Le numérique aussi, c’est politique !
Eléonore Merza Bronstein, secrétaire fédérale, MOC Bruxelles
Le numérique n’est pas neutre. Il n’est pas innocent. Il est profondément politique.
Le numérique, ce ne sont pas juste des applis, des réseaux, du cloud et des gadgets dernier cri. Ce n’est pas juste du progrès emballé dans du verre trempé. Ce n’est pas juste une promesse, c’est un champ de bataille, un terrain de luttes où se (re)jouent des enjeux de pouvoir mais aussi de résistance. Derrière les interfaces lisses, il y a des rapports de force. Derrière les écrans, il y a des rapports de domination. Et derrière les récits de l’innovation, se cachent des formes d’exploitation — brutales, systémiques, mondialisées.
Le numérique, c’est l’autre visage du capitalisme contemporain. Une version 2.0 de la colonisation. Une extraction permanente, massive, sur tous les plans : des métaux, des données, de l’attention, des vies. Et avec cette extraction vient la destruction. Destruction écologique, sociale, démocratique. On nous vante les mérites des téléphones « intelligents », mais on oublie les ravages d’écosystèmes entiers, des mines de cobalt. On nous vend l’intelligence artificielle, mais on invisibilise les travailleurs du clic. On présente les assistants numériques comme des alliés discrets et dociles, alors qu’ils consolident les biais, les discriminations, les structures d’oppression.
Et pendant ce temps, les géants de la tech, érigés en génies de notre époque, dévoilent sans complexe leur mépris pour la démocratie, leurs alliances réactionnaires, leur pouvoir de censure ou d’amplification, au service d’intérêts privés, leur soutien à l’extrême droite, leur soutien à un génocide.
Musk, Zuckerberg, Altman : des noms devenus synonymes de concentration. Concentration des pouvoirs, des données, de l’influence, de la richesse. Ils n’ont même plus besoin de faire semblant, ils s’exposent désormais au grand jour. Ils fixent les règles, orientent les débats, effacent ce qui dérange, décident de ce qui peut être dit, de ce qui doit être tu, de ce qui est visible, de ce qui est effacé.
Les plateformes numériques ne sont plus de simples espaces de communication, elles deviennent les relais de contre-vérités, de propagande et de répression, elles déroulent l’infrastructure technique de la régression politique, entre dénis et saluts nazis.
Le numérique n’est plus seulement un outil. Il est aussi devenu une arme.
Cette arme, ils l’ont tournée contre nous : contre les pauvres, contre les jeunes, contre les racisé·e·s, contre les femmes, contre les minorités de genre, contre les précaires, contre les mobilisations, contre les résistances, contre les mouvements sociaux.
Les caméras « intelligentes » ne sécurisent pas les espaces publics, elles les contrôlent. Elles ne protègent pas les cortèges, elles les surveillent. Les applications ne facilitent pas l’accès aux droits, elles les conditionnent. L’interface remplace le lien. Le clic évince la parole. Le sans-contact impose l’exclusion.
Mais cette arme n’est pas qu’une métaphore. À Gaza, des civils sont assassinés sur la base de données extraites de WhatsApp parce qu’ils ont été désignés comme cibles à éliminer par un logiciel comme Lavender, développé pour l’armée israélienne dans le but d’automatiser l’identification et l’élimination. Meta fournit l’infrastructure, Israël appuie sur la gâchette : le numérique devient complice d’un carnage algorithmique. Le numérique, ici, sert à tuer plus vite, plus loin, et sans témoin.
Il y a celleux qui n’ont pas accès. Et celleux qui sont submergé·e·s. L’exclusion numérique, c’est l’exclusion tout court. C’est ne plus pouvoir consulter un médecin, inscrire un enfant à l’école, accéder à un service de base. À l’inverse, l’hyperconnexion expose à la violence en continu : c’est l’absence de repos, c’est l’absence de répit, c’est l’absence d’intimité, l’absence de contrôle.
Les enfants et les adolescent·e·s sont en première ligne. Exposés à la haine, au harcèlement, à la radicalisation. L’école, les familles, les services publics sont laissés seuls, sans outils, sans stratégie, sans filet.
Mais tout n’est pas joué. Tout n’est pas perdu.
Des résistances existent, et elles se renforcent. À Bruxelles, à Marseille, à Kinshasa, à São Paulo, à Montréal, des collectifs s’organisent. Des syndicats s’alarment. Des associations s’élèvent. Le monde social, dans sa diversité, dit non à cette numérisation brutale, non à l’automatisation des inégalités, non à la marchandisation de nos vies.
L’humain d’abord. Oui, l’humain d’abord. Ce n’est pas un slogan, c’est un impératif, un fil rouge. Le seul horizon qui vaille.
Il est encore possible de reprendre la main. De réinventer un numérique au service du bien commun. Un numérique ancré dans l’éthique, dans l’écologie, dans la justice sociale. Un numérique public, démocratique, libéré des logiques marchandes. Un numérique qui relie au lieu d’exclure, qui ne reproduit pas les dominations mais les combat, qui libère au lieu de surveiller.
Ce numéro de Mouvement n’est pas un constat, c’est un appel, un outil pour celles et ceux qui refusent de céder, de déléguer l’avenir aux machines et aux milliardaires.
Reprenons la main, reprenons le récit : les algorithmes obéissent, nos luttes décident. On ne programme pas l’émancipation. On la conquiert.