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Les blouses blanches en lutte pour la santé “que les travailleurs et patients méritent”

Laurence Deval est aide-soignante à l’hôpital Saint-Anne. Sandra Jevenois est animatrice en pédiatrie à Saint-Jean. Elles sont toutes les deux déléguées CNE. Elles nous expliquent le pourquoi et le comment de la mobilisation des blouses blanches[1].

Chou de Bruxelles: Est-ce que tu peux nous donner un peu le contexte du début , le pourquoi et le comment du mouvement?

Sandra Jevenois: Les normes à la base du nombre d’infirmières par patient datent des années 80.  Mais le travail a changé. C’est super bien d’avoir des dossiers informatisés mais ça met plus de temps à remplir et à tout compléter parce qu’on nous contrôle aussi plus et on nous demande de justifier de plus en plus le boulot. Dans mon service on est même pas le service minimum. On devrait être deux infirmières le matin, deux infirmières le soir. Elles sont une le matin, une l’après-midi et une à cheval sur deux services. Il n’y a tout simplement pas assez d’infirmières sur le terrain. On arrive pas à soigner les patients comme il faut. A partir du moment où on doit faire les bains, les douches, les médicaments à l’arrache. Ce n’est pas humain alors qu’on a choisi un métier de soins aux autres.

Comme il n’y a pas de gouvernement votre message est pour les suivants ?

Laurence Deval: Il faut que le gouvernement qui est en train de se faire maintenant sache ce qu’on veut. Il est temps. En fait, on a des normes d’encadrement qui sont datent de Mathusalem, qui sont toujours une infirmière pour 11 ou 12 patients. En fait, en Belgique les normes sont inférieures à toute l’Europe. Ce qu’on veut du gouvernement, c’est qu’il arrête un peu de faire des économies sur les soins de santé qu’il se rende bien compte qu’on n’est pas des usines.

J’ai l’impression que comme mobilisation syndicale les blouses blanches, c’est pas comme vous faites d’habitude.

SJ:  Ici c’est différent dans le sens où on reste dans nos propres entreprises et qu’on arrive à faire bouger beaucoup plus de gens. On essaie de choisir un créneau où c’est plus facile. Dans mon hôpital, 13h45 – 14h, c’est le moment où les deux équipes, celle du matin et celle du tard, se croisent. C’est après qu’elle se soient fait le rapport et c’est le moment le plus calme dans le service. Et donc c’est plus facile de se mobiliser. Et comme on perturbe pas le fonctionnement de l’hôpital, on a aussi eu le soutien des directions et des chefs.

LD: Je pense que ça a été un peu l’idée de refaire comme les jeudis du climat, donc on s’est dit on pourrait faire une action hebdomadaire. Comme ça les gens savaient : Mardi, c’est le mardi des blouses blanches. Les blouses blanches, d’ailleurs, c’est parce que y a pas que les infirmières, mais t’as