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PHILIPPINES : Lutte acharnée pour de meilleurs soins de santé

Par Jeroen Roskams,
Asia Program Officer, We Social Movements

L’accès à des soins de santé abordables et de qualité n’est pas une évidence à travers le monde. Aux Philippines, l’Alliance of Health Workers (AHW), organisation partenaire de WSM, mène au quotidien une lutte acharnée contre la menace de privatisation des soins de santé, de même que contre la poursuite du démantèlement des conditions (déjà peu glorieuses) en matière de travail et de salaires du personnel employé dans les hôpitaux. Leurs expériences nous enseignent que de bons soins de santé vont de pair avec de bonnes conditions de travail pour le personnel de santé.

L’AHW est une alliance de syndicats actifs dans le secteur de la santé publique qui représente quelques 27.000 membres sur l’ensemble de l’archipel philippin : docteurs, personnel soignant ainsi que personnel administratif et technique des hôpitaux publics.

En 2018, la situation politique aux Philippines s’est détériorée. Le gouvernement philippin, sous le prétexte d’une guerre sans merci contre les trafiquants de drogue et les terroristes, a poursuivi sa répression contre les organisations de la société civile, les militants des droits humains et du travail et les peuples autochtones. La loi martiale a été imposée à l’ensemble de la région des Visayas et à Bicol, ce qui laisse craindre qu’elle ne couvre bientôt tout le territoire philippin. Les opérations militaires lourdes se sont également multipliées.

L’activisme social, la mobilisation et l’organisation des travailleurs deviennent de plus en plus difficiles et dangereux en raison d’un climat de violence aveugle et de meurtres extrajudiciaires. La réforme fiscale et la forte hausse du prix des produits de base qui en ont résulté ont touché principalement les travailleurs pauvres.

La mauvaise gestion impacte les patients démunis

Cela fait des années déjà que les soins de santé dans le secteur public aux Philippines souffrent d’un manque criant d’investissements, parce que le ministère de la Santé refuse de prévoir un budget suffisant pour les appareillages et infrastructures médicales. Qui plus est, les différents gouvernements successifs se sont efforcés, sous le dénominateur de « modernisation de l’infrastructure », de confier la gestion des hôpitaux publics à des sociétés privées. Et il s’agit bien souvent de grands conglomérats qui ne pensent qu’à faire des profits sur le dos des patients.

Les conséquences de ces décennies de mauvaise gestion se font ressentir, principalement au sein de la population la plus démunie dans les bidonvilles de Manille et d’autres grandes villes. Elle n’a pas accès aux hôpitaux publics, alors même qu’en vertu de la Constitution, ceux-ci sont censés garantir le droit de base aux soins de santé. Pour les plus démunis, il existe certes une sorte d’assurance maladie, baptisée « Philhealth », mais celle-ci est extrêmement onéreuse et elle ne couvre pas toutes les affections. En résumé, le patient ne bénéficie que d’un faible, voire aucun, remboursement de ses frais.

L’AHW s’oppose aux restrictions budgétaires imposées aux soins de santé dans le secteur public et à la privatisation des hôpitaux. Elle est ainsi parvenue à bloquer la privatisation du Philippine Orthopedic Center, le principal hôpital pour le traitement des troubles musculo-squelettiques. Au terme d’actions et d’une mobilisation forte des militants, les négociations entre l’État et l’acteur privé qui entendait exploiter l’hôpital ont été interrompues. Si cette collaboration public-privé avait abouti, elle se serait assurément soldée par des hausses de prix pour les patients.

Mais cela ne reste pas au niveau de manifestations et d’actions dans la rue : l’AHW a porté plainte devant la Cour Suprême dans l’optique de contrer la privatisation de 72 hôpitaux publics nationaux. Elle a par ailleurs déposé une proposition de loi au Parlement visant à interdire la privatisation des centres de santé publique. En 2018, les travailleurs de la santé et leurs organisations, parmi lesquels l’Alliance des travailleurs de la santé, ont obtenu un succès à la Chambre des représentants avec l’adoption de cette «loi interdisant la privatisation et la transformation en société des hôpitaux publics, des établissements de santé publique et des services de santé publique», qui affirme que «l’État doit assurer la protection et la promotion du droit à la santé de la population et mettre les biens, services de santé et autres services essentiels à la portée de tous à un coût abordable». Aucun hôpital public, établissement de santé ou service de santé ne doit être privatisé et 90% de la capacité totale en lits des hôpitaux publics doivent être alloués à des patients indigents / pauvres. Cependant, la loi ne peut être promulguée que lorsqu’un projet de loi similaire sera présenté et adopté au Sénat. Il y a encore du travail à mener !

Contre la « contractualisation »

En tant que syndicat, l’Alliance of Health Workers (AHW) s’investit en premier lieu aussi en faveur du personnel de santé. Des formations informent les membres des syndicats sur la législation du travail et les avantages auxquels peuvent prétendre les agents de santé. Les membres les plus engagés deviennent des militants et ils apprennent comment négocier avec le management de l’hôpital des conventions collectives de travail offrant de meilleures conditions et des salaires plus élevés. Sous la pression de l’AHW, le salaire moyen d’un-e infirmièr-e débutant-e a été augmenté d’un tiers en 2016 pour atteindre 26.192 pesos, soit 460 euros par mois. Et pourtant, le salaire minimum pour pouvoir vivre à Manille et y entretenir une famille s’élève à 32.000 pesos (572 euros). Raison pour laquelle l’AHW continue de mener campagne pour que les salaires minimums soient revalorisés.

Un autre fléau : l’usage fort répandu de contrats à court terme pour le personnel soignant. Non seulement il mine la sécurité d’emploi, car le personnel contractuel peut plus facilement être mis à la porte, mais il porte aussi atteinte aux conditions de travail et salariales. En effet, toute personne sous ce type de contrat de travail bénéficie d’un salaire moins élevé et de moins d’avantages, comme la sécurité sociale, que le personnel nommé. C’est pourquoi l’AHW négocie afin de conférer au personnel contractuel les mêmes droits que les travailleurs fixes et qu’elle collabore avec KMU, un autre partenaire syndical de WSM, en vue de mettre un terme à la loi permettant la « contractualisation ».

En 2018, l’AHW a touché quelque 110 920 agents de santé et patients philippins (dont 54% de femmes et 51% de jeunes). À travers les médias sociaux et le matériel de campagne, environ 100 000 agents de santé ont été informés des problèmes des agents de santé du secteur public, tels que la contractualisation et la privatisation des hôpitaux. Dans quatre hôpitaux, un nouvel accord de négociation collective a été ratifié avec un autre hôpital et des négociations sont en cours, créant potentiellement de meilleurs droits syndicaux pour 5127 agents de santé.

Pour l’AHW, la lutte en faveur de meilleurs droits pour les travailleurs et celle pour des soins de santé accessibles et de qualité sont un seul et même combat. Si le personnel de santé aux Philippines bénéficie d’un meilleur traitement, cela induit automatiquement une amélioration de la qualité des soins pour le philippin lambda.

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