Par Neva Löw, doctorante autrichienne à l’université de Kassel
sur les questions de syndicalisme et migrations,
et Benjamin Opratko, chercheur à l’université de Vienne
sur le racisme et l’économie politique internationale
L’extrême-droite autrichienne est représentée par le Parti pour la Liberté (sic), le FPÖ, qui participe actuellement au gouvernement de coalition avec le parti conservateur, l’ÖVP. Ensemble dans ce gouvernement, ils suivent un projet de populisme autoritaire dont le but est, entre autres, de se débarrasser du droit à l’asile au niveau européen, de démanteler les institutions des travailleur.se.s et d’utiliser le racisme comme moyen d’unifier leur projet.
L’économie autrichienne est marquée par une industrie orientée vers l’exportation qui est étroitement liée à l’Allemagne. Les réformes néolibérales ont été mises en œuvre jusqu’ici timidement et seulement petit à petit. Les plans de grandes restructurations néolibérales n’ont pas encore été réalisés. La société est fortement façonnée par un système de “partenariat social” et par la participation des “partenaires sociaux” dans la structure gouvernante de l’Etat.
Quelles sont les caractéristiques de l’extrême-droite en Autriche ?
Le Parti de la Liberté en Autriche (FPÖ) a ses racines dans un petit parti fondé par un ancien nazi et officier SS après la fin de la deuxième guerre mondiale. Après une période plus orientée vers le libéralisme, Jörg Haider a pris en mains la direction du parti en 1986 et a commencé un tournant idéologique vers le populisme de droite. De 2000 à 2007, le FPÖ a participé à des gouvernements de coalition avec l’ÖVP. Alors que le FPÖ a gagné 11% des votes en 2006, ils ont continué leur ascension, récoltant 17,5% des voix en 2008, puis 20,5% en 2013 et 26%(!) aux dernières élections générales en 2017. Le parti social-démocrate (SPÖ) s’est retrouvé tout juste devant avec 26,9% et l’ÖVP a gagné les dernières élections avec 31,5% des voix. Ces résultats électoraux sont particulièrement préoccupants lorsqu’on regarde de plus près qui a voté pour le FPÖ : 59% des ouvriers ont voté pour eux, en comparaison avec 19% pour la social-démocratie.
Aujourd’hui, le FPÖ est donc dans un gouvernement de coalition avec l’ÖVP et ils travaillent ensemble à leur projet autoritaire. Même si le FPÖ a déjà été en coalition avec l’ÖVP auparavant, ce gouvernement-ci ne peut être regardé comme une simple copie des précédentes expériences. Les différences significatives sont d’abord que le FPÖ et l’ÖVP ont tous deux opéré un tournant à droite et qu’il y a une conjoncture européenne, et même globale, de montée des populismes de droite. Ce qui fait du gouvernement de droite qui dirige actuellement un projet autoritaire populiste plus dangereux encore.
Le projet du populisme autoritaire : racisme et lutte des classes par en-haut
Le gouvernement a été aux affaires depuis un peu plus d’un an et ils ont déjà eu le temps de lancer plusieurs politiques et réformes drastiques. Un aspect très important du projet populiste autoritaire est d’affaiblir les syndicats et leurs canaux d’influence dans la société autrichienne. Dans ce sens, le gouvernement a mis en œuvre la journée de 12 heures, a limité le pouvoir des “conseils du travail” (paritaires) et a supprimé les conseils consultatifs de la jeunesse. En plus de ça, la coalition des droites a lancé un certain nombre de réformes qui visent toutes à privatiser des secteurs de l’Etat social encore existant et, plus important encore, limiter l’influence et le pouvoir de syndicats dans les structures étatiques. Le gouvernement cherche ainsi à réformer la sécurité sociale, le service public Emploi et les systèmes d’assurance santé et contre les accidents du travail. Ces piliers importants de l’Etat social autrichien ont été traditionnellement cogérés par les “partenaires sociaux” et donc aussi par les syndicats. En imposant des changements structurels dans ces domaines, le gouvernement a pour objectif de, et va parvenir à diminuer le pouvoir et l’influence des syndicats ainsi que leur capacité à assurer des contre-pouvoirs et un certain contrôle pour des pans essentiels de l’Etat social. Une des ambitions ultimes de ce gouvernement est de réduire l’influence, voire même d’abolir, la Chambre du Travail autrichienne[1].
Au-delà du démantèlement de l’influence syndicale, cela implique aussi la réduction des services pour celles et ceux qui vivent d’allocations, et une approche “d’activation par le travail” aux travailleur.se.s sans emploi. En outre, les fournisseurs d’assurance-santé publique sont affaiblis en vue de faciliter l’accès au marché pour les compagnies privées d’assurance santé. Des segments “prometteurs”, comme les services ambulanciers, sont sous-traités à des opérateurs privés. Le projet populiste autoritaire du gouvernement autrichien inclut enfin des frais d’inscription et des restrictions d’accès pour les universités et l’affaiblissement des droits des locataires.
