Athit Kong - credit WSM

Made in Cambodia : les impacts de la crise Covid sur les travailleur.se.s du secteur de l’habillement

Propos recueillis par Ate Hoekstra

PHNOM PENH – Avec quelques 800.000 travailleur-euses, l’industrie du textile est l’un des secteurs d’activité les plus importants du Cambodge. Mais la crise économique provoquée par le coronavirus bouleverse profondément ce secteur. Athit Kong (39 ans), président du syndicat cambodgien C.CAWDU, en voit les conséquences tous les jours. Il parle de la situation pendant la crise sanitaire et de ce qui le motive personnellement dans son travail syndical.

« J’avais 18 ans quand je suis allé travailler dans une usine moi-même”, dit Athit. “Ma famille était pauvre et il n’y avait pas de travail dans mon village. Un ami savait qu’il y avait du travail à l’usine, alors je suis allé avec lui. »

Pourquoi avez-vous adhéré au syndicat à l’époque ? 

«Il y avait beaucoup de problèmes à l’usine à l’époque. Les salaires étaient peu élevés et les travailleur-euses s’évanouissaient souvent, sans compter qu’il y avait souvent des problèmes avec la direction chinoise. Je voulais faire quelque chose pour aider mes collègues et moi-même. »

Le travail syndical peut être dangereux au Cambodge. De nombreux militantes et militants syndicaux cambodgiens sont intimidés, agressés physiquement ou arrêtés. Avez-vous déjà eu peur ? 

« Oui, c’est le cas. Peu après que je me sois affilié à C.CAWDU, des hommes plutôt costauds et armés m’ont emmené au bureau de l’usine la nuit et ont tenté  de m’intimider. Un moment terrible ! Aujourd’hui encore, il y a des moments où je ressens de la peur. Mais j’essaie de rester vigilant et de m’assurer que j’ai pris les bonnes décisions. »

Vous êtes père de quatre enfants. Que leur racontez-vous de votre travail ? 

« Mes enfants me demandent parfois ‘C’est quoi, C.CADWU?’. Comme ils ne comprennent pas le mot ‘syndicat’, je leur ai expliqué que nous ne devons pas travailler uniquement pour nous-mêmes. Nous devons aussi aider les autres qui sont dans le besoin.  C’est une façon utile de vivre notre vie. »

La centrale syndicale C.CAWDU compte plus de 50.000 membres. Que faites-vous pour eux?

« Nous avons trois objectifs principaux. Tout d’abord, nous voulons expliquer à nos membres la loi sur le travail et leurs droits. Ensuite, nous négocions les salaires et les conditions de travail avec les employeurs. Enfin, nous faisons du plaidoyer auprès du gouvernement en faveur de l’amélioration des conditions de travail. »

Y parvenez-vous encore aujourd’hui, en cette période de crise?

« Les résultats ne sont pas aussi bons qu’avant. Nous l’avons par exemple vu lors des récentes négociations sur le salaire minimum. Ces dernières années, chaque ouvrier-ère avait droit à une augmentation salariale de huit à quinze dollars américains par mois chaque année. En 2021, par contre, le salaire minimum n’augmentera que de deux dollars. »

Quel est l’impact de la crise du COVID-19 sur l’industrie de l’habillement au Cambodge?

« L’impact direct, c’est que les travailleur-euses perdent leur boulot. Plus de 200.000 travailleur-euses sont suspendu-es et plus de 15 usines ont entre-temps officiellement fermé leurs portes. Les allocations légales, telles que l’allocation d’ancienneté, ont été réduites. »

Comment est-ce possible?

« Un employeur dont le carnet de commandes est vide peut décider de suspendre ses activités. Dans ce cas, la loi prévoit que l’entreprise peut rester fermée pendant deux mois, mais certaines usines restent fermées pendant quatre à six mois. Cette question continue de susciter de gros débats. Est-ce légal ou non? Et qui est responsable du paiement? Nous avons aussi vécu le cas d’une entreprise qui demandait une suspension alors que les travailleurs estimaient qu’il reste beaucoup de travail à accomplir. Cela suscite des interrogations. »

Lorsqu’une entreprise suspend ses activités, les ouvriers ne touchent plus que 70 dollars par mois (59 euros), 30 dollars à charge de l’employeur et 40 dollars à charge des pouvoirs publics. Est-ce suffisant?

