5.1. Les travailleurs du secteur international à bruxelles

L’Europe à Bruxelles : emploi, logement et espace public

Par Charlotte Casier
Doctorante à l’IGEAT-ULB

Depuis 1958, Bruxelles accueille les institutions de l’Union européenne et de nombreuses firmes internationales gravitant autour de celles-ci. Comment cela traduit-il en termes d’emploi, de logement et d’espace public dans la ville ?

Des travailleurs qualifiés et bien rémunérés

En 2017, les institutions européennes employaient 37 000 personnes, représentant ainsi 6 % des salariés travaillant en Région de Bruxelles-Capitale (données IBSA). Parmi ceux-ci, on trouve des fonctionnaires, des employés temporaires, des salariés contractuels et des stagiaires, ou encore des députés européens et leurs assistants. Il faut y ajouter les travailleurs des autres institutions internationales et des firmes gravitant autour d’elles : consultants, journalistes, lobbyistes (au minimum 20 000 en 2013), etc. Ainsi, en 2013, le secteur international total était estimé à 121 000 emplois à Bruxelles, dont 81 000 directs et 40 000 indirects. Ces emplois majoritairement hautement qualifiés représentaient 17 % de ceux de l’ensemble de la Région (contre 13,5 % en 2004) (Dotti, 2015). Les institutions européennes et le secteur international en général influencent donc significativement l’économie bruxelloise en créant un nombre important d’emplois très qualifiés[1]. Une partie importante de ces travailleurs internationaux s’installe à Bruxelles pour de courtes périodes (de quelques mois à quelques années) et dispose de revenus importants. Ces caractéristiques impactent le marché du logement et l’espace public, en particulier dans les quartiers du Sud-Est où ils sont nombreux (1).

Une diminution du parc de logements abordables

Les revenus importants de ces étrangers présents à court terme en font une clientèle intéressante pour le secteur immobilier bruxellois. Dès lors, dans certains quartiers, leur présence croissante stimule le marché immobilier local et permet un nouvel élan de production et de rénovation résidentielle. Dès lors, une partie du parc existant se mute en objet d’investissement, donnant naissance à un marché du haut de gamme (Romainville, 2015 ; Dessouroux, 2016). Les acteurs immobiliers y développent des produits qui sont spécialement destinés aux « Eurocrates », comme de la location meublée dont le rendement est important. Les courts séjours de ces étrangers accélèrent le turn-over locatif et permet aux propriétaires d’augmenter régulièrement les loyers.

Ces différents éléments participent à l’augmentation des prix de l’immobilier à Bruxelles, en particulier dans l’Est de la première couronne urbaine. Cette hausse y réduit le parc de logements abordables, déjà diminué par la mise en location meublée d’un nombre important d’unités résidentielles, tandis que la construction neuve est de façon importante accaparée par les produits destinés à ces étrangers. Toutefois, dans un marché du logement non-régulé, ces changements ne s’opèrent pas « comme par magie » mais parce qu’une multitude d’acteurs privés adaptent leurs pratiques afin de tirer profit de cette demande solvable.

Une élitisation des espaces publics

L’installation de travailleurs internationaux à Bruxelles transforme également les espaces publics de leurs quartiers de prédilection : l’anglais y est de plus en plus présent et les commerces et services s’y adaptent au mode de sortie de ces derniers. C’est le cas des places de Londres (2) ou du Luxembourg qui se remplissent en soirée d’ « expats » en « afterwork » après leur travail au sein des institutions européennes mais aussi de Matongé, qui perd progressivement son caractère populaire en faveur du développement de restaurants et cafés branchés, destinés à cette clientèle au fort pouvoir d’achat. Les acteurs publics accompagnent ces évolutions en réaménageant et en réduisant l’accès aux usagers jugés indésirables. Ainsi, la chaussée d’Ixelles et les rues de Saint-Boniface (3) sont piétonnes depuis 2018 avec pour conséquence le report de circulation sur la chaussée de Wavre, qui accueille des commerces africains et une clientèle populaire. Les autorités publiques y mènent également des politiques de répression : contrôles d’identité systématiques, installation d’un bureau de police et de caméras de surveillance. Ces transformations du tissu commercial ainsi que ces politiques d’« embellissement et de surveillance » rencontrent ainsi les intérêts des promoteurs dont les opérations immobilières profitent de cette nouvelle attractivité.

En conclusion, les institutions européennes transforment Bruxelles par l’installation d’un nombre important de travailleurs internationaux très qualifiés et bien rémunérés. Dans le Sud-Est de la ville, ces derniers stimulent le développement de l’immobilier haut de gamme et la hausse des prix immobiliers mais aussi le réaménagement de l’espace public et l’ouverture de commerces branchés, réduisant le parc de logements abordables et évinçant les classes populaires des espaces publics. De cette façon, les inégalités spatiales bruxelloises sont renforcées par la présence de ces étrangers aisés et par les pratiques des acteurs économiques qui en tirent profit.

Références :

  • Desière S., et al. L’emploi international : enfin présent dans les statistiques sur le marché du travail. Focus de l’IBSA, n°24, mai 2018.
  • Dessouroux, C., et al. Le logement à Bruxelles : diagnostic et enjeux. Brussels Studies. 2016, note de synthèse, 99.
  • Romainville, A. La production capitaliste de logements à Bruxelles. Thèse présentée présenté en vue de l’obtention du titre de docteure en géographie. Université libre de Bruxelles, 2015.
  • Dotti, N. Mise à jour de l’impact économique des institutions européennes et internationales en Région de Bruxelles-Capitale. 2015.

[1]Il ne faut toutefois pas négliger les emplois que ces structures créent également dans des secteurs moins qualifiés (nettoyage, surveillance, catering, etc.)

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