6.2 lobby 1

L’Union Européenne des lobbys

Pascoe Sabido
Corporate European Observatory

Dans le reste de l’Union Européenne (UE), Bruxelles a la réputation d’être une ville grise et bureaucratique. Mais ne vous inquiétez pas « les bruxellois.es », ce n’est pas de votre faute. Pour la majorité des gens qui y vivent et travaillent, Bruxelles est un endroit dynamique, enthousiasmant et rempli d’activité politique vibrante, mais si vous vous déplacez vers l’Est vous trouverez le spectre de verre et d’acier du quartier européen. Dominé par l’Union Européenne et ses trois instituions (Commission, Conseil et Parlement), le quartier européen abrite aussi un autre animal : les lobbyistes. Jusqu’à 30’000 d’entre eux, majoritairement des hommes blancs dans la quarantaine (ceux qui ont du pouvoir en tous les cas), se consacrent à influencer les lois et les règlementations de l’UE. Ce nombre s’explique par la quantité de lois nationales –la moitié – dont l’UE est aujourd’hui responsable. Ces institutions sont donc une cible attrayante pour ceux et celles qui veulent influencer les règles en leur faveur. Mais que veulent-ils et comment l’obtiennent-ils ?

Que veulent les lobbyistes de Bruxelles ?

A peu près 70 pourcents des lobbyistes représentent des intérêts commerciaux ou d’entreprises privées. Pour certains, cela signifie qu’ils travaillent directement pour une entreprise, comme BNP Paribas ou ENGIE (deux géants belges de la finance et de l’énergie). D’autres travaillent pour des fédérations commerciales, comme la fédération européenne des banques qui représente non seulement BNP Paribas – qui en est membre – mais aussi tout le secteur bancaire européen. Beaucoup travaillent aussi pour des bureaux de consultance qui pourraient donc avoir ENGIE ou BNP Paribas comme client.

Les lobbyistes veulent ce qui est meilleur pour leurs clients, membres ou employeurs. Concrètement, ‘le meilleur pour leurs clients’ signifie se débarrasser de toutes les barrières qui les empêchent de faire plus d’argent. Ces barrières peuvent être des normes de protection de la santé ou de sécurité qui sont couteuses pour les entreprises, devoir payer des salaires décents ou respecter les droits des travailleurs, des règles sur les pratiques risquées des banques, ou encore les limitations de émissions de carbone qui détruisent le climat. Malheureusement pour nous, ces ‘barrières’ représentent souvent des conquêtes sociales, économiques et environnementales, qui sont les fruits de longues luttes. Ces règlementations sont là pour protéger la population. Ce ne sont pas des barrières. Mais ça dépend évidemment de qui vous écoutez.

Les grandes entreprises dépensent d’importants budgets en lobbying pour essayer d’influencer les législateurs à leur être favorables. BNP Paribas emploie 14 lobbyistes et a dépensé jusqu’à 1 million d’euros par an en lobbying au cours des 5 dernières années[1]. ENGIE de son côté emploie 12 lobbyistes et a dépensé 2 millions d’euros l’année dernière[2]. En 2012, elle a dépensé le double. Pour les secteurs de la finance et des énergies fossiles (le gaz en particulier[3]), l’industrie dépense 30 fois plus que les syndicats, les ONG et la société civile réunis. En d’autres mots, pour chaque euro dépensé par des groupes représentant l’intérêt commun, l’industrie en dépense 30. Et le biais se situe aussi sur l’accès. Seuls 5% des consultations des haut dirigeants de la Commission Européenne se font avec des syndicats contre 70% avec des lobbyistes des entreprises[4].

 

Comment l’obtiennent-ils ?

 L’UE est le paradis des lobbyistes : un labyrinthe de procédures et d’individus technocratiques avec une multitude d’opportunités de les influencer. Tout commence avec la Commission Européenne, là où les lois européennes naissent : de nombreuses entreprises demandent et obtiennent des sièges dans les groupes d’experts qui soumettent des avis à la commission. Après la crise financière, un cadre supérieur de BNP a présidé un groupe très important. Le groupe a même pris son nom, le groupe De Larosière. Avec d’autres grandes banques comme Citi Group et Goldman Sachs, ce groupe devait réformer les réglementations du secteur bancaire pour réagir à la crise financière. Malheureusement aucune de ces banques n’était vraiment intéressée par des solutions de fond qui pourraient affecter leurs profits. Leurs avis étaient défavorables à de quelconques changements structurels, tels scinder les grandes banques par exemple, et le secteur bancaire est aujourd’hui toujours dangereusement dérégulé.

