Housing action day

Les perspectives du mouvement pour le droit au logement

Une interview réalisée par

Gilles Maufroy,

CIEP-MOC Bruxelles

Charlotte Renouprez est responsable bruxelloise des Equipes populaires. Avec les Equipes, elle s’implique dans les luttes pour le droit au logement. Mouvements s’est entretenu avec elle pour discuter du Housing Action Day et des perspectives pour le mouvement pour le droit au logement à Bruxelles et en Belgique.

Mouvements : Peux-tu nous raconter les origines du Housing Action Day, qui se tiendra dans plusieurs villes dont Bruxelles le 26 mars ?

Charlotte Renouprez : Ça vient de la coalition européenne pour le droit au logement et à la ville qui a organisé ses premières actions anti MIPIM en 2014. Elle regroupe des associations et collectifs militant sur la question du droit au logement et à la ville au sens large. C’est donc la défense du droit à l’habitat, des droits aux locataires à avoir une vie digne et décente. C’est un regroupement de nombreuses organisations de type différent : on a par exemple le DAL (Droit au logement) en France mais aussi des associations qui représentent l’habitat dit « alternatif » (ex : roulottes), la PAH en Espagne, des Roumain.e.s notamment actives sur le logement social, des Suédois, des Allemands. En Belgique il y a Action Logement Bruxelles et la Maison de Quartier Bonnevie, ainsi qu’Habitat et Participation et le Syndicat des Immenses. La coalition pour le Housing Action Day défend que la hausse des loyers, la financiarisation du logement et ce que les différents collectifs et associations dénoncent, ce sont les mêmes problématiques pour tout le monde en Europe. Et ensemble, on est plus fort.e.s ! Nous devons donc élaborer des stratégies et agir ensemble face à celles-ci.

L’ennemi est commun : les visions de développement de la ville qu’on retrouve au MIPIM, la manière dont on la dessine, ils préparent ça au niveau européen. Réfléchir et agir ensemble passe entre autres par l’organisation du Housing Action Day. Ça passe aussi par des rencontres européennes qui ont lieu deux fois par an : dans un espace, on se réunit, on fait connaissance, on réfléchit et on échange pendant plusieurs jours à propos de nos stratégies, de nos méthodes d’organisation, des difficultés auxquelles nous sommes confronté.e.s. Le HAD est organisé le dernier week-end de mars. C’est le moment de la fin de la trêve hivernale en France. Un moment symbolique où l’Etat dit : « ok maintenant on peut expulser ». Nous refusons cette logique : avec la hausse des loyers, c’est difficile de retrouver un logement. Et une fois qu’on est à la rue, tout devient extrêmement compliqué, à toute saison. Les sans-abris meurent autant en été qu’en hiver : contrairement aux idées reçues, ce n’est pas le froid qui tue les gens, c’est la vie en rue. Les études le prouvent. Le moratoire hivernal c’est un cache-misère pour donner l’apparence de faire quelque chose. On se mobilise donc ce jour-là, tou.te.s ensemble à l’échelle européenne, pour faire nombre et sentir la force collective. C’est un moment fédérateur.

Depuis quand est-ce devenu une date de mobilisation en Belgique ?

CR : Le premier HAD c’était fin mars 2020, en plein confinement. On a dû s’adapter avec une mobilisation en ligne, des banderoles, des photos, etc. Mais c’était quand même une première en termes d’intégration de différents mouvements. On avait fait le lien avec la plateforme contre la loi anti-squat. Et en fait une série de collectifs sont nés du confinement. Notamment Action Logement Bruxelles et le Front anti-expulsions, avec des associatifs sans casquette associative, des militant.e.s et des associatifs qui gardent leur casquette, comme les Equipes populaires qui ont toujours été présentes. Le confinement et l’année blanche en éducation permanente ont offert un espace pour expérimenter de nouvelles méthodes et pratiques. De plus, le confinement était une période où la question du « chez soi » s’est posée avec une acuité particulièrement forte. Rien n’avait été prévu, notamment contre les expulsions de locataires : comment allaient faire toutes ces personnes ? Quid des sans-papiers ? Et puis les confinements sont passés, le moratoire a été levé et le Front anti-expulsions est né de là.

