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Rencontre avec Ambet Yuson • Projet Papyrus : Régularisation des travailleurs sans-papiers à Genève

Ambet Yuson, secrétaire général de la fédération internationale des travailleurs de la construction et forestiers a rendu visite le 29 août à la Ligue des travailleuses domestiques de la CSC Bruxelles. Syndicaliste militant résidant à Genève, il a témoigné de son expérience en tant que membre actif de la communauté philippine au projet pilote Papyrus de régularisation des travailleurs-euses sans papiers. Magali Verdier, animatrice au MOC de Bruxelles présente lors de cette rencontre s’entretient avec lui.

Magali Verdier : Pourriez-vous vous présenter ?

Ambet Yuson : Je suis philippin, habitant à Genève, et j’appuie la communauté philippine. Je suis également un syndicaliste, je suis le secrétaire général de construction et wood workers au niveau international. Evidemment, nous sommes en solidarité avec nos frères et nos sœurs qui travaille dans le secteur domestique.

MV : En tant que résidant à Genève, pourriez-vous nous parler de l’expérience Papyrus et quels points souhaiteriez-vous en relief pour le combat de travailleurs-euses domestiques ici à Bruxelles ?

AY : Le projet Papyrus a été mis en place dans le canton de Genève, pour la régularisation des travailleurs-euses domestiques, c’est un moyen pour ces personnes de travailler légalement à Genève, avoir accès à un appartement, avoir accès aux services de santé, avoir une place dans la société. C’est un programme appuyé par les syndicats et des ONGs. Ça été une lutte de 10 ans qui a une réponse du gouvernement qui a octroyé ce statut à environ 2400 travailleurs-euses. A la fin de cette année, il devrait y avoir 3000 personnes qui devrait avoir un permis de travail. Ce programme est très pragmatique, ce qui est exigé comme document est très simple. Pour ce faire, on doit prouver qu’on a une autonomie financière, que l’on a un certain niveau de français, un casier judiciaire vierge. Il n’y a pas besoin de la permission de l’employeur, ce qui est bien, si ces personnes ont une famille, les enfants doivent être là depuis au moins 5 ans et pour les autres sans famille 10 ans.

Un autre aspect ce programme, c’est que les syndicats en étaient partie prenante. Le syndicat suisse a fourni un service d’assistance, c’est important, parce que les travailleurs-euses ont peur de faire les démarches administratives, parce que si ce n’est pas correct, ielsont peur d’être expulsé-e-s. Donc, cela veut dire que le syndicat aide ces travailleurs et travailleuses à remplir le dossier pour s’assurer que tout soit en ordre au moment de le remettre aux autorités compétentes. Et le syndicat peut leur conseiller de ne pas remettre le document si cela n’est pas absolument sûr.

La communauté philippine a joué un rôle important en accompagnant les personnes, en fournissant des traductions en français et aussi en terme de solidarité en informant la communauté de ce qui se passait et les incitant à faire les démarches.

MV : Y avait-il d’autres communautés engagées dans ce processus ?

AY : Oui, bien sûr, il y avait la communauté latino, les portugais, les africains. Mais évidemment en tant que philippin, j’étais davantage investi dans la communauté philippine.

MV : Pourriez-vous nous en dire un plus sur la mobilisation ?

AY : Oui, cela a été une lutte comme je le disais de 10 années. Nous avons participé aux manifestations, nous avons appuyé le travail de lobbying à Genève et à Bern. Beaucoup de travailleurs-euses philippin-ne-s ont rejoint le syndicat parce qu’iels pensent que le syndicat est très important. La plupart des membres du syndicat ne sont pas suisses mais des migrants. Les syndicats fournissent des services, des infos légales, des documents nécessaires, de la traduction. Je me souviens de la première fois où le syndicat a appelé au début de la mise en place du programme en 2017 à une assemblée pour expliquer ce programme. Environ, 4000 personnes sont venues

MV : Avez-vous une idée de combien de personnes sans papiers n’ont pas eu accès à ce programme ?

AY : Je ne sais pas exactement. Mais une bonne indication de cela est la période Covid où des groupes de soutien fournissait de la nourriture, il y avait des queues interminables pendant des jours et des jours. Cela montre qu’à Genève, il y avait beaucoup de travailleurs-euses sans papier de l’économie informelle qui ne pouvaient pas de nourrir. Iels n’ont pas accès à allocations chômage. Le gouvernement a mis en place des systèmes d’aide à destination des sans-papiers qui n’avaient pas pu travail pendant la crise. Mais beaucoup n’ont pas osé de peur de sortir de l’anonymat. Dans notre expérience, le syndicat constitue une protection pour ces travailleurs-euses parce qu’ils ont peur. Mais, c’est très important pour la communauté philippine de garder un contact avec le syndicat

MV : Est-ce que ce programme a eu un impact sur la relation entre les travailleurs et leurs patrons ?

AY : Le programme Papyrus a eu un impact positif, parce que maintenant c’est un programme légal qui a sensibilisé beaucoup d’employeurs.

MV : C’est-à-dire ?

AY : C’est-à-dire qu’ils ont appris qu’ils ont l’obligation de payer le salaire légal, qu’ils ont l’obligation de cotisations pour les pensions, que l’on appelle AVS et qu’ils doivent garantir l’assurance maladie.

MV : Est-ce que le fait que les employeurs devaient payer les personnes davantage n’a-t-il pas été un obstacle pour certains employeurs ? Je vous pose cette question, parce que c’est un argument que certains employeurs pourraient rétorquer.

AY : oui, bonne question. Nous avons des conversations à ce sujet avec des travailleuses domestiques sans papier qui nous rapportent que les employeurs en payant bien les personnes en voit le bénéfice en termes d’efficacité de leur travail. Et puis, il n’y a plus d’inquiétude, les employeurs ne doivent plus se cacher. Et bien sûr, le gouvernement met en place les procédures pour que les employeurs régularisent la situation et paient correctement leurs employé-e-s. Ce que l’on entend, c’est qu’il n’y a pas eu beaucoup d’opposition. Cela donne une stabilité, parce que les employeurs ne veulent pas perdre leur travailleuses domestiques

MV : Vous avez rencontré la Ligue des travailleuses domestiques. Qu’aimeriez pointer comme éléments pour leur lutte et plus largement celles de toutes personnes sans papiers ?

AY : Je pense qu’il y a de l’espoir. Je pense que si l’on cible des responsables politiques qui sont sensibles aux travailleurs-euses sans papiers.. La deuxième chose, c’est d’organiser « nos troupes » afin que nous puissions négocier, on a du pouvoir si on est nombreux et le syndicat belge c’est vraiment très important.

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