« Aujourd’hui, le salaire minimum est de 190 dollars (161 euros) par mois. Si on y inclut les différentes primes, un-e travailleur-euse du textile gagne en moyenne 220 ou 230 dollars par mois. En cas de suspension, les ouvriers ne touchent que 70 dollars par mois, c’est beaucoup moins de la moitié de ce qu’ils gagnent normalement. En fait, c’est juste assez pour payer le loyer et acheter un peu de nourriture. Donc, non, ce n’est pas suffisant. Il est inhumain de donner seulement 70 dollars quand les gens doivent prendre soin d’eux-mêmes et de leur famille. »

Nous avons également entendu parler de marques de vêtements qui annulent des commandes parce que des magasins ont fermé en Occident. Cela a-t-il été un gros problème ? 

« Oui, en effet et cela a entrainé de très fortes réactions de la part des employeurs et des organisations patronales. Il était immoral que les marques annulent des commandes alors qu’elles avaient encore des accords avec les fournisseurs. Pour ce motif, les syndicats aussi ont exercé de fortes pressions sur les marques. Certaines, mais pas toutes, ont annulé leur décision. »

Que peut faire C.CAWDU pour aider les ouvriers et ouvrières, durement touché-es par la crise? 

« Notre priorité actuelle consiste à demander aux pouvoirs publics de ne pas retarder la subvention d’ancienneté et de ne pas retenir de primes de licenciement lorsqu’une entreprise ferme. Deuxièmement, nous voulons qu’en cas de suspension, les marques de vêtements paient 40% du salaire minimum. Cette somme correspondrait à 76 dollars; elle s’ajoute aux 70 dollars que les ouvriers touchent aujourd’hui. »

De nombreux vêtements produits au Cambodge sont vendus en Occident. Que voudriez-vous dire aux consommateur-trices occidentaux-ales? 

« Je pense que pour le/la consommateur-trice, l’achat de marques et de vêtements doit être le résultat d’un choix réfléchi. Regardez dans quels pays les marques produisent, et si elles-mêmes et les pays en question respectent les droits du travail. Heureusement, grâce aux réseaux sociaux, les consommateur-trices sont bien mieux informé-es qu’avant. »

C.CAWDU dispose de partenaires puissants en Belgique. Avez-vous un message à leur adresser?

« Je pense que nous avons fait de bonnes choses ensemble, mais nous devons en faire plus. Nous avons maintenant des ressources financières et des connaissances, mais nous avons besoin de plus de coordination. Les syndicats du monde entier et les personnes qui veulent soutenir les travailleur-euses peuvent apporter une contribution plus importante. Nous devons améliorer la façon dont nous organisons nos ressources et nos forces afin de devenir plus forts. »

Nous traversons des moments difficiles. Comment vous motivez-vous, vous et vos collègues, pour continuer à avancer? 

« Nous devons unir nos forces et nos moyens afin de devenir plus forts. La centrale C.CAWDU a connu des échecs, mais aussi des victoires. En ces temps où nous traversons des difficultés, nous n’avons pas d’autre choix que de nous unir et de devenir plus forts ensemble. »

Et pour vous, personnellement ? 

« Puisqu’une vie ne dure pas très longtemps, nous devons l’utiliser intelligemment. Il n’y a rien de mal à désirer de bonnes conditions de vie mais partagez cette joie et ce bonheur avec d’autres ! C’est une vision qui me motive, et que je partage avec mon équipe. »

ENCADRE :

Athit est président de C.CAWDU

C.CAWDU, centrale syndicale d’Athit Kong, est partenaire de la CSC et de WSM. Elle défend les droits des travailleurs et travailleuses de l’habillement au Cambodge. Grâce aux formations données par le syndicat, les travailleur-euses sont plus à même de défendre leurs droits. C.CAWDU négocie les conventions collectives au niveau des entreprises : salaire vital, primes et indemnités de maladie, congés, pensions et conditions de travail. Avec le gouvernement cambodgien, C.CAWDU plaide pour un salaire minimum plus élevé et tire la sonnette d’alarme en cette période de crise sanitaire. Cette année, grâce à un soutien de 5.000 euros de WSM, C.CAWDU a pu entamer des poursuites judiciaires pour les travailleuses et travailleurs dont l’usine a été définitivement fermée, qui ont été licencié-es abusivement ou qui ne perçoivent plus de cotisations et qui, par conséquent, vivent sous le seuil de pauvreté.

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