Comment ça s’est passé concrètement pour préparer le HAD ?

CR : Pour préparer le HAD, un appel européen est élaboré puis lancé en commun : on discute entre collectifs sur les revendications et exigences à porter en commun. Ensuite, nous déclinons cet appel sur le terrain belge. On priorise les revendications les plus adaptées au contexte belge, ancrées dans le vécu de terrain des locataires et associations actives sur le terrain, pour que ça leur parle directement. Mais cette année l’appel européen est arrivé fort tard, et comme nous avions le souhait de démarrer la mobilisation le plus tôt possible en Belgique… Nous avons donc d’abord réalisé notre propre appel, en nous basant sur ceux des années précédentes. Une première assemblée générale s’est organisée en juin 2022 pour préparer le HAD 2023 : on a réfléchi à la stratégie de mobilisation, à comment aller vers les collectifs, à nos revendications politiques…et à comment faire pour dépasser le seul secteur associatif. Il y a urgence à s’élargir au-delà.

Comment a évolué le mouvement depuis ?

CR : Action Logement Bruxelles a évolué pas mal au cours des années, avec des moments où plus de personnes se sont impliquées. On a fait une campagne sur base d’une pétition, on a enfin pu être auditionné.e.s au Parlement bruxellois, ce 2 février. Pour le Housing Action Day c’est un moment important dans la mobilisation parce qu’on a pu amener la colère des locataires et associations à l’intérieur de l’enceinte du Parlement, devant les parlementaires. Sans être certain.e.s d’être entendu.e.s, c’est un pas symbolique en avant. On espère que ça va nous aider à mobiliser et à sortir de l’entre soi. Le but est que des locataires et mal-logé.e.s soient bien présent.e.s. L’idée est de repolitiser la question du logement, de sortir de la honte individuelle : « si on s’entasse à cinq dans 45m2, si mes enfants ont de l’asthme à cause de mon logement, ce n’est pas de ma faute, c’est la société qui est mal organisée. Le problème, c’est le marché du logement qui est organisé pour produire ça. C’est dû à des choix politiques. ». Ce n’est pas une fatalité. A partir du moment où on est en nombre, ce n’est plus un problème de chacun.e face à sa galère, on se rend compte qu’il s’agit d’un enjeu collectif et structurel. La honte doit changer de camp. Le HAD c’est notre journée, il doit redonner du pouvoir aux locataires.

Le mouvement pour le droit au logement a-t-il des adversaires, voire des ennemis ?

CR : Si on aborde cet aspect, on pense d’abord au fait que le syndicat national des propriétaires et copropriétaires défend surtout les multipropriétaires bailleurs, des gros propriétaires qui ont des intérêts lucratifs derrière. Il y a une divergence d’intérêts fondamentale entre celles et ceux qui ont besoin de se mettre un toit sur la tête et ceux qui possèdent plusieurs logements utilisés pour leur rente. Derrière ces derniers, on a des grandes entreprises comme Immobel, BPI, des gros acteurs de la financiarisation du logement et du bâti qui voient Bruxelles comme un terrain de jeu pour se faire de l’argent. Aujourd’hui la financiarisation n’est pas encore au stade le plus avancé mais toutes les conditions sont réunies pour que ça risque d’arriver. La vigilance est plus que jamais de mise. Les dirigeants politiques régionaux laissent faire : on vend les terrains publics au privé, on a des acteurs tels que Citydev qui permettent la spéculation immobilière…Tout ça rend possible la financiarisation ultérieure. C’est le « laisser-faire, laisser aller » néolibéral. Le « marché » et son « équilibre » doivent « régler le problème ». Pour nous, une des principales revendications aujourd’hui c’est la baisse des loyers : il n’est pas normal ni juste qu’il y ait des gens qui possèdent des dizaines de logements et s’enrichissent grâce à cette rente tandis que tant de personnes n’arrivent pas à se loger décemment. Le logement ne devrait pas être une manière de faire de l’argent. Ça semble être évident et pourtant on n’entend pas ce message-là. Il y a une normalisation de la multipropriété en Belgique.

