Article

Carte blanche : Le mal logement nécessite une intervention rapide des pouvoirs publics

Par la plateforme logement (FéBUL, RBDH, CSC Bruxelles, MOC Bruxelles, FGTB Bruxelles, Equipes Populaires Bruxelles, Inter-Environnement Bruxelles) ainsi que plusieurs cosignataires*

Le 27 janvier dernier, nous nous étions réjoui.es d’apprendre que le gouvernement bruxellois planchait sur une limitation de l’indexation des loyers à 2 %. L’urgence sociale touchant de plus en plus de ménages à Bruxelles, comme dans l’ensemble du pays, cette mesure nous semblait non seulement amplement justifiée, mais aussi tout à fait réalisable. Et pourtant, la majorité régionale n’a pu se mettre d’accord sur la proposition de la Secrétaire d’Etat Madame Ben Hamou, le blocage semblant résulter d’un veto du parti Défi et des réticences de l’Open Vld.

On ne peut pas dire que la situation des locataires – qui représentent plus de 60 % des ménages bruxellois – s’est soudainement améliorée. Bien au contraire. Ils et elles doivent faire face dans le même temps à une augmentation des loyers continue et disproportionnée (ces 10 dernières années, ils ont augmenté de 20 % au-delà de l’indexation), une flambée des prix de l’énergie (pour certain.es, cela signifie un triplement de la facture d’énergie), le tout après deux ans de crise covid, ponctués de diminution voire de perte de revenu. Le dernier diagnostic de perspective.brussels nous rappelle en effet l’impact très lourd qu’a eu la pandémie pour de nombreux.ses bruxellois.es, en particulier pour celles et ceux qui passent entre les mailles du filet de la sécurité sociale. Le risque de surendettement, de précarité énergétique et d’expulsion augmente. Avec celui-ci, le besoin d’intervention des services publics et services d’aide sociale. Les Bruxellois.es consacrent en moyenne 35 % de leur budget au coût du logement (loyer et charges), mais cette moyenne cache de véritables disparités entre les ménages. Pour les plus pauvres, il ne reste quasiment plus rien une fois le loyer payé. Certain.es allocataires sociaux consacrent en effet jusqu’à 70 % de leur maigre allocation pour se loger. Des ménages postposent un rendez-vous chez le médecin, se privent d’une alimentation de qualité ou encore d’achat de matériel nécessaire pour le suivi scolaire de leurs enfants pour pouvoir payer (trop cher) le droit de vivre dans un logement trop souvent de mauvaise qualité et/ou surpeuplé (1).

La limitation de l’indexation : c’est légal et réaliste

Contrairement à l’idée répandue par les partis politiques refusant la limitation de l’indexation des loyers, celle-ci n’est ni inconstitutionnelle, ni irréaliste, ni irréalisable. Cette limitation vise à garantir le droit au logement, elle poursuit donc un intérêt général ; compte tenu de la croissance des loyers – bien supérieure à l’inflation – au cours des vingt dernières années à Bruxelles, ce n’est pas une limitation de l’indexation des loyers à 2 % qui va soudainement plonger la plupart des bailleurs dans la précarité. Par contre, elle permettra à de nombreux ménages locataires de garder la tête hors de l’eau.

Une mesure désirable mais non suffisante

Au regard de l’urgence sociale et de la détresse grandissante des ménages bruxellois – gardons en tête que derrière chaque chiffre se cachent des situations familiales dramatiques, complexes et traumatisantes, dont il est difficile pour certain.es d’en sortir indemne – la limitation de l’indexation des loyers est une mesure simple et rapide à mettre en place, mais clairement non suffisante dans un objectif sérieux de lutte contre la pauvreté.

