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La sixième réforme de l’État

Paul Palsterman,
secrétaire régional bruxellois de la CSC-ACV

En tant qu’organisation syndicale, nous avons bien entendu été sensibles surtout aux aspects sociaux de la réforme de l’Etat. Comme tout le monde, nous sommes inquiets de certaines évolutions, par exemple l’exode de la classe moyenne en-dehors des limites de la région, visible dans les chiffres et très présent dans les conversations. Au niveau de la concertation sociale, il devient difficile de trouver des mandataires résidant à Bruxelles. La politique bruxelloise risque de plus en plus d’être menée par des personnes qui, non seulement ne sont pas élues à Bruxelles, mais ne sont même pas concernées par les politiques qu’elles mettent en place.

Dans le cadre du financement des Communautés et des Régions, Bruxelles a reçu des moyens qui lui permettront, pendant un certain temps, d’assumer le manque à gagner lié à cet exode, et peut-être de faire des investissements dans la qualité de vie en ville, de nature à inverser les tendances. Mais il y a peu de visibilité sur les projections financières à long terme, qui consolideraient l’ensemble des pouvoirs publics bruxellois, y compris les communes et les commissions communautaires. La CSC en a fait un point essentiel de son mémorandum. D’autre part, un enjeu majeur échappe à la région : c’est l’enseignement. En tout cas dans la Communauté française, les investissements ne sont pas en adéquation avec les besoins. On laisse se développer un enseignement profondément inégalitaire, où des écoles dites d’élite côtoient des établissements dont les diplômes n’ont guère plus que la valeur d’un certificat d’inscription.

Presque tous les grands sujets de la région – l’emploi, la mobilité, l’environnement – dépassent les limites des 19 communes, qui ne correspondent pas aux dimensions de la ville en tant qu’entité urbanistique et socio-économique. Une coopération est nécessaire avec les autres régions. Celle-ci est à peu près inexistante avec la région wallonne. L’idée de « Communauté métropolitaine » prévue dans les lois de réforme, dort d’un sommeil profond, en raison de l’hostilité non dissimulée que lui voue la région flamande. Des accords modestes, mais basés sur un bon esprit de coopération, sont tout de même en train de se développer entre Actiris et le VDAB, pour permettre à des Bruxellois de maximiser leurs chances sur le marché de l’emploi en région flamande ou dans un environnement bruxellois néerlandophone. Par contre, quasi rien ne bouge quant au développement des transports en commun de et vers la banlieue, quant à l’utilisation pour les déplacements intrarégionaux des infrastructures ferroviaires, sans parler du survol de la ville par les avions au départ ou à destination de Zaventem.

En matière de logement, une ordonnance a amélioré la législation sur les baux, mais ne devrait pas changer fondamentalement le fait que le coût du logement à Bruxelles n’est pas en adéquation avec le revenu des Bruxellois. Ou si l’on préfère, le niveau des salaires belges est en adéquation avec le prix du logement en banlieue et en province, et non avec les prix en ville ; ou si l’on préfère encore, il semble plus facile pour les employeurs de rembourser des frais de déplacement que le surcoût occasionné par la vie en ville. Avec la problématique déjà signalée de l’enseignement, c’est sans doute la raison principale pour laquelle ceux qui en ont la possibilité désertent la ville.

C’est en matière d’emploi que la 6ème réforme de l’Etat a eu les effets les plus positifs, qui se traduisent d’ailleurs dans les chiffres. Il était logique de régionaliser des dispositifs qui s’étaient développés au fil du temps au niveau fédéral, sans guère de cohérence avec le choix, fait dans les années 1980, de rendre les régions compétentes en matière d’emploi. La région a ainsi accueilli de façon satisfaisante les « aides à l’emploi » (réductions « groupes-cibles », allocations de travail du « plan Activa », etc…).

