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Carte blanche : Non au digital par défaut

Mesdames et Messieurs les ministres-présidents, ministres et secrétaire d’État en charge de la Digitalisation, de la Simplification administrative, de la Transition numérique, etc. [1]

Lire et Écrire – association d’alphabétisation accompagnant des personnes en difficulté de lecture et d’écriture – rejointe par une large partie du secteur de l’alphabétisation et d’autres organismes (voir ci-dessous), attire votre attention sur le caractère discriminant d’une série de procédures de dématérialisation des services d’intérêt général [2], accélérées depuis le début de la crise sanitaire en mars 2020.

Si la numérisation croissante de la société offre de nombreuses opportunités, elle est également source d’inégalités sociales numériques aux conséquences désastreuses pour une partie de la population. Les confinements ont amené une obligation de trouver une solution pour continuer à garder le contact avec la population mais, aujourd’hui, plus rien ne justifie ce « digital par défaut ».

Pourtant, ce que nous constatons depuis mars 2020, c’est que la dématérialisation progressive de ces services a plongé les personnes en situation d’illettrisme dans de très grandes difficultés d’accès à leurs droits et aux ressources de base. Et, même si le plus gros de la pandémie est derrière nous, cette dématérialisation ne s’arrête pas. Elle continue, voire se développe, et est en train de devenir la seule porte d’entrée pour certains services essentiels.

Des personnes mises en difficulté

Prendre un rendez-vous médical, renouveler son abonnement de transports, remplir sa feuille d’impôt, s’inscrire comme demandeur·se d’emploi… se font désormais en ligne. Comme ces outils et usages sont largement liés à une maitrise de l’écrit, les personnes peu scolarisées ou en difficulté de lecture et d’écriture sont donc, au premier plan, concernées par les transformations numériques et les inégalités sociales qu’elles induisent. Comment prendre rendez-vous via Internet avec ces services si on ne sait ni lire ni écrire et qu’on ne sait pas formuler un e-mail ? Comment remplir un formulaire et prouver que « nous ne sommes pas des robots » face à une pop-up qui nous demande d’associer une image à un mot qu’il nous est impossible de déchiffrer ?

En plus de mettre ces personnes en difficulté, la dématérialisation accrue met à mal le cœur même des services d’intérêt général, dont certains sont publics, et encore plus au niveau local. Leur vocation n’est-elle pas d’être accessible à l’ensemble de la population ? Y compris celles et ceux qui sont les plus éloigné·es ? Cependant, en ne prévoyant pas ou peu souvent d’alternatives pour accueillir les usager·es éloigné·es des TIC, c’est exactement l’inverse qui se produit.

Pourtant, la Commission européenne dans son Plan d’action européen 2016-2020 pour l’administration en ligne décrit pourtant comme suit le principe du numérique par défaut : Les administrations publiques devraient de préférence, fournir des services par voie électronique (notamment des informations lisibles en machine), tout en conservant d’autres canaux de communication au bénéfice de ceux qui, par choix ou par force, sont hors connexion.

Mais certaines administrations publiques belges ne respectent pas ce principe et elles ont clôturé tous les autres canaux de communication. Par exemple, beaucoup de communes à Bruxelles ne permettent d’inscrire les enfants dans les écoles que par la voie numérique. En Wallonie, certains services communaux, pourtant ouverts pour une partie durant la pandémie, ont décidé de fermer les guichets physiques. À de nombreux endroits en Fédération Wallonie-Bruxelles, pour avoir un contact avec une banque, un centre de contrôle technique automobile, un laboratoire médical, les gens sont priés de prendre rendez-vous par e-mail ou par téléphone, soit deux canaux nécessitant de requérir aux savoirs fondamentaux.

Nous entendons déjà certains pouvoirs publics et d’intérêt général donner l’argument des alternatives proposées. Celles-ci sont juste théoriques car, dans la pratique, certaines sont presque inaccessibles : guichets ouverts quelques heures par semaine et éloignés, disponibles seulement sous rendez-vous (qu’il faut prendre en ligne, d’ailleurs). Ou des services téléphoniques totalement défaillants. Ou le canal papier, qui suppose plus de couts et donc une double peine pour les personnes…

Les plans de relance, d’inclusion, ou de simplification administrative lancés par vos services respectifs imposent « le digital par défaut » et promettent une inclusion rapide de l’ensemble de la population. Dans les faits et les chiffres, ni l’un ni l’autre ne semble acquis. Un très large pourcentage de la population n’utilise pas l’e-mail avec l’administration et ne consulte par exemple pas leur dossier santé en ligne [3]. Ainsi 92 % des personnes ayant un revenu mensuel de −1200 € et 85 % des personnes ayant un revenu mensuel de +3000 € ne consultent pas leur dossier médical en ligne. Et 73 % des personnes ayant un revenu mensuel de −1200 € et 64 % des personnes ayant un revenu mensuel de +3000 € par mois n’envoient pas de mails à l’administration  De plus, une étude qui sera publiée ce vendredi 2 septembre par la Fondation Roi Baudouin nous annonce que la montée en compétences attendue n’a pas eu lieu.

Il est indispensable de garder des alternatives effectives

La réduction des canaux de communication traditionnels (guichet, téléphone, papier) au sein des services d’intérêt général, n’a pas fait l’objet d’une réflexion politique préalable sur les effets de ce processus, comme si le numérique était neutre, inéluctable et allant de soi, et – nous en avons tou·tes fait l’expérience – le numérique ne rend pas de facto la vie des citoyen·nes plus facile, que du contraire. Il est urgent, selon Lire et Écrire, que ce processus soit « pensé » ou questionné au regard des principes du service public tels que l’égalité de traitement, le caractère abordable, l’accessibilité, la neutralité, etc. Dans cet esprit, les mécanismes de discrimination que ce processus accentue doivent être identifiés et des mesures doivent être prises pour rétablir une égalité d’accès aux droits et aux services d’intérêt général.

Le numérique par défaut divise la société et renforce les discriminations envers les plus fragilisé·es. Il est indispensable de garder des alternatives pour celles et ceux qui ne sont pas numériquement autonomes. Ce qui signifie :

  • Garantir un accès à tous les services d’intérêt général en maintenant la possibilité d’un contact téléphonique adapté à l’ensemble de la population et un réseau suffisant de guichets offrant un accompagnement qui permet la réalisation des démarches. 
  • Élargir le tarif social à toutes les personnes exposées à la précarité et garantir qu’il soit applicable aux connexions mobiles. 
  • Mettre en place un plan ambitieux de lutte contre les inégalités numériques. Les personnes en difficulté de lecture et d’écriture doivent disposer d’un équipement informatique et d’une connexion internet à prix décent et avoir accès à une formation [4] et à un accompagnement numérique de proximité et adaptés à leur situation. 
  • Consulter en amont les organismes d’alphabétisation comme Lire et Écrire pour penser ensemble la prise en compte des personnes illettrées dans ces processus de dématérialisation (à travers par exemple les commissions parlementaires).

Mesdames, Messieurs les élu·es, pensez inclusion. Il est indispensable de maintenir des canaux alternatifs, des espaces où les personnes qui se retrouvent démunies puissent trouver de l’aide pour réaliser ces démarches dans un monde de plus en plus numérisé qui leur fait de moins en moins de place.

Signez-la, vous aussi !

Une action soutenue déjà par plus de 270 associations d’alpha, organismes proche, et citoyen·nes.

Signez, vous aussi, cette lettre ouverte sur le site de lire et écrire.

Notez que votre adresse e-mail n’apparaitra pas dans la liste des signataires. Elle est cependant indispensable pour valider votre signature.

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