Ensuite, lorsque les lois proposées par la commission arrivent au parlement européen, il existe à nouveau de multiples façons de les influencer. La plus simple est de proposer des amendements à des parlementaires complaisants envers les/votre entreprise. L’euro-parlementaire MR Louis Michel (père de l’actuel premier ministre Charles Michel et ancien ministre belge), a par exemple copié-collé des centaines d’amendements de l’industrie. Lorsque des journalistes d’investigation l’ont pris la main dans le sac, il a remis la faute sur son pauvre assistant[5] qui a finalement été contraint de démissionner. Si les amendements ne fonctionnent pas, pourquoi ne pas simplement engager directement un.e parlementaire? L’ancien premier ministre belge, le libéral Guy Verhofstadt, cumule dix emplois secondaires[6] avec sa fonction de député européen, y compris directeur du holding d’investissement Sofina. Au total, il a gagné presque 1,5 millions d’euros pendant cette législature.

Finalement, le lobbying de gouvernements nationaux est aussi une façon extrêmement efficace d’influencer Bruxelles. Le conseil européen, composé des dirigeant.e.s des 28 États membres, est l’institution la plus puissante de l’UE. Elle est souvent très efficace dans son rôle de porte-parole des intérêts des entreprises[7]. Il est par exemple de notoriété publique qu’Angela Merkel protège particulièrement bien l’industrie automobile Allemande[8], alors que le gouvernement anglais a particulièrement à cœur de défendre les intérêts du secteur financier de la City de Londres.

Est-ce normal qu’ils soient là ?

 Les décideurs européens (et eux-mêmes) voient les lobbyistes du monde de l’entreprise comme une composante légitime de la démocratie mais ils ont un pouvoir d’influence disproportionné sur les lois et les réglementations européennes. Depuis les années 1990, les intérêts de l’industrie Européenne ont été confondus avec les intérêts des peuples européens, ce qui signifie que les profits des entreprises ont été mis au-dessus des intérêts des travailleur.euse.s, des femmes, de l’environnement et de tant d’autre parties de la société.

Comment justifier que l’industrie des énergies fossiles conçoit nos politiques énergétiques et climatiques[9] alors que son business model est basé sur la destruction du climat ? Pourquoi l’industrie automobile devrait-elle écrire des règlementations alors qu’elle a systématiquement cherché à saper les normes de propreté de l’air et de sécurité[10] en faveur de ses profits ? BNP continue de bloquer avec succès des régulations financières plus strictes grâce à sa puissance de lobbying et à l’attitude bienveillante à son égard des décideurs européens. Comment de tels conflits d’intérêts peuvent se poursuivre si longtemps sans la moindre réaction ? Le Corporate European Observatory (CEO) essaye de changer tout ça. En collaboration avec des alliés, nous avons presque réussi à faire retirer les badges de lobbyings d’Exxon Mobil[11] et nous sommes engagés dans une campagne qui demande aux candidat.e.s aux élections européennes de s’opposer au secteur financier et de le priver de son accès privilégié aux institutions européennes. Il est temps de mettre les gens avant le profit et de virer les lobbyistes.

[1] https://lobbyfacts.eu/representative/25b6ac3438ce4b30ba6ad8871e700b66/bnp-paribas

[2] https://lobbyfacts.eu/representative/27a5f2bfa6824f5ebc9ce093d07cf85d/engie

[3] https://corporateeurope.org/fr/climate-and-energy/2017/10/l-europe-enlis-dans-le-gaz

[4] https://www.integritywatch.eu/

[5] https://corporateeurope.org/en/lobbycracy/2013/11/belgian-mep-lobby-amendments-scandal

[6] https://www.politico.eu/article/brussels-salary-money-side-jobs-eu-legislators-rake-in-millions-in-outside-earnings/

[7] https://corporateeurope.org/en/2019/02/captured-states-when-eu-governments-are-channel-corporate-interests-0

[8] https://corporateeurope.org/en/2019/02/captured-states

[9] https://corporateeurope.org/fr/climate-and-energy/2017/10/l-europe-enlis-dans-le-gaz

[10] https://corporateeurope.org/en/power-lobbies/2017/02/driving-disaster

[11] https://corporateeurope.org/en/2019/03/climate-arson

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