L’implémentation de ces dispositifs s’est faite en bonne concertation avec les interlocuteurs sociaux. Non seulement ceux-ci sont consultés, mais ils sont directement associés à l’élaboration de la politique dans le cadre de la « stratégie 2025 » du gouvernement régional. Si cet esprit se maintient dans l’avenir, on peut espérer des bonnes solutions aussi pour les dispositifs dont la région a hérité, mais qu’elle n’a pas encore vraiment marqués de son empreinte, comme les titres-services, les ALE, le congé-éducation payé, la mise au travail par les CPAS, etc…

Plus controversée a été l’attribution aux régions de l’application d’une des notions centrales de l’indemnisation du chômage, qui est la « disponibilité pour le marché de l’emploi » : l’obligation d’accepter tout emploi convenable (disponibilité « passive ») et celle de chercher activement un emploi (disponibilité « active »). De l’avis général, les procédures mises en place à Bruxelles sont les meilleures (ou les moins mauvaises) des trois régions. Contrairement à ce qui existe en Flandre, la procédure de contrôle est clairement séparée de l’offre d’aide, ce qui permet au demandeur d’emploi de savoir exactement qui il a devant lui. Contrairement à ce qui existait à l’ONEm, certaines interactions existent entre les services, ce qui devrait éviter la situation, fréquente, où le demandeur d’emploi subissait des injonctions contradictoires entre les exigences de l’ONEm et ce qu’il peut attendre des régions. Cela n’empêche cependant pas que cette régionalisation soit un ver placé dans le caractère fédéral de l’indemnisation du chômage.

La communautarisation des allocations familiales est une absurdité. Bruxelles n’a malheureusement pas été en mesure de reprendre la gestion effective du système au 1er janvier 2019, comme les autres entités. Elle a commis l’erreur, malgré des avertissements des interlocuteurs sociaux, de vouloir faire coïncider la reprise administrative avec une réforme de grande ampleur. Ceci étant dit, cette réforme a désormais fait l’objet d’un accord, et on se permettra de trouver que le système bruxellois sera fondamentalement meilleur que les systèmes flamand et wallon. Ainsi, après une période transitoire relativement courte, et sous réserve du maintien des droits acquis, l’ensemble des enfants bruxellois seront assujettis à un seul système. Tandis qu’en Flandre et en Wallonie, le système actuel restera applicable aux enfants nés avant le 1er janvier 2019, ce qui signifie que deux systèmes cohabiteront pendant toute une génération.

Dans le domaine de la santé, il était cohérent de communautariser quelques petits dispositifs qui restaient, sans trop de logique, logés au niveau fédéral. Par contre, la communautarisation de secteurs de l’assurance-maladie (maisons de repos, une partie de la rééducation fonctionnelle) est source, notamment à Bruxelles, d’infinies complications, sans aucun bénéfice pour le patient.

A ce stade, tout ce qu’on peut dire est que l’esprit de concertation qui semble devoir régner dans les organes tout juste installés d’Iriscare, est plus positif que les échos que l’on entend de Wallonie et que le silence qui vient de Flandre, où la concertation paritaire a pratiquement été éliminée.

 

Conclusion
On ne sait pas, à ce stade, si les moyens supplémentaires et les compétences nouvelles apportées par la 6ème réforme de l’Etat, permettront de renverser les tendances à l’œuvre depuis plusieurs décennies : Bruxelles est le principal pôle économique belge ; c’est aussi, par exemple, le plus grand centre d’enseignement supérieur ; mais le statut socio-économique de sa population est en déclin. C’est lié au fait que, dans les villes belges comme dans les villes états-uniennes, mais au contraire de la plupart des villes européennes, les classes aisées vivent en banlieue –en dehors du territoire régional- tandis que les pauvres restent en ville. Plusieurs initiatives tentent d’améliorer la qualité de vie en ville, dans l’espoir d’y ramener la classe moyenne. L’enseignement francophone est un des gros obstacles pour que cette politique réussisse aussi à l’égard des familles avec enfants.

 

S’agissant des matières sociales, on se réjouira de l’esprit de concertation qui règne entre les interlocuteurs sociaux, et entre ceux-ci et le gouvernement. On espère que cet esprit permettra à la région d’assumer des compétences dont elle n’était pas demanderesse.

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