Chine

Plus de liberté pour les mouvements sociaux en Chine ? Un « Win-Win » pour les travailleurs en Chine et en Belgique.

Par Stijn Sintubin,
Service Relations Internationales ACV-CSC

L’importante croissance économique, le développement et la modernisation extrêmement rapide de la Chine ont provoqué un vide social, selon Xi Jing Ping, l’actuel président du pays. Et ce vide social pourrait engendrer une plus grande instabilité sociale. Ce qui n’est pas exactement ce que le gouvernement chinois ou le Parti Communiste Chinois (PCC) aiment le plus…

Le PCC a déjà réagi, pendant sa 3ième session plénière en novembre 2013, en décidant de renforcer la participation du peuple à travers l’expansion des institutions de la société civile.

Mais qu’est-ce que ça veut dire ? S’agit-il d’un renforcement de la liberté des organisations sociales officielles ou d’une porte ouverte vers de nouveaux types d’organisations sociales en Chine ? Et quel rapport avec un partenariat entre un syndicats belge et chinois ? Qu’est-ce que ceci apporte aux travailleurs belges et chinois ?

En bref, quelles sont les organisations sociales en Chine ?

Traditionnellement les mouvements sociaux étaient des organisations caritatives mises sur pied par l’empereur ou son entourage, afin d’aider certain groupes de la population à survivre. Dans la nouvelle Chine, juste avant l’ère communiste, des organisations défendant les intérêts de différents groupes de la société ont vu le jour, parmi elles, des partis politiques.

Les communistes, pour qui les mouvements sociaux devaient servir à promouvoir une action collective et être  un outil de mobilisation, ont réorienté ces organisations traditionnelles. Les organisations créées par Mao étaient basées sur le système et les groupes de classe. C’est alors que les grands mouvements officiels liés au PCC ont vu le jour, comme, la Fédération Chinoise de la Jeunesse, l’Organisation Chinoise des Femmes, et la Fédération des Syndicats Chinois. Dès le début de la République Populaire de Chine, en 1949, ces organisations sont devenues des organisations de masse, organisant des centaines de millions de personnes, tout en soutenant de manière permanente la nécessité du PCC.

Depuis la réforme économique lancée par Deng Xiao Ping en 1979, des mouvements démocratiques et religieux se sont développés, à côté des organisations officielles du parti. Ces mouvements ont connu un succès important, devenant même une menace pour le PCC. Celui-ci a réagi de manière radicale vis-à-vis de ces mouvements, avec en 1989 le massacre de Tiananmen et en 1999, la répression contre le Falun Gong. La période allant des années 80 jusqu’à la fin des années 90 est donc marquée par l’intolérance totale envers les organisations non officielles et par un contrôle total des organisations officielles par le PCC.

Dès le début des années 2000, la croissance économique de la Chine démarre, et différentes organisations non gouvernementales et organisations sociales locales apparaissent, orientées principalement vers les services à la population, aux travailleurs migrants, et autour des thèmes sociaux (eau, pollution, lutte contre l’expropriation de terres et  contre la corruption,…). Au total, 460.000 ONG sont officiellement inscrites auprès du gouvernement, mais en réalité leur nombre dépasse les 2 millions.

Dans le PCC, 2 tendances existent envers ces mouvements sociaux : une ligne dure, les opposants, qui les voient comme des chevaux de Troie à travers qui les idées libérales de l’Occident et surtout les finances étrangères s’introduisent en Chine. Et une autre ligne, plus tolérante, qui les voit comme des outils aidant à contrôler la paix sociale dans le pays à condition que ces organisations soient actives au niveau local, restent petites et non politiques. Heureusement, c’est la dernière tendance qui est actuellement la plus forte…. Surtout pour les ONG en relation avec les mouvements sociaux officiels de la Chine.

Le syndicat en Chine, un syndicat « unique » – la Fédération des Syndicats Chinois (FSC)

La FSC est le mouvement syndical le plus grand au monde. Avec ses presque 300 millions d’affiliés, elle est plus importante que tous les autres syndicats du monde réunis[1]. La FSC rassemble au sein de sa structure  10 fédérations industrielles (l’équivalent des centrales à la CSC) et elle est présente dans 31 provinces avec plus d’ 1,2 millions de syndicats de base (dans les entreprises ou les communautés). Au total, plus de 4 millions de personnes travaillent à temps plein ou à temps partiel pour l’organisation. Mais la FSC fonctionne selon les critères chinois, loin de notre manière de voir le rôle d’un syndicat.

La FSC, créée en 1921, a depuis ses débuts pu compter sur l’appui des communistes. Son rôle est pleinement défini dans les années 50, dans une économie totalement collectivisée et de l’État. Chaque travailleur en Chine connaît en ce moment une prise en charge totale, «iron rice bowl». Le travailleur est protégé presque de sa naissance jusqu’à sa mort par les services de son « Danwei », son unité de travail. Le syndicat organise toute la vie dans le Danwei, de la vie économique (l’organisation du travail dans l’unité industrielle) jusqu’à culturelle (théâtre, cinéma,…) et sociale (service médical, services sociaux,…). Les organisations syndicales à cette époque sont les représentants à la fois des travailleurs et de l’employeur. Elles sont la courroie de transmission entre le PCC et les travailleurs et leurs familles.

