Mouvements 8

Mouvements n°8 : Le mouvement Ouvrier, l’impérialisme et la guerre

Plutôt la vie

Par Céline Caudron

Secrétaire fédérale du MOC Bruxelles

Après plusieurs mois suspendu.e.s au rythme d’une pandémie mondiale, nous voilà, avec la guerre en Ukraine, témoins d’une nouvelle boucherie, cette fois d’une ampleur inégalée en Europe depuis 1945. Si, ici, nous ne vivons pas sous les bombes, nous ressentons l’onde de choc, et pas seulement à travers l’effet anxiogène d’un conflit qui se joue à quelques milliers de kilomètres. Des dirigeants confortés dans leurs élans sécuritaires, comme le gouvernement belge qui profite de ce contexte pour continuer à investir dans une armée au service de l’OTAN et d’une Union européenne qui s’éloigne toujours plus de l’idéal de paix sur lequel elle prétend se construire. Des prix de l’énergie qui s’envolent grâce à la magie des marchés toujours favorable à la multiplication des dividendes. Des millions de réfugié.e.s sur les routes d’Europe qui, cette fois, trouvent un accueil plus ou moins digne de ce nom dans des pays qui continuent pourtant de refuser droits et dignité aux milliers d’exilé.e.s refoulé.e.s et sacrifié.e.s chaque jour aux frontières de la forteresse. Vu d’ici, cette guerre fait frémir. Mais c’est évidemment avant tout pour les populations en première ligne des massacres, viols, destructions et exils que cette guerre est effrayante et catastrophique à bien des égards. C’est dans ce contexte que les Ukrainien.ne.s, femmes en première ligne comme souvent, organisent la résistance du quotidien, pour survivre mais aussi pour défendre leur souveraineté et leurs droits fondamentaux face à la domination russe et aux politiques antisociales qui ne datent pas d’hier.  

Comment comprendre ce qui se joue en Ukraine et sur le plan international ? Comment faire en sorte que les classes populaires parviennent à influencer le jeu et à changer la donne ? Au-delà de ses effets terriblement concrets, la guerre en Ukraine oblige les dirigeants des puissances impérialistes à actualiser leurs positions et leurs zones d’influence en défense de leurs intérêts géostratégiques, jouant sans scrupules de la surenchère nucléaire comme force de dissuasion. Dans le même temps, cette guerre interroge ainsi la solidarité internationale que nous, peuples de tous les pays, serions bien inspiré.e.s de renforcer avec celles et ceux qui résistent en Ukraine mais aussi en Russie pour défendre ensemble nos propres intérêts, ceux des travailleur.se.s, ici et là-bas.  

Pourtant, du côté des mouvements sociaux, et du mouvement ouvrier en particulier, le débat sur la posture à adopter face à cette guerre semble paralysé entre les images simplistes qui poussent à « choisir un camp » : celui d’un Occident ardent défenseur sans failles et sans reproches des libertés démocratiques versus celui d’une Russie courageuse résistante et vaillante pourfendeuse de l’impérialisme américain. Dans un tel portrait, les classes populaires ne font pas partie du tableau. Même en tâchant de mieux appréhender la réalité bien plus complexe, le débat se heurte aussi à des aspirations légitimes qui peuvent difficilement se concrétiser en même temps comme, d’un côté, la démilitarisation immédiate des budgets, des esprits et de la planète et, de l’autre, le soutien à la résistance du peuple agressé qui passe, notamment, par les armes étant donné l’état du rapport de force face à un envahisseur qui est aussi l’une des principales puissances militaires mondiales.  

Il n’y a pas de réponse toute faite. Mais entendre les premiers.ère.s concerné.e.s, appuyer l’auto-organisation des populations opprimées et leurs stratégies pour faire gagner notre camp social en barrant la route à l’extrême droite restent des préalables indispensables pour tisser des solidarités horizontales, directes, par en bas, avec celles et ceux qui partagent nos intérêts de classe.   

Le défi parait insurmontable. Mais il est pourtant possible de le remporter. Le capitalisme, confronté à ses multiples crises structurelles, a démontré par lui-même que ses rails ne sont pas indéboulonnables. Au moment de la crise sanitaire, une grande partie de l’économie a été mise à l’arrêt et des budgets supplémentaires ont été débloqués pour répondre aux impératifs de santé publique. Quelques jours après le début de l’invasion en Ukraine, les fortunes d’« oligarques » russes ont été gelées sur les marchés internationaux et plusieurs pays européens ont été capables d’organiser un accueil décent pour les réfugié-e-s ukrainien-ne-s. Bien sûr, tant que les classes dirigeantes restent à la manœuvre, tous ces changements restent temporaires et limités à ce qui est nécessaire au maintien et à la relance du système. Ensemble, il nous appartient de reprendre les commandes, ici et là-bas, pour élargir ces brèches qui se multiplient et faire, enfin, gagner le front du vivant face à ce système mortifère 

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