Sodexo 3

Les réponses syndicales aux pertes d’emploi dans le secteur du Catering : le cas de Sodexo

Par Pietro Tosi
CIEP-MOC Bruxelles

La direction de Sodexo Belgique veut se débarrasser de 380 travailleurs. Chez Aramark, 167 emplois sont menacés. 550 chez Compass Group. En raison de la pandémie de Covid-19 et du télétravail, la demande de repas dans le secteur du catering est en effet en forte baisse. La plupart des restaurants d’entreprise sont fermés et dans les cafétérias des écoles, des hôpitaux et des maisons de retraite, on constate une baisse significative du volume d’activités. L’impact de la crise est directement reporté sur les travailleurs.es. Nous en avons parlé avec Ralia Sammoudi, déléguée CSC chez Sodexo et Patrick Vanderhaeghe de la CSC Alimentation et Services, secrétaire permanent en charge de l’Horeca.

Patrick, peux-tu nous expliquer brièvement la réalité du secteur de l’Horeca et la place du catering ?

L’Horeca c’est un secteur composé par la plupart de petites entreprises. 200.000 travailleurs déclarés au total et plus ou moins entre 50 et 100.000 personnes qui travaillent au noir. Ce sont ceux qui aident dans un traiteur, resto ou un bar pour arrondir les fins du mois et qui passent vite dans le secteur pour après faire autre chose. C’est un secteur très segmenté ! Pour vous donner un ordre de grandeur, le plus grand segment c’est le secteur des restaurants, cafés, snacks, friterie et discothèques. Dans ce segment l’implantation syndicale n’est pas très forte à cause des caractéristiques du secteur. Puis il y a la restauration rapide, les Fast Food tels que Mc Donald et Lunch Garden. Puis tu as les hôtels et le catering, la restauration collective. C’est là que nous avions été capables de construire, depuis les années 2000, la plus grande force syndicale du secteur.

Comment avez-vous avancé pour construire un tel travail syndical ?

Tout cela a été possible grâce à la construction d’équipes syndicales fortes et bien organisées dans les entreprises. Nous avons été fiers d’avoir construit ce rapport de force, qui a tendance à être plus faible aujourd’hui. Beaucoup de délégués chevronnés sont partis, qui avaient construit une méthode d’ancrage syndical en entreprise via la mise en place de noyaux de travailleurs. Le but était d’être en contact avec les collègues, d’organiser des actions et de mettre la pression sur la direction. Les délégués faisaient souvent le tour des lieux de travail, on avait une force de frappe pour faire pression sur un grand groupe comme Sodexo. Nous avons gagné des avancées sociales : une convention collective sectorielle et même des conventions d’entreprise.

 

Et aujourd’hui ?

Aujourd’hui le Covid est arrivé et la direction est en train d’attaquer ce qu’on avait gagné dans le passé. Mais il est intéressant de voir que tous les plans de restructurations étaient déjà là avant la crise Covid. Les tendances à la flexibilité et la polyvalence était déjà là dans le secteur de l’Horeca. Le virus a été juste une occasion rêvée par les directions pour imposer ce qui était déjà à l’œuvre dans le secteur. Aujourd’hui les travailleurs ont peur de faire partie du plan social et de subir la restructuration sans aucune garantie de retrouver un emploi par après. Ils sont beaucoup à se demander si à 59 ans ils peuvent aller en prépension. Ils ont travaillé toute une vie dans l’entreprise, voilà ce que la direction leur réserve.

Ralia, que penses-tu de cette restructuration ?

C’est honteux ! Honteux parce que Sodexo a engrangé des millions d’euros grâce au tax-shift (NDLR : réforme supprimant une partie des cotisations patronales à la Sécurité sociale). Cet argent a été directement reversé aux actionnaires alors qu’il pourrait sauver nos emplois. C’est honteux parce que cela va jeter dans la misère des travailleur.se.s – souvent des femmes – qui déjà maintenant terminent leurs shifts et vont chercher à manger dans les banques alimentaires. Vous imaginez ça ? Vous travaillez dans les cuisines, vous faites à manger toute la journée et puis vous allez à la banque alimentaire. A plusieurs reprises, les délégué.e.s ont demandé que les invendus soient mis à disposition du personnel de Sodexo à prix coûtant. La réponse a toujours été non. Ce sont les travailleur.se.s qui se sentent honteux alors que ce sont eux qui font tourner l’entreprise et qui rapportent l’argent. Ce n’est pas normal. La honte doit changer de camp.

Pourquoi le sentiment d’injustice et d’incompréhension est-il si grand chez les travailleurs.se.s ?

Les travailleur.se.s ne comprennent pas pourquoi une entreprise qui fait tant de bénéfices restructure. Pourquoi ne réduit-elle pas un peu ses profits pour investir dans ses travailleur.se.s ? Il faut être bien conscient que Sodexo n’est pas une PME ou une organisation philanthropique. C’est une entreprise multinationale française, contrôlée en grande partie par la famille Bellon. Pierre Bellon était en 2018 classé 13ème fortune de France, avec une fortune estimée à 5 milliards d’euros. Début 2020, Sodexo a versé pas moins de 425 millions d’euros de dividendes à ses actionnaires ! Ces dividendes sont en augmentation depuis 10 ans et ce, grâce à un modèle économique basé de plus en plus sur la sous-traitance.

Comment fonctionne ce modèle économique ?

Prenons par exemple la sous-traitance des repas des cantines scolaires bruxelloises à Viangro. Sodexo passe un contrat avec Viangro. Sodexo licencie une partie de son personnel qui avait 20 ans de maison. Ce même personnel est ensuite réembauché – sans ancienneté – par Viangro. Sodexo devient en réalité une entreprise de gestion de contrats, elle en fait profiter ses actionnaires et fait perdre du travail, du salaire et de la qualité de vie à ses travailleur.se.s.

Comment les travailleur.se.s vivent-ils la situation actuellement ? 

Les travailleur.se.s sont partagé.e.s entre la peur et la colère. Peur parce qu’ils ne veulent pas être licenciés. Trouver un boulot n’était déjà pas évident, mais ça le sera encore moins en 2021. Et puis, il y a aussi la colère. Parce que les pressions sur le terrain commencent : « Si tu ne fais pas bien ton travail, tu sais ce qui va t’arriver… ». Le contexte de restructuration augmente la pression, augmente la charge de travail, augmente la flexibilité. Et ce n’est pas l’arrivée de la Vivaldi qui va arranger les choses car il n’y a rien sur les prépensions, sur l’abaissement de l’âge de la pension, sur des réductions collectives du temps de travail. Au contraire, tout le monde semble d’accord pour encore flexibiliser le marché du travail.

Quelles sont les prochaines étapes dans les négociations ?

Pour l’instant, nous sommes dans la première phase d’information et de consultation. Les délégués posent des questions à la direction quant à la nature du projet de restructuration. Tout ce que nous savons aujourd’hui, c’est que les 373 licenciements toucheraient 150 sites à travers le pays, mais nous ignorons encore quelle en sera l’importance en fonction de chaque établissement concerné. Nous allons d’abord attendre les décisions officielles de la direction. Si nous n’aurons pas une attitude sérieuse et responsable de la part de l’entreprise envers les travailleur.se.s nous allons tout faire pour faire respecter les droits de tous les travailleurs.es.

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