Penser la grève dans l’isolement, la révolte des aides-ménagères

Depuis le mois de décembre 2019, le secteur des titres-services est en grève. Tous les deux ans, les organisations syndicales et la fédération des employeurs négocient l’augmentation sectorielle des barèmes salariaux. Réunis en commissions paritaires, la plupart des secteurs sont parvenus à négocier pour l’année 2019-2020 une marge salariale de 1,1%, mais pas celui des titres services. Dans la rue ou de chez elles, les aides ménagères se sont arrêtées pour demander respect et reconnaissance.

Rencontre avec Grace Papa, secrétaire permanente à la Centrale Alimentation et Services, porte-parole et témoin de première ligne.

Moc-Bruxelles : Comment se fait-il que le secteur des titres-services n’ait pas été augmenté ? Partir en grève était-il inévitable pour vous ?
Grace Papa : Dès la première réunion, la Fédération des employeurs du secteur était ferme, elle n’augmenterait pas les salaires. Pourtant, il s’agit déjà de l’un des salaires les plus bas en Belgique. On est à plus ou moins 11,5 euros brut de l’heure, alors qu’il s’agit d’un travail comptant parmi les plus durs. Le personnel rencontre des problèmes musculo-squelettiques. Du fait de mouvements répétitifs, le corps s’use plus facilement. Il s’agit d’un des secteurs où les accidents de travail, les maladies et plus particulièrement les maladies de longue durée sont les plus importants. Il y a trop peu de reconnaissance de la pénibilité du métier dans le secteur des titres-services. Alors quand les employeurs ont déclaré être dans l’incapacité d’augmenter les salaires, on parle de 13 centimes de l’heure, notre base a été ferme : nous devions porter notre mandat jusqu’au bout. Les aide-ménagères sont descendues dans la rue. Pour elles, c’est avant tout une question de respect. Elles sont 145.000 travailleuses et travailleurs. Un Belge sur cinq utilise des titres-services. Tout le monde est bien content que l’on s’occupe de son linge, de ses toilettes. Ce refus d’augmentation était avant tout un manque de reconnaissance et de respect. Elles sont déjà invisibles et invisibilisées, alors que la société belge, la population, ne pourrait pas s’en passer. Il y a donc eu un sentiment de révolte.

MOC-Bruxelles : S’agit-il d’une grève uniquement portée par des femmes ? Peut-on parler de grève féminine ?
Grace Papa : Dans le secteur des titres services, il est vrai que la majorité sont des femmes. Je ne parlerai pas pour autant de lutte uniquement féminine sachant qu’il y a également des hommes concernés par ces revendications. Néanmoins, les manifestations et les grèves, la révolte actuelle, est majoritairement portée par ces femmes qui étaient au-devant de la scène.


MOC-Bruxelles : Qu’est-ce qui explique que ce secteur reste majoritairement occupé par des femmes ?
Grace Papa : Malgré les évolutions et avancées poussées par les mouvements féministes et le combat des femmes au sein de la CSC, pour la plupart des gens, le ménage reste une compétence féminine. Par ailleurs, il s’agit, pour beaucoup d’aide-ménagères, de personnes peu scolarisées ou dont les diplômes ou qualifications ne sont pas reconnus. Les femmes auront alors souvent tendance à faire valoir leur compétence de foyer. Mais ce n’est pas la seule raison. Lors de la réinsertion sur le marché professionnel, même si ce n’est pas dit officiellement et de façon transparente, on aura tendance à rediriger automatiquement les femmes vers le ménage et les hommes dans le bâtiment ou le nettoyage industriel, sans même se demander si c’est ce qu’elles/eux souhaitent ou pourraient être en mesure de faire. Les mentalités n’ont pas encore assez évolué probablement. Par ailleurs, si pour les entreprises cela a peu d’importance qu’il s’agisse d’une femme ou d’un homme tant qu’elles reçoivent leur chèque, pour les particuliers il y aura généralement des réticences si c’est un homme. Il faudra plus d‘encadrement. La confiance s’installera moins rapidement.

MOC-Bruxelles : Cela semble être relativement inédit de voir les aide-ménagères entrer en grève. Y-a-t-il des facteurs qui peuvent expliquer cela ?
Grace Papa : Je dirais que l’isolement est le facteur le plus difficile pour ces femmes. Étant donné l’isolement, il est évident que les aides ménagères auraient plus de difficultés à devenir le fer de lance du syndicalisme. Elles n’ont pas l’habitude d’être au premier rang. Avant, elles ne voulaient pas faire de vagues. Mais aujourd’hui, elles commencent à prendre conscience qu’elles jouent un rôle important dans la société. On sent la révolte du fait de nettoyer ‘les baraques’ de riches, ministres et hauts placés, et de voir ces mêmes personnes pour lesquelles elles travaillent, ne pas les respecter en retour… On les entend dire : « C’est grâce à nous qu’ils jouissent d’un repas le soir, parce qu’on leur prépare leur petit plat. C’est grâce à nous qu’ils ont des toilettes propres, que leur chemise est repassée quand ils passent à la télé – il n’y a pas que des ministres, mais elles s’adressent à eux. C’est nous qui vous permettons de vous décharger de tout ça pour faire votre emploi. » Ça, c’est tout nouveau. C’est révolutionnaire, si je peux le dire ainsi. Il y a quelque chose qui est en train de se passer. Elles sont en train de prendre conscience que ce n’est pas parce qu’elles nettoient qu’elles ne jouent pas un rôle important, et à quel point les familles comptent sur elles. C’est quelque chose qu’il n’y avait pas avant.

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