui ont tué Soumaïla Sacko, un syndicaliste représentant des travailleur.se.s agricoles du sud de lItalie, qui les dérangeait par sa lutte contre l’exploitation des travailleurs. Ces exemples démontrent de manière très dure ce qui se passe dans la société italienne d’aujourd’hui.
Ce climat de répression a été possible grâce à l’énorme désillusion envers les partis traditionnels qui s’est traduite par l’élection du nouveau gouvernement de droite conduit par la Lega de Matteo Salvini. Un parti d’extrême-droite fédéraliste qui défendait historiquement les intérêts de la Padania, la région au Nord de l’Italie, contre les pauvres du Sud et qui est aujourd’hui devenu un parti national de type lepéniste qui se dit « pour la défense des tous les italiens », pour les « traditions italiennes » et contre les migrants, les femmes et la communauté LGBTQI+.
La défaite de la stratégie politique de la gauche qui a appliqué les mesures d’austérité durant les précédents gouvernements a permis la montée d’une énorme désillusion parmi des larges couches de travailleur.se.s et de la population en Italie qui ont commencé à considérer la droite comme une alternative. C’est ainsi que la Lega est devenue le deuxième parti aux élections, ce qui a permis de rendre possible la montée des groupes d’extrême droite ouvertement fascistes comme Casa Pound et Forza Nuova.
Le nouveau gouvernement jaune-vert de la Lega en coalition avec la force populiste « post-idéologique » du Mouvement 5 étoiles,  mène un programme fortement répressif. Ils ont refusé l’accès aux ports italiens des bateaux humanitaires venant des côtes africaines, ils ont interdit aux enfants migrants d’accéder aux repas dans les écoles et ils ont permis aux organisations néo-fascistes de se nourrir de plus en plus du discours xénophobe. Cette situation entraîne une augmentation de la violence raciste et de la haine contre les migrants, ceux-ci étant les principales cibles des attaques politiques et médiatiques. Ils sont devenus le bouc émissaire du gouvernement.
Mais les migrants ne sont pas les seules victimes de cette mobilisation réactionnaire.  De fait, le gouvernement Lega-M5S propose de classer des communautés entières sur une base ethnique, telles que les Roms et les Sintis. De plus, le sénateur de la Lega, Pillon, voudrait abolir la loi 194 qui permet aux femmes d’avorter légalement. Ce climat de répression dure permet au gouvernement de délégitimer quiconque s’oppose à cet état de choses, de criminaliser la dissidence, de supprimer la solidarité et de faire taire les critiques. Un exemple emblématique de cette répression est l’affaire de Mimmo Lucano, maire de la municipalité de Riace, qui a été arrêté puis expulsé de force de sa ville après avoir été accusé d’avoir rendu possible l’immigration clandestine dans sa ville. C’est ainsi que son modèle d’accueil et d’intégration, qui avait permis à la petite ville de Riace de ressusciter dans un contexte de crise de l’emploi, a été démantelé.

Un nouveau décret sur la sécurité.  Que se passe-t-il ?
Non, les Italiens ne sont pas soudainement devenus plus racistes. La combinaison de la peur face à la crise et de la peur du futur liée à l’instrumentalisation politique et culturelle de la droite italienne, avec une attitude clairement fascisante, crée un climat dans lequel les pires sentiments et les pires instincts deviennent socialement acceptables. Evidemment, tous les travailleurs ne sont pas racistes, beaucoup d’entre eux sont tout simplement au chômage et terrifiés par la perspective de ne pas retrouver un emploi. En même temps, la population italienne montre dans cette phase un visage raciste, sexiste et homophobe. Mais il s’agit d’une composante minoritaire : une composante rétrograde et réactionnaire qui a toujours été présente. Aujourd’hui, le ministre de l’Intérieur, Matteo Salvini, est à juste titre identifié par beaucoup comme le principal architecte de ces campagnes de haine et de discrimination. Il est aujourd’hui le chef  incontesté du “gouvernement du changement”. Un gouvernement qui bénéficie du soutien passif de la majorité des Italiens. Avec le soutien des médias et des sondages d’opinion, le gouvernement vient de lancer, malgré de nombreuses difficultés, le “décret sur la sécurité”, qui constitue une nouvelle atteinte aux droits et libertés publiques.
Ce décret prévoit en effet toute une série de mesures qui conduisent à des sanctions à l’encontre des militants sociaux et occupants de maisons, à la mise en place d’un service de patrouille armée dans les trains, à l’extension de l’utilisation du pistolet paralysant, etc. L’aspect le plus controversé de ce décret concerne toutefois la question de l’immigration. Les migrants sont relégués au rang de citoyens de deuxième classe auxquels sont refusés les droits les plus élémentaires. En effet, il est envisagé de retirer la citoyenneté à ceux qui, devenus italiens, se sont rendus coupables de crimes particulièrement graves. Une mesure qui rappelle des mesures similaires de déchéance de nationalité votées en France et en Belgique ces dernières années.
Ces mesures seront certainement appliquées également demain aux secteurs en lutte et aux mouvements sociaux. Le racisme institutionnel du gouvernement s’est répandu librement, sur un terrain occupé jusqu’il y a peu par d’autres forces politiques. Le Parti Démocrate de Matteo Renzi, qui dénonce aujourd’hui la « dérive néofasciste », était l’auteur du décret Minniti-Orlando qui abolissait la seconde instance de tribunal dans les procès liés à l’immigration et qui a ouvert les portes à la brutale criminalisation de la population migrante.

Comment riposter ?
Des millions d’Italien.ne.s sont toujours véritablement antifascistes et antiracistes. C’est parmi eux aussi qu’on retrouve un soutien, peut-être de manière critique, au gouvernement, parce qu’il avait promis le revenu de citoyenneté (un genre d’allocation universelle édulcorée) et l’abrogation de la loi antisociale sur les retraites. Le succès extraordinaire de la collecte pour les enfants migrants de Lodi, à laquelle un maire de la Ligue a refusé l’accès à la cantine scolaire pour prétextes administratifs, montre qu’en Italie la solidarité existe et reste ancrée dans la conscience des travailleurs.
Pour arrêter le vent fétide réactionnaire qui souffle dans tout le pays, il sera nécessaire de retrousser nos manches et de travailler dur. Seule une mobilisation de masse étendue au niveau national et prolongée dans le temps, impliquant principalement des migrants, des femmes, des travailleurs et des jeunes réussira à ramener en arrière le gouvernement et les organisations néo-fascistes qui ont le sentiment d’avoir le vent en poupe. Il faudra reconstruire un front de lutte d’en bas, reconstruire notre base sociale, lui donner confiance dans l’action collective, faire refluer le pessimisme qui a envahi la gauche. Il faudra aussi reconstruire un mouvement large en impliquant des associations, des partis et des organisations politiques, des syndicats et des citoyens qui ne veulent plus vivre sous le feu du racisme et du déni des droits.
La lutte contre le racisme poussera des dizaines de milliers de jeunes et de travailleurs à descendre dans la rue, à se mobiliser et à s’organiser. Pour devenir un véritable instrument d’organisation et de protestation sociale, l’antiracisme ne peut être qu’un antiracisme social qu’il s’attaque à la racine du problème : un système qui nous divise sur une base ethnique, religieuse ou de genre pour mieux nous exploiter. Un système qui nourrit la guerre pour remettre en cause les droits et les conditions de travail de tous. Un système qui a deux visages : celui du prétendu “gouvernement du changement” et celui de son opposition libérale-démocrate au parlement.

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