Nous sommes à mi-mandat, et nous, associations œuvrant au sein de lutte contre la pauvreté au sens large, sommes inquiet.es et scandalisé.es. Inquiet.es, car c’est maintenant que les locataires subissent les conséquences de l’augmentation des coûts du loyer et de l’énergie. Inquiet.es, car les retours du terrain nous font part de services de première ligne déjà saturés, qui doivent faire face à des situations de détresse de plus en plus critiques. Inquiet.es et scandalisé.es, car nous constatons un immobilisme de certain.es responsables politiques en matière de lutte contre le mal logement. Scandalisé.es de constater que les drames que vivent nos concitoyen.nes n’émeuvent pas suffisamment une partie de la sphère politique pour mettre en place des mesures simples et efficaces. Scandalisé.es de constater que pour certain.es, il est préférable de laisser sombrer une partie grandissante de notre population dans des situations dramatiques (expulsions domiciliaires, sans abrisme…) plutôt que d’agir de manière structurelle sur le marché du logement. Scandalisé.es de ce blocage politique. Pourtant, il sera toujours socialement plus désirable – et même plus efficace – de prévenir la misère sociale plutôt que de tenter de la soigner.

Si des solutions peuvent être recherchées pour la petite minorité de propriétaires bailleurs précaires, il est temps de reconnaître que la majorité à protéger – y compris par une règle sur les montants des loyers – se trouve bien du côté des locataires.

Nous nous continuerons de dénoncer cet immobilisme. Parce que l’urgence sociale le nécessite, parce qu’aucune autre mesure ne permettra de le faire : ni la construction de logements neufs, ni une augmentation de l’aide sociale. Si l’on s’intéresse au bien-être de l’ensemble des habitant.es de Bruxelles, il faut accepter et soutenir les initiatives visant à réguler le marché locatif privé, y compris la limitation de l’indexation des loyers.

*Cosignataires : Syndicat des locataires, Front commun des SDF, Front rendre visible l’Invisible, Droit à un Toit – Recht op een DAK, Infirmier de Rue, Syndicat des Immenses, CGEE, DoucheFLUX, Convivence, Hobo, Job Dignity, Action Logement Bruxelles, Le Forum – Bruxelles contre les inégalités, Fédération des maisons médicales, Union des locataires Quartier Nord, Communa ASBL, Réseau Wallon pour le Droit à l’Energie, Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté, Fédé AMA, Fédération des Services Sociaux, Mouvement chrétien pour la paix, DUNE asbl, Union des locataires de Schaerbeek, Loyers Négociés, RWDH, Tuiniersforum des jardiniers, GAFFI asbl, Front Anti Expulsion, Comité de Défense de Saint-Gilles, Union des Locataires de Forest, Les ami.e.s du champ des cailles, Angela D, Union des Locataires d’Anderlecht-Cureghem.

(1) La moitié de la population bruxelloise en situation de risque de pauvreté vit dans des logements considérés comme trop exigus par rapport à la taille de leur ménage, cf rapport perspective.brussels.

Partager cette publication

Articles similaires

Reprendre nos affaires en main!

À l’approche des élections, voici venue l’heure des bilans de l’action des majorités sortantes. De manière générale, ces bilans s’avèrent plutôt décevants pour celles et ceux qui ont cru aux promesses des partis dits « de gauche » qui, finalement, se sont contentés de gérer un système mortifère. Aucun gouvernement n’a opéré de réelle rupture avec les mécanismes d’oppression et d’exploitation, et cela même à Bruxelles où la coalition rouge-verte ne comptait pourtant que deux ministres étiquetés à droite (Open VLD et Defi).
Bien sûr, « ça aurait pu être pire », ça le peut toujours. La menace de la droite et de l’extrême droite est bien réelle, pas seulement en perspective de résultats électoraux mais aussi étant donné la façon dont les options sécuritaires, antisociales et discriminantes s’installent de plus en plus facilement au sein des partis dits démocratiques. Heureusement que, malgré ce contexte morose, des résistances se sont organisées pour freiner cette course vers le mur. (…) Elles ont démontré que, ensemble, nous ne sommes pas prêt.e.s à nous laisser faire en abandonnant si facilement nos droits légitimes, fort.e.s de notre solidarité et de notre créativité collective.
Dans le nouveau numéro de Mouvements, nous avons choisi de revenir sur certains enjeux qui nous paraissent essentiels pour les Bruxellois.es en perspective des élections du 9 juin.

Voir l'évènement >>