Bruxelles 8 mars 2021

Mouvements n°3 – La santé, enjeu de luttes

Gilles Maufroy
CIEP-MOC Bruxelles

Mars 2021 : cela fait un an que l’humanité vit au rythme de la pandémie. Celle-ci a déjà fait plus de 22000 victimes en Belgique, des millions à l’échelle de l’humanité et ce n’est pas fini. Alors, forcément, depuis un an, la santé est revenue au cœur de nos préoccupations. Le MOC Bruxelles a organisé sa journée annuelle de réflexion en la mettant en débat, menant au présent numéro de Mouvements, qui ne saurait couvrir l’ensemble des aspects du sujet.

Comme toute notion dans une société traversée par l’exploitation et les oppressions, « la santé » n’est pas neutre. Notre entretien avec Fanny Dubois et plusieurs articles reviennent sur ses aspects de classe, de genre et d’assignation raciale. Les gouvernements nous parlent beaucoup, ces temps-ci, de notre « responsabilité individuelle », alors qu’avec leurs pénuries de tests, de masques et bien sûr, de vaccins, ils laissent leur responsabilité dans les mains bien visibles du marché capitaliste et des grandes entreprises privées…Ces dernières gèrent conformément à leur ADN : la course au profit et l’accumulation du capital. Tant pis pour les millions de victimes, tant pis pour la majeure partie de l’humanité dans le « Sud global » qui ne voit pas encore l’ombre de vaccins à l’horizon, au risque de prolonger encore longtemps la pandémie. Dans le même temps, l’Union européenne et le Royaume-Uni s’écharpent pour des doses de vaccin AstraZeneca. La santé humaine globale, moins importante que la sacro-sainte propriété privée ? Le « chacun pour soi » libéral produit le fiasco sanitaire.

La santé est un enjeu de classe : en Belgique, la bataille pour le droit de retrait et l’autonomie de la classe travailleuse dans la protection de sa santé fait rage. « Le maître-mot est la prudence », nous dit le Premier ministre De Croo. Fort bien. Mais où est la prudence quand les gouvernements ont systématiquement priorisé le trio du commerce, de l’industrie et, puisqu’il fallait libérer les travailleur.se.s, des écoles ? Prudence, quand les entreprises enfreignent joyeusement les règles et que le télétravail est à peine contrôlé ? Dans le même temps, des services de première ligne, tels que des maisons de jeunes, l’éducation permanente ou des services administratifs à la population étaient fermés. On fait mine de ne pas voir l’évidence : face à la pandémie, des choix de société doivent être opérés en permanence et un régime capitaliste ne peut contenter tout le monde. Nos gouvernements ont donc préféré sacrifier la vie démocratique – les manifestations sont soumises à un régime d’exception – culturelle et sociale pour préserver au maximum l’économie sans ponctionner les grands patrimoines et les bénéfices. Il va de soi que nos priorités sont tout autres.

Après une première et une deuxième vague gérées de façon catastrophique, en fermant trop tard et en rouvrant très tôt sans moyens adéquats, les libéraux viennent instrumentaliser la santé mentale pour « libérer » d’autres secteurs, faute d’autres solutions dans leur chef. Oui, notre santé mentale est mise à l’épreuve, dans toutes les générations, des maisons de repos et travailleur.se.s de nombreux secteurs, aux mamans solo, en passant par la jeunesse. C’est le produit logique d’une crise historique, ainsi que de la précarisation grandissante dans la société et l’absence de perspectives pour de larges couches de la population. Pourtant les racines écologiques et systémiques de la pandémie sont reléguées aux revues spécialisées et la timidité des mesures dans ces domaines n’a d’égal que les grandes formules lénifiantes des sommets de l’ONU sur le climat. « Circulez, rien à voir » ? Le retour de boomerang risque d’être à nouveau douloureux.

Cette crise, qui est aussi sanitaire, vient donc jeter une lumière crue sur des problèmes structurels du système de santé, y compris en Belgique, avec une marchandisation rampante, dans les maisons de repos et les hôpitaux, qui semble à première vue inefficace du point de vue de la santé publique mais qui a tout son sens du point de vue de la santé des comptes des actionnaires. Les multiples contradictions du système ne peuvent se régler d’elles-mêmes spontanément. Pour changer de cap, il est nécessaire de s’organiser et d’entrer en lutte. La période actuelle est l’occasion de remettre le monde à l’endroit, en partant de l’essentiel, du travail du soin envers les autres et envers la Terre. Une perspective défendue entre autres par Aurore Kœchlin dans ce numéro. Il devient alors possible de rassembler largement nos forces et nos luttes, avec les syndicats et les mouvements sociaux, autour de cette perspective pour le soin et la santé globale, par et pour les soignant.e.s et les soigné.e.s. Nous pouvons le faire en nous basant sur des modèles aux antipodes de la complexité bureaucratique et de l’autoritarisme de la gestion sanitaire actuelle. Les exemples des maisons médicales, des initiatives horizontales comme Stent.care, également discutés dans ce numéro, nous fournissent une inspiration vers une autre politique, démocratique et sociale. Après tout, en cette année 2021, nous célébrons aussi les 150 ans de la Commune de Paris, où les travailleur.se.s sont partis à l’assaut du ciel et ont, l’espace de quelques semaines, repris collectivement leurs vies en mains. Un rappel du fait que les luttes de ce début d’année 2021, pour des salaires suffisants, pour le droit au logement, pour une existence légale et des papiers ou contre les violences policières, sont également des luttes pour la santé de tou.te.s.

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