Police2

Mesures sanitaires, répression et démocratie

Par Olivier Stein
Progress Lawyers Network

Lors d’une grande conférence de presse consacrée au déconfinement en avril 2020, Sophie Wilmès, alors Première Ministre, précisait comme une évidence que : « Tout ce qui n’est pas autorisé n’est pas permis ».

Une inversion de la règle fondamentale en démocratie selon laquelle « Tout ce qui n’est pas interdit est permis ».

Elle formulait là une logique qui semble avoir été celle du gouvernement tout au long de la gestion de la crise sanitaire.

Au début de cette crise, en mars 2020, des mesures de restrictions importantes des droits fondamentaux ont été prises sur base d’un arrêté ministériel ce qui constituait, selon un nombre impressionnant d’éminents juristes, une « violation manifeste des principes élémentaires de notre système démocratique »[1]. Il s’agissait de faire une interprétation très inventive et éloignée du texte d’origine de la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile pour accorder des pouvoirs extrêmement vastes au ministre.

Ce n’est qu’en juillet 2021, qu’une loi a été prise visant à rendre légales (mais sans doute pas constitutionnelles) des mesures qui ne l’étaient pas.

Si la nécessité qui existait à l’époque de prendre des mesures urgentes et fortes paraît peu discutable, on aurait pu espérer que le gouvernement et le pouvoir législatif aient la préoccupation de préserver en parallèle autant que possible les règles démocratiques. Le fait que plus d’un an et trois mois puissent passer avant qu’une loi intervienne est la preuve que cette préoccupation n’était pas suffisamment présente.

Par ailleurs, des lois accordant des pouvoirs spéciaux au gouvernement ont été prises. Dans ces lois, plusieurs constitutionnalistes constatent que ces « pouvoirs spéciaux ressemblent furieusement à des pleins pouvoirs »[2]. Une suspension de la démocratie, de la séparation des pouvoirs et des droits fondamentaux.

Durant cette crise sanitaire, tout s’est donc passé comme si les règles fondamentales de la démocratie  étaient des formalités ennuyeuses qui pouvaient être écartées par le gouvernement quand il le jugeait nécessaire.

Cette logique s’est diffusée dans une grande partie de l’appareil d’état.

Lors d’une manifestation du collectif la Santé en Lutte du 13 septembre 2020, certains policiers se sont cru investis du droit de trier les manifestants : d’une part ceux qu’ils jugeaient légitimes et d’autre part ceux qu’ils empêchaient de manifester. Dans la presse, un témoin a entendu les instructions suivantes données aux cordons de policiers : « On laisse passer le personnel de santé et on garde les gauchistes »[3]. Un commercial rapporte avoir été relâché après avoir reçu un coup de matraque parce que le commissaire en charge de la manifestation a estimé qu’il n’avait « pas le profil ». Certains de ceux qui ont été considérés comme des gauchistes ont subi des violences injustifiables.

Lorsque le collectif la Santé en Lutte a voulu interpeler le Bourgmestre de Bruxelles en conseil communal concernant ces violences, la Ville a invoqué divers prétextes administratifs pour empêcher cette interpellation. Voyant que ces prétextes administratifs n’étaient pas exacts juridiquement c’est à nouveau en invoquant la crise sanitaire que le Bourgmestre a évité de devoir répondre à l’interpellation citoyenne[4].

C’est aussi en se référant à la crise sanitaire qu’une manifestation du groupe « Gauche anticapitaliste » a été interdite en décembre 2020. La Zone de police, suivie par le Bourgmestre de Bruxelles, a affirmé sans la moindre preuve ou élément quelconque que ce groupe était impliqué dans des incidents lors de manifestations précédentes. Aucun membre du groupe n’a pourtant été ne serait-ce qu’interrogé concernant de prétendus incidents suite aux manifestations en question.

Quelques temps plus tard, le 24 janvier 2021, le Bourgmestre de Bruxelles prenait argument de cette même situation de pandémie pour ordonner d’arrêter les personnes qui se trouvaient pacifiquement à la dislocation d’une autre manifestation. Approximativement 100 personnes avaient participé à cette manifestation contre la « justice raciste » et la « justice de classe ». 232 personnes ont été arrêtées… Soit deux fois plus d’arrêtés que de manifestants[5]. Parmi ces centaines de personnes de nombreux témoignages de violences ont été rapportés dans la presse. Alors que le seul motif de leur arrestation était de les empêcher de se rassembler, les personnes arrêtées ont été longtemps agglutinées dans la rue, emmenées en groupes compacts dans les fourgons et entassées dans des cellules surpeuplées (jusqu’à 30 personnes d’après l’article cité).

Au regard de ce qui précède, on peut faire plusieurs constats.

Un premier constat est que les mesures ne s’appliquent pas de façon uniforme : certaines personnes ou certains groupes sont perçus comme légitimes alors que d’autres voient leurs droits fondamentaux davantage limités sur base d’un jugement politique des autorités. Ce constat doit inciter à la vigilance parce que cette application différenciée des règles peut invisibiliser les atteintes portées aux droits en question.

Au autre constat, essentiel est que l’atteinte aux règles démocratiques et aux droits fondamentaux qui a été réalisée durant la crise sanitaire a été bien au-delà de ce que la crise en question rendait nécessaire et que la crise sanitaire a plusieurs fois été invoquée par opportunisme par les autorités qui évitaient ainsi d’avoir à justifier autrement les mesures prises.

Ceci est particulièrement regrettable.

Alors que, dans une situation de crise, il peut être nécessaire d’adapter les principes pour répondre à cette situation de façon rapide et efficace, on obtient, par contre, un effet parfaitement inverse quand on prend prétexte de cette crise pour prendre des mesures qui ne sont pas celles indispensables pour lutter contre cette crise.

Dans le cas d’espèce, on affaibli la démocratie aussi bien dans sa légitimité auprès du public que dans l’efficacité des garde-fous contre les abus de pouvoirs et, en même temps, on agit de manière contreproductive puisqu’on délégitime en même temps celles des mesures qui peuvent être effectivement nécessaires pour lutter contre la pandémie.

[1] Par exemple voyez cet article où 46 juristes dénoncent cela : « Coronavirus : le retour à l’Etat de droit est une urgence absolue » ; http://www.droitbelge.be/news_detail.asp?id=1034

[2] M. Verdussen, La Constitution belge face à la pandémie de Covid-19, https://confluencedesdroits-larevue.com/?p=1354 et les références citées par lui.

[3] Un récit de ce tri et de ces violences peut être retrouvé dans un article du journal Le Soir. Il s’agit d’une enquête de Arthur Sente et Mathilde Simoën du 22 septembre 2020 ; https://plus.lesoir.be/326867/article/2020-09-22/sante-en-lutte-itineraire-dun-deploiement-policier-qui-fait-mal

[4] https://lasanteenlutte.org/les-responsables-politiques-ne-peuvent-continuer-a-cautionner-les-violences-policieres/

[5] Un récit très détaillé contenant les accusation très graves portées par certains manifestants contre des policiers peut être retrouvé dans Paris Match Belgique. Il s’agit d’une enquête de Michel Bouffioux du 22 avril 2021 ; https://dossiers.parismatch.be/les-casernes-de-la-honte/

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