Quels sont les obstacles sur le chemin de la mobilisation ?

CR : En-dehors de Bruxelles il y a des spécificités : par exemple autour du problème des secondes résidences, de AirBnb, les frontaliers, etc. Mais la question des multipropriétaires se pose partout. A Bruxelles, il y a plus de 60% de locataires, on pourrait se dire que comme nous sommes la majorité le rapport de forces devrait être « simple ». Le problème c’est que les locataires dans une situation difficile sont dans une urgence permanente : pour terminer le mois, « je dois choisir entre acheter des vêtements pour les enfants ou aller chez le médecin », « je suis expulsée dans un mois et je ne trouve pas de logement ». Donc quand nous on vient leur dire « viens manifester pour que dans quelques années il y ait un encadrement des loyers », ça parait assez abstrait. Il y a par ailleurs le problème plus général du défaitisme, « à quoi bon », à dépasser. Enfin, à force de voir le problème à travers le biais individuel, avec des réponses individualisées, on s’habitue à un « combat individuel ». C’est le cas avec l’allocation-loyer, avec la commission paritaire sur les loyers aussi. Il faut remettre du collectif. Les travailleur.se.s sociaux surnagent dans ces suivis individuels, ce qui rend plus difficile leur mobilisation.

Finalement, quelles sont les perspectives pour le mouvement ?

CR : Cette année est une année charnière. Ça fait plusieurs années qu’on fait des campagnes pour la baisse des loyers. Maintenant on vise à atteindre d’autres niveaux d’organisation et de propositions pour et avec les locataires. On veut faire grandir le mouvement et pour ça on doit faire plus que des manifestations. Du coup nous avons invité Emma Sanders de Livig Rent en Ecosse, qui nous inspire en termes de méthodes, avec du community organising, du porte à porte, des petites victoires. On sait que la baisse des loyers ne s’obtiendra pas en claquant des doigts. Ça implique des discussions stratégiques avec le secteur associatif. C’est super qu’il soit si présent mais il y a aussi la question de la survie de nos ASBL et de nos emplois. Le bilan d’étape c’est qu’on a ouvert une brèche sur la question des loyers abusifs, de la commission paritaire locative, malgré les doutes du secteur. On doit s’engouffrer dans cette brèche. J’ai aussi le sentiment qu’on parle de plus en plus du logement comme un fait politique, sur la place publique et non plus comme un fait divers. Notre présence au Parlement bruxellois est assez historique. Il faut maintenant aller chercher des victoires concrètes. Les élections régionales arrivent, reste à voir ce qui va se passer dans les programmes politiques et surtout l’accord de gouvernement.

ENCADRE : Le Housing Action Day 2023 revendique entre autres choses (extraits) :

  1. Une baisse immédiate et un encadrement des loyers.
  2. La fin des expulsions et un logement pour toutes les personnes sans-abri.
  3. La fin des logements vides, de la criminalisation des occupations et du squat !
  4. Une véritable gestion collective de nos logements et de nos lieux de vie, la reconnaissance de droits collectifs pour les locataires.
  5. La construction massive de logements sociaux et la rénovation du parc social vétuste.
  6. Un développement urbain et rural solidaire et écologique ! Un environnement de qualité, une isolation des bâtiments, une garantie d’accès à l’eau et à l’énergie pour toutes et tous.
  7. La régularisation des personnes sans papiers !

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