Les Philippines, l’extrême-droite au pouvoir

Par Alex De Jong,
co-directeur de l’Institut international de Recherche et de Formation (IIRE)
à Amsterdam 
et spécialiste de la politique aux Philippines

Quand Duterte a été élu, il a promis d’organiser une “guerre contre la drogue” sans pitié, et de prendre soin des pauvres. Mais pour ceux-ci, son gouvernement a signifié la mort de milliers d’entre eux.

Duterte a commencé sa carrière à la fin des années 80 comme maire de la ville de Davao, une ville importante dans le Sud du pays. Comme beaucoup de politiciens professionnels dans le pays, il a bénéficié de connexions familiales : son père avait été gouverneur de la même région dans les années 60. Mais aux élections présidentielles 2016, Duterte est parvenu à se présenter comme un “outsider”. La ville de Davao est très éloignée de la capitale Manille, et la famille de Duterte n’était que des petits joueurs dans la politique philippine. Et Duterte sait comment se donner une image de “gars ordinaire”. Il se retrousse les manches et porte des jeans, il jure et fait des blagues, il mâche des bubble-gums en racontant des histoires de bagarres. L’élite maniérée pense qu’il est d’un mauvais goût terrible, mais beaucoup aiment la manière d’agir de Duterte.

“Finalement un vrai macho, quelqu’un qui agit en montrant qu’il assez fort pour régler les nombreux problèmes du pays, et qui n’a pas peur de se salir les mains”. Les Philippines ont une population en croissance rapide de plus de 100 millions d’habitant.e.s. Plus d’un quart d’entre elleux est officiellement pauvre – c’est-à-dire gagnant même moins que le seuil de 4,6€ par jour. Le chômage se situe autour de 6% mais cela ignore les millions de personnes qui ne sont pas officiellement enregistrées et se retrouvent sans travail formel. A peu près 40% de la force de travail est employée dans l’économie “informelle” – sans contrat officiel ni régulations du travail. Autour de 15% de la population a régulièrement faim, au sens fort du terme. La croissance économique est élevée, mais ça ne fait pas beaucoup de différences pour les pauvres.

Avec ses promesses de s’occuper des pauvres, et son comportement de “mec ordinaire”, Duterte a gagné du soutien parmi les classes populaires du pays qui en avaient marre des politiciens de l’establishment. Mais la popularité seule n’aurait pas suffi pour mener une campagne réussie; pour cela, de l’argent est nécessaire. Des hommes d’affaires et de riches politiciens ont sponsorisé la campagne de Duterte pour vaincre leurs rivaux communs. Un important allié de Duterte est la famille de Ferdinand Marcos, le dictateur défunt. Depuis les années 90, la femme de Marcos, Imelda, et ses enfants, ont développé leur carrière politique avec succès. La dynastie Marcos est à nouveau une ressource politique considérable. Une soure de son pouvoir réside dans les 10 milliards (estimés) volés par Marcos avant qu’il ne soit renversé en 1986. Une fois élu, Duterte a récompensé ses riches soutiens avec des emplois au gouvernement et des contrats. Duterte a fait référence à Marcos comme le plus grand président du pays, et a profité d’une effrayante réhabilitation de la dictature. La dynastie Marcos a utilisé ses milliards volés pour polire l’image de la dictature, dépeignant celle-ci comme une époque d’ “ordre, discipline et développement”. De la même manière, Duterte a promis une main de fer qui amènera l’ordre, éradiquera le crime et la corruption et développera le pays.

Combinant une posture de “mec dur”, une rhétorique sur “la loi et l’ordre” et des promesses pour aider les pauvres, Duterte a gagné des votes dans toutes la société philippine. Les pauvres désespérés à la recherche d’un sauveur, et les riches qui voulaient une force de police violente pour garder ces mêmes pauvres dociles et hors de vue : iels pouvaient tou.te.s voir en Duterte “leur homme”. Mais seul ce dernier groupe a reçu ce qu’il espérait.

L’une des premières victimes de la “guerre contre la drogue” fut Orlando Abangan, un militant syndical. Lorsque l’un de ses proches a a été arrêté sur base de fausses accusations, il a tenté de le faire relâcher. Une semaine plus tard, Abangan était abattu devant sa maison. Depuis, en plus des milliers d’assassinats reliés à la guerre contre la drogue, il y a eu des dizaines d’assassinats de syndicalistes, de défenseur.se.s des droits humains et d’organisateur/trices paysan.ne.s. Le nombre d’assassinats associés à la “guerre contre la drogue” dépasse les 12000, à peu près toutes les victimes étaient issues des classes populaires. Parmi celles-ci, Duterte n’est plus aussi populaire qu’il l’était au début de son mandant. Parmi les riches, sa popularité à monté tandis que les meurtres continuaient.

Le mouvement ouvrier des Philippines a eu des difficultés face à Duterte. Ses discours creux sur le soutien aux travailleur.se.s et au aux pauvres, et sa popularité, ont confondu beaucoup de monde. Les pires étaient les soutiens du fort mouvement maoiste dans le pays, qui ont cru qu’ils pourraient travailler avec Duterte, et l’ont soutenu initialement. Beaucoup de syndicalistes et militant.e.s qui étaient sceptiques ont gardé leurs doutes pour eux-mêmes, de crainte qu’iels s’isoleraient en critiquant un politicien si populaire. Les conditions de travail précaires ont affaibli le mouvement syndical philippin. Moins de 10% de la force de travail est syndiquée, et le nombre de membres a chuté de plus de 3 millions en 1990 à 2 millions, tandis que la population a augmenté de 40 millions de personnes. Au début des années 1990, près de 500000 travailleur.se.s étaient couvert.e.s par des négociations et conventions collectives, aujourd’hui il n’y en a plus que 200000.

Duterte est en train de resserrer son emprise sur le système politique, endommageant plus encore la faible démocratie du pays. Les mouvements sociaux et les travailleur.se.s sont les premiers à souffrir de cela; ils sont incapables de gagner leurs droits dans des tribunaux corrompus, ou d’élire leurs représentant.e.s dans des élections truquées. Il y a un nombre incalculable d’histoires de travailleur.se.s qui essayent d’organiser leurs collègues, pour finir virés par leur patron. Ou pire… Fin octobre, neuf syndicalistes ont été abattus et tués pendant une action de protestation. Tout le monde sait que les tireurs étaient employées par le patron, mais tout le monde sait également que les chances que qui que ce soit soit condamné au tribunal sont minces.

Duterte a fait des toxicomanes et des trafiquants les boucs émissaires de tous les problèmes de la société, et a convaincu beaucoup de monde que les abattre en rue était acceptable. Comme l’exemple des Philippines le montre, lorsqu’il devient acceptable de tuer un groupe de personnes avec impunité, il ne faudra pas longtemps avant que d’autres deviennent les prochaines victimes.

Pour les mouvements sociaux des Philippines, un défi majeur maintenant est de combiner le combat pour les droits humains, et la démocratie avec, pour la protection sociale. Comme Josua Mata, secrétaire général de l’organisation-coupole des syndicats Sentro l’a récemment expliqué : “le mouvement doit retourner à ses racines ; vers l’objectif de libération de la classe travailleuse”.

 

 

 

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