Dès que Deng Xiao Ping ouvre l’économie, les entreprises étrangères entrent en Chine, amenant avec elles de nouvelles formes de management à l’occidentale, avec leur logique d’utilisation des ressources humaines bon marché pour un maximum de profit…. Évidemment la FSC ne sait plus comment réagir.

Des amalgames d’intérêts entre les responsables syndicaux, les responsables politiques et même les intérêts économiques de la Chine, un pays avec un haut niveau de corruption et en plus un syndicat incapable de s’organiser face à des entreprises modernes et privées, voici ce qui explique la faiblesse de la FSC dans la défense des droits et des intérêts des travailleurs chinois.

Heureusement les choses changent à la FSC… Avec le nombre croissant d’agitations et de manifestations sociales par des travailleurs migrants un peu partout en Chine, les responsables de la FSC commencent à comprendre que l’organisation syndicale doit devenir plus active dans la défense des intérêts des travailleurs. En même temps, les responsables politiques du gouvernement et au sein du PCC mettent la pression sur la FSC pour que le syndicat joue d’avantage un rôle d’instrument  de paix sociale.

Partout en Chine, des travailleurs manifestent pour dénoncer le mauvais fonctionnement de la FSC, et revendiquer plus d’augmentations salariales et d’améliorations des conditions de travail, une vraie représentation syndicale démocratique.

Apparemment, la FSC est en train d’expérimenter des élections directes dans les entreprises ; elle commence à séparer les intérêts des travailleurs de ceux des employeurs, à organiser des millions de travailleurs dans les entreprises (étrangères et chinoises) ; à entreprendre une immense campagne de négociations salariales, à déployer un énorme réseau de centres de services efficaces et ultra-modernes, à entamer un vrai dialogue social avec les entrepreneurs au niveau des entreprises et dans certains secteurs. Même  en Chine les dinosaures savent qu’ils doivent changer, s’adapter…. Ou ils mourront…

Une collaboration entre la CSC et La FSC

Dans les années 80 déjà, la CSC avait une collaboration avec la FSC. Les événements de la place Tiananmen ont refroidi les relations pour une dizaine d’années.

Des contacts ont été rétablis au sein de l’OIT, dans les années 2000 jusqu’à 2007, quand les 2 organisations ont jugé que le temps d’une vraie collaboration était revenu.

En 2011 la FSC invitait une délégation de haut niveau de la CSC pour formaliser la collaboration entre les deux organisations syndicales.  Un accord de coopération était signé et depuis, différentes activités conjointes ont eu lieu en Chine, en Belgique et ailleurs (des rencontres de haut niveau, des collaborations au sein d’institutions comme la Banque Mondiale, l’OIT, la participation et la co-organisation de multiples séminaires, la mise sur pied d’un groupe de travail Chine à la CSC,… ).

En 2014, une délégation de 15 personnes de la CSC a effectué une visite de 2 semaines à Guangzhou, Shanghai et Beijing, et avec cette visite la collaboration est entrée dans une nouvelle étape. Outre les relations entre la CSC et la FSC, les centrales professionnelles de la CSC et certains syndicats industriels de la FSC, ainsi que des régions se sont joints à notre collaboration.

Mais qu’est-ce qu’un travailleur en Chine et en Belgique gagnera de ce partenariat ?

Avant toute chose, les deux organisations syndicales ont voulu installer un vrai échange d’expériences et de bonnes pratiques ; ce n’est pas un partenariat paternaliste de la Belgique vers la Chine, mais un travail de renforcement mutuel entre syndicats égaux. Ce partenariat couvre différents thèmes: des négociations salariales, le dialogue social, les mécanismes d’indexation salariale, les normes et droits fondamentaux de l’OIT, la sécurité sociale et le rôle des organisations de travailleurs…

Ces travaux visent surtout à apprendre à se connaître, à construire la confiance entre les responsables et à mieux comprendre le contexte économique, social, culturel et politique dans lequel les deux syndicats doivent travailler.

Cet échange favorise un renforcement du syndicalisme en Chine et en Belgique, et donc une meilleure défense des travailleurs à long terme.

Avec la nouvelle dimension du partenariat depuis la visite d’avril 2014, nous pouvons commencer à travailler dans certaines entreprises belges, chinoises ou autres qui sont présentes en Belgique et en Chine. Ce travail peut faciliter le flux d’informations entre la Belgique et la Chine, au sein de ces entreprises transnationales. Nos deux syndicats peuvent commencer à se renforcer mutuellement dans ces entreprises avec peut-être à long terme, et c’est bien sur le but recherché, un soutien mutuel en cas de problèmes. Les syndicalistes belges dans une entreprise transnationale pourraient demander l’aide de leur réseau Chinois dans la même entreprise, pour certaines interpellations, négociations, actions etc. Ce type d’action, comparable au dialogue social européen, devient de plus en plus nécessaire dans un système économique mondialisé et aux mains des entreprises multinationales.

La porte ouverte par la 3ème session plénière du PCC indique donc que le syndicat chinois doit continuer son chemin vers un vrai syndicalisme de base qui défendra réellement les travailleurs. Dans le même temps, des outils d’entraide mutuelle seront à la disposition des syndicats des entreprises multinationales présentes en Chine et en Belgique.

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