Le racisme et les politiques racistes constituent un aspect fondamental de leur projet. C’est pourquoi on ne peut être surpris que nombre de mesures ont été prises et sont en préparation qui visent les groupes racisés dans la société autrichienne. Les plus remarquables de celles-ci sont les suivantes : la réduction des allocations familiales pour les enfants qui ne vivent pas en Autriche, mesure dirigée contre les travailleuses domestiques du secteur du “care”, qui ne vivent pas avec leurs enfants en Autriche; des cours d’allemand obligatoires dans les écoles, visant à la ségrégation des enfants dont les parents n’ont pas l’allemand comme première langue; abolition des services de conseil juridique autonomes pour les demandeur.se.s d’asile ; et de nombreuses autres mesures pour rendre la vie la plus désagréable possible pour les personnes demandeuses d’asile en Autriche (réquisition des smartphones, couvre-feux, restriction de l’hébergement, etc.). De plus, le financement public pour les organisations qui travaillent dans l’intérêt des réfugié.e.s, demandeur.se.s d’asile et migrant.e.s sans-papiers a lui aussi été diminué. Le gouvernement est également favorable à l’interdiction du foulard, à l’interdiction de pratiquer le Ramadan sur certains lieux de travail et d’autres mesures répressives contre les musulman.e.s. Ces politiques démontrent clairement qu’un objectif important du projet populiste autoritaire est de continuellement diviser la société et en particulier la classe travailleuse à travers un racisme flagrant. Rien de surprenant donc à ce que le programme de ce gouvernement contienne également une hausse solide du budget de la police (+7%) et de l’armée (+11%), ainsi que des renseignements.
D’où vient la réussite de ce projet ?
Le projet populiste autoritaire est un projet politique menaçant parce qu’il vise à ancrer son soutien et son hégémonie dans une perspective de long terme. Le cocktail de mesures néolibérales qui démantèlent les droits sociaux et de mesures racistes et anti-migrant.e.s en constitue un élément fondamental. Le FPÖ cherche en fait à rattacher ses électeur.trice.s à ce projet par des actes racistes symboliques, tandis que l’ÖVP distribue les cadeaux aux grands secteurs du capital.
L’extrême-droite a commencé à influencer le contenu éducatif des écoles publiques, à obtenir une influence significative au sein des forces de police et exerce un contrôle considérable sur les médias de masse du pays. C’est un aspect non-négligeable, puisqu’il permet au gouvernement de contrôler le message ensuite diffusé par ces médias. En même temps, des attaques ont été menées sur les médias indépendants et plus critiques. Un document secret du ministère de l’Intérieur, contrôlé par l’extrême-droite FPÖ, a révélé leurs lignes directrices pour les rapports de police. L’une de celles-ci encourage les rapports de police publics à toujours mentionner la nationalité et, là où c’est applicable, le statut résidentiel (demandeur.se d’asile, réfugié.e, etc.) d’un potentiel auteur d’infraction. Une autre est de faire la publicité des agressions sexuelles qui ont lieu en public aussi souvent que possible, alors qu’il est bien connu que les agressions sexuelles sont les plus fréquentes dans la sphère domestique.
Tous les éléments des politiques gouvernementales mentionnés ci-dessus pointent vers des tentatives d’altérer la société autrichienne à long terme. Le projet est actuellement stable et suit donc sa perspective de long terme. Le projet de classe de détruire les institutions de la classe travailleuse et de promouvoir les divisions racistes sont liés organiquement.
Quelle stratégie pour la riposte, et quel rôle pour les syndicats ?
Il y a eu des mobilisations contre le gouvernement et ses politiques. Une large coalition de la société civile s’est rassemblée pour résister à la coalition conservateurs-extrême-droite. Etant donné que deux piliers du projet politique de l’extrême-droite sont de détruire les institutions traditionnelles des travailleur.se.s et d’aggraver les fractures au sein de la société sur un axe raciste, cela présente un défi et des tâches importantes pour le mouvement syndical et ses partenaires. Les syndicats ont organisé deux mobilisations majeures contre les mesures du gouvernement. La première était une grande manifestation contre la journée de 12 heures. La seconde était basée sur des grèves d’avertissement dans l’industrie métallurgique après l’échec des négociations de conventions collectives de travail par les interlocuteurs sociaux cet automne. De nouvelles grèves d’avertissement dans d’autres secteurs (comme le rail ou le commerce) sont probables. Le mouvement ouvrier n’a pas pu prévenir l’extension de la journée de travail et l’issue des luttes actuelles pour les hausses des salaires reste incertaine. Le gouvernement ainsi que la Chambre du Commerce et la Fédération de l’Industrie sont déterminés à ne pas lâcher.
La leçon de ces luttes actuelles est que les syndicats doivent combattre directement le racisme dans la société et au sein de leurs propres bases et structures, et former des coalitions avec les groupes auto-organisés de celles et ceux qui sont victimes du racisme. L’intérêt commun de combattre le gouvernement et son projet doit être vu comme une chance de renouveler les priorités de coalitions et de construction de réseaux du côté syndical.
[1] Le système autrichien des relations collectives de travail est composé des syndicats, secteur de lutte du mouvement ouvrier, et de la Chambre du travail, qui agit comme un centre de réflexion et le bras légal du mouvement. Chaque travailleur.se en Autriche est automatiquement membre de cette Chambre. Celle-ci fournit un important soutien juridique aux travailleur.se.s et est le représentant principal des intérêts des consommateur.trice.s dans le pays. La Chambre du travail est aussi un „partenaire social“.