L’avant-projet d’ordonnance sur la migration économique qui est sur la table du gouvernement Bruxellois envisage un dispositif pour faire venir de nouvelles recrues de pays tiers. Pourtant, des milliers de travailleur.euse.s sans papiers sont déjà occupées sur le territoire de la région sans pouvoir aujourd’hui bénéficier d’un contrat de travail, ce qui les expose à des conditions d’exploitation inacceptables et alimente le dumping social dans la région. En front commun, la CSC de Bruxelles et la FGTB de Bruxelles co-signent une lettre ouverte à l’attention des Ministres Bruxellois pour qu’iels élargissent enfin l’accès au permis unique aux travailleur.euse.s sans papiers. Il y a presque un an, quatre partis de la majorité régionale se sont pourtant engagés à défendre cette revendication mais rien n’a bougé depuis. Alors que le Fédéral continue de bloquer sur une régularisation indispensable, il est plus que temps que le gouvernement régional prenne ses responsabilités politiques pour avancer sur ce qui peut se faire à ce niveau de pouvoir.
A l’attention des membres du gouvernement de la Région Bruxelles-Capitale,
D’après plusieurs études1, la Région bruxelloise compte actuellement sur son territoire des dizaines
de milliers de personnes qui y vivent sans pouvoir faire valoir leurs droits fondamentaux étant donné
la précarité de leur situation administrative. Ces personnes, pour la plupart sans papiers ou en passe de le devenir, travaillent pour survivre : elles sont forcées de travailler de manière clandestine, dans des conditions indignes. Les travailleur.euse.s sans papiers sont ainsi à la merci d’employeurs peu scrupuleux qui profitent des failles de la législation pour se permettre de leur imposer des conditions de travail contraires aux obligations du droit social et du droit du travail.
Au-delà de cette exploitation économique, ces travailleur.euse.s sont dans l’incapacité d’avoir recours aux autorités et à la justice pour défendre leur droits sans risquer une expulsion du territoire. Iels sont ainsi exposé.e.s à des risques de violences accrus par leur position de dépendance. Enfin, alors que ces travailleur.euse.s contribuent au développement économique de la Région à travers leur consommation (loyers payés, TVA, …) et à travers le travail essentiel qu’iels rendent à la population, notamment dans des « fonctions critiques » en recherche de personnel (compétences spécifiques dans les soins et aide aux personnes, entre autres) ou « en pénurie » (construction, HORECA, logistique, petite enfance, …), leur travail non déclaré ne leur permet pas de participer aux mécanismes de solidarité qui permettent le financement des services publics et de la sécurité sociale dont les caisses mériteraient pourtant d’être renflouées pour fonctionner de manière optimale.
En tant qu’organisations syndicales défendant les droits de tou.te.s les travailleur.euse.s, nous insistons, en front commun, pour que le gouvernement bruxellois fasse en sorte que ces milliers de travailleur.euse.s sans papiers puissent accéder au travail légal dans la Région. Cette démarche nous semble indispensable, en premier lieu pour garantir les droits fondamentaux de ces travailleur.euse.s et citoyen.ne.s présent.e.s parfois depuis de nombreuses années sur notre territoire mais aussi pour combattre le dumping social et ses effets désastreux sur l’ensemble des travailleur.euse.s et sur l’économie (fraude sociale et fiscale, concurrence déloyale, …). C’est également indispensable pour l’économie et le financement de la sécurité sociale et des services publics.
Bien sûr, seul un accès au séjour sur base de critères clairs et permanents permettrait de garantir de manière pérenne les droits des personnes actuellement en séjour irrégulier. Nous continuons à plaider avec force dans ce sens au niveau du gouvernement fédéral compétent en matière d’accès au territoire (séjour). Mais, depuis la 6e réforme de l’Etat et le transfert aux régions des compétences en matière d’emploi, la Région bruxelloise dispose d’une marge de manœuvre certaine pour permettre à cette population d’accéder au travail légal.
Avec le permis unique, ce travail légal s’accompagne également d’une autorisation de séjour qui permet d’accéder aux droits fondamentaux à l’instar des autres citoyen.ne.se et de trouver ainsi une
sécurité d’existence minimale.
Ainsi autorisé.e.s à séjourner sur le territoire, ces travailleur.euse.s n’auraient plus à craindre l’expulsion en cas de plainte contre un employeur abuseur. Ces plaintes soutiendraient en même temps la lutte contre les infractions au droit social et au droit du travail et aideraient également à rencontrer l’obligation d’application et de mise en œuvre des directives européennes et autres conventions internationales visant la protection des victimes de violences.
Dans cette perspective, depuis le 25 novembre 2022, huit formations politiques du Parlement de la
Région bruxelloise se sont engagées à soutenir trois revendications portées par des travailleuses
domestiques sans papiers organisées :
1. L’accès à la justice à travers le droit effectif de porter plainte et l’accompagnement des victimes en étant protégé.e.s durant toute la procédure, en application des directives européennes « sanctions » et « victimes » ainsi que de la Convention d’Istanbul
2. L’accès au permis unique pour les travailleur.euse.s sans papiers présent.e.s sur le territoire (permettant de régulariser le travail en cours)
3. L’accès à la formation professionnelle pour ces dernier.ère.s (en termes de transition vers une fonction déclarée)
Parmi ces formations politiques, quatre sont représentées au sein de la majorité bruxelloise. Or, à ce jour, nous n’avons constaté aucune avancée dans le sens des revendications précitées. Un « avant-projet d’ordonnance sur la migration économique » du Ministre de l’Emploi Bernard Clerfayt envisage l’adaptation du dispositif pour faire venir de nouvelles recrues de pays tiers alors que d’autres sont déjà au travail en Belgique. Les travailleur.euse.s sans papiers bruxellois.e.s sont ainsi à nouveau laissé.e.s à la marge puisque l’obtention de ce permis unique ne reste possible que sur demande à partir de l’étranger.
Dans ce contexte de précarité aggravée, nous espérons que vous prendrez en compte notre interpellation, qui vient également appuyer l’avis des partenaires sociaux bruxellois qui se sont récemment prononcés pour un accès au permis unique permettant de régulariser le travail de ces personnes particulièrement vulnérables d’une part, et demandant de prendre en compte la situation spécifique des travailleuses domestiques d’autre part2.
Dans l’attente d’un retour de votre part et d’une évolution positive de le situation, nous vous prions
d’agréer, Mesdames et Messieurs les Ministres et Secrétaires d’Etat, nos meilleures salutations.
Philippe Vansnick, Secrétaire Fédéral de la CSC Bruxelles
Estelle Ceulemens, Secrétaire Générale de la FGTB Bruxelles
6 septembre 2023
- Une récente étude de la VUB estime à environ 50.000 le nombre de personnes sans titre de séjour vivant en région bruxelloise (VRT news, 12/04/23). L’association Caritas International évoque, quant à elle, 150.000 personnes dans cette situation qui vivent majoritairement à Bruxelles. ↩︎
- Brupartners.Brussels, Avis sur l’avant-projet d’ordonnance relative à la migration économique, 16 mars 2023 (A-2023-023-BRUPARTNERS-FR.pdf). ↩︎