Schild en Vrienden, la N-VA et les politiques d’austérité, un combo gagnant?

Par Lola Cors et Sebastian Daglinckx
JOC Bruxelles

Septembre 2018 : un reportage de la VRT provoque émotion et retentissement dans le débat public belge. Un certain groupuscule de jeunes flamand.e.s nommé Schild & Vrienden, se retrouve alors au centre de l’attention politico-médiatique. Au-delà des beaux sourires, des carrures de spartiates, et des éloquents discours patriotiques (appelant notamment à « sauver la jeunesse flamande »), le reportage révèle la face B du groupuscule. Des discussions internes faisant l’apologie du nazisme, des crimes coloniaux, et révélant un programme résolument raciste, sexiste et anti-social.

Le moyen de prédilection de la jeune formation d’extrême-droite aurait été depuis plusieurs années déjà celui de l’infiltration dans les nombreuses structures participant à la vie politique et estudiantine flamande. Avant que le scandale n’éclate, on retrouvait ainsi plusieurs membres de l’organisation au sein du conseil de la jeunesse flamand, dans plusieurs partis politiques (N-VA et CD&V notamment), ou encore au sein du conseil d’administration de l’université de Gand où Dries Van Langenhove, leader de S&V, avait été élu représentant des étudiant.e.s.

Si la diffusion du reportage n’aura donc pas manqué de provoquer un tollé et d’entraîner l’expulsion de plusieurs de ces membres des organisations dans lesquelles ils s’étaient infiltrés, on remarquera toutefois que ces départs n’auront été que très rarement suivis d’une critique de fond du discours de ladite organisation d’extrême-droite. A l’université de Gand par exemple, après avoir fait bonne figure en expulsant Dries Van Langenhove (qui sera toutefois autorisé à terminer son cursus), le rectorat le remplacera aussitôt par son fidèle bras droit, Louis De Stoop…

La situation serait-elle révélatrice d’un certain malaise du monde institutionnel flamand face à ces questions ? « Peut-être pas si étonnant » diront certains, si l’on en juge du parti qui domine le paysage politique flamand depuis sa percée électorale de 2010…La N-VA, parti nationaliste, semble ainsi jouer elle aussi sur une corde raide, flirtant souvent à la limite des « dérapages » racistes de ses représentants. Peut-on pour autant la mettre dans le même sac qu’un Schild & Vrienden ? Ou la considérer réellement comme un parti fasciste ?

Si l’on en croit ses représentants, la réponse est sans équivoque… Interviewé sur les ondes de La Première, Théo Francken n’hésitera pas à déclarer que « le racisme c’est pour les idiots » et à condamner par la même occasion les propos tenus par certains des membres de Schild & Vrienden dans le cadre de leurs conversations privées. Mais ce que cette interview dit en substance, c’est surtout qu’il est préférable de soigner la manière dont on exprime ses idées politiques (aussi radicales soient-elles).

Dans une belle leçon de style, le secrétaire d’État à l’asile et aux migrations expliquera donc la différence essentielle entre le fait « d’attaquer, insulter des personnes individuelles avec une autre couleur de peau » et le fait d’organiser le contrôle, la répression, l’enfermement et la déportation à grande échelle des populations migrantes. La différence fondamentale entre les deux résidant dans le fait que la mise en place d’une politique migratoire ferme (et mortifère) relève elle d’une rationalité économique sans faille… Point d’alternative possible ici.

C’est un discours qui révèle bien la ligne assumée par le parti depuis son ascension fulgurante au pouvoir. La N-VA s’est ainsi spécialisée dans la capacité à dépasser systématiquement et chaque fois un peu plus, ce qui était autrefois généralement considéré comme la limite acceptable dans le champ politique. Le tout, une fois de plus, au nom de l’indépassable rationalité économique… Depuis cette position privilégiée, notamment au sein du gouvernement fédéral, le parti aura ainsi introduit entre autres : l’affaiblissement généralisé du système de sécurité sociale (en vue de sa régionalisation), de nombreuses coupes budgétaires dans les secteurs sociaux et éducatifs, un durcissement des politiques migratoires, des attaques répétées sur les droits sociaux visant à les réduire à un état minimal,… La liste est encore longue. Dans le même temps, cette politique fait la part belle aux avantages fiscaux pour les grandes entreprises, ne propose aucune solution à des questions qui pourraient paraître fondamentales pour renflouer les caisses de l’État, comme par exemple celle de la lutte contre l’évasion fiscale.

La plupart de ces mesures basent donc leur légitimité sur, d’une part, la division communautaire des travailleur.se.s de Belgique, et d’autre part, l’idée qu’ « il n’y a aucune alternative » à la situation politique et économique actuelle. Ce climat étant d’ailleurs entretenu abondamment par une propagande anti-mouvements sociaux et des attaques répétées contre toute forme d’organisation collective contre ces politiques d’austérité.

À ce stade, si l’on peut effectivement considérer que ces nombreuses mesures et la ferveur avec laquelle elles sont passées positionnent la N-VA radicalement à droite de l’échiquier politique, l’argument n’est peut-être pas suffisant pour qualifier le parti de fasciste. Un constat qu’on pourrait d’ailleurs étayer en regardant un peu plus loin dans l’histoire politique belge étant donné que nombre de ces mesures ont été préparées ou entamées sous des législatures précédentes par des partis tout ce qu’il y a de plus acceptables, voir même étiquetés « de gauche ».

Toutefois, si l’on y regarde d’assez près, il est intéressant de noter une fois de plus l’évolution des limites de l’acceptable. Ainsi, au début des années 90, de nombreuses formations politiques répondent à la poussée électorale du Vlaams Belang en reprenant une partie de leur discours sécuritaire et stigmatisant des populations immigrées pour tenter de récupérer un électorat en « perte de confiance ». La décennie en cours verra ainsi émerger de nouvelles mesures de contrôle et de répression résolument tournées vers les populations les plus précaires : contrats de sécurité, développement des centres fermés, des outils de techno-prévention, introduction de sanction arbitraires comme les SAC, ou de procédures judiciaires expéditives comme la comparution immédiate, voire, plus récemment, déchéance de nationalité (votée sans aucune opposition au Parlement fédéral) et déploiement de l’armée dans les rues (initiée sous le gouvernement Di Rupo), etc.

Ce développement sécuritaire se couple parfaitement avec l’affirmation de l’hégémonie néolibérale et du motto « There Is No Alternative ». Et c’est précisément ce processus qui, atomisant les masses en des sommes d’individus de plus en plus isolés, permet de leur faire penser que la seule solution à leurs malheurs est la compétition acharnée entre travailleur.se.s et entre nations. De ce fait, une voie royale s’ouvre aux élans nationalistes mettant en avant la prospérité économique nationale au détriment de toute forme de solidarité entre travailleur.se.s – une solidarité qui aurait bien vite pu dépasser ces frontières nationales.

Entre ce tournant néolibéral/sécuritaire des années 90 et les envolées nationalistes et anti-migrants de la N-VA, il y a donc une continuité sans faille. Le couple infernal de la crise économique mondiale de 2008 et des attentats en Europe et en Belgique a libéré de plus en plus une parole raciste et autoritaire dans le champ politico-médiatique. Malgré la technicité des discours qui permet de lisser des idées qui auraient autrefois été attribuées aux franges les plus radicales de l’extrême-droite, il s’agit donc bien de ne pas s’y tromper. Par son programme résolument anti-social, raciste, et sécuritaire, la N-VA – qui a pu surfer sur ces crises – présente des intérêts résolument opposés à ceux des travailleur.se.s, des minorités racisées et LGBT, ainsi que des femmes… A ce sujet, elle constitue ainsi un saut qualitatif sans précédent par rapport aux partis traditionnels.

La porosité des programmes et discours des partis traditionnels aux idées d’extrême droite est un constat que dresse également la Ligue des Droits de l’Homme en 2015, se basant sur des mesures issues du programme du Vlaams Belang, récemment mise en place par le gouvernement. La N-VA ne manque par ailleurs jamais une occasion de renforcer l’arsenal coercitif de l’État : engagement de centaines de nouveaux policiers, achat d’armes supplémentaires pour les agents de terrain, extension du port d’arme, extension des durée de garde à vue, introduction progressive de visites domiciliaires, etc. Une série de mesures qui, alliées à l’intensification des mesures anti-sociales, semblent nous préparer à un futur saut qualitatif supplémentaire.

Cette nouvelle étape viendra-t-elle de la N-VA ? Du Vlaams Belang à qui la N-VA avait siphonné les voix depuis 2009 ? Ou peut-être d’une nouvelle formation ouvertement d’extrême-droite ? Ou alors, se permettrait-on d’imaginer que les travailleur.se.s et toutes celles et ceux qui subissent ces politiques immondes finiront par constituer un bloc suffisamment fort pour refuser ces politiques néolibérales et la société répressive qui en sont la corollaire directe ?

Car si dénoncer l’extrême-droite et identifier les groupuscules dangereux est essentiel, cela n’est en rien suffisant. Ce qu’il nous faut à tout prix, c’est réussir à identifier les éléments de ces discours qui passent tous les jours sous notre nez au travers des politiques « banalisées » du néolibéralisme et qui contribuent à creuser chaque jour un peu plus notre propre tombe, celle des mouvements sociaux, de la résistance et de la dignité. Ce n’est qu’en s’unissant, au-delà des secteurs, des genres, des « races », des frontières, que nous pourrons contrer et tenter d’éradiquer les idéologies d’extrême-droite. Faute de quoi, elle ne cesseront de se renforcer… Il est plus que temps de s’y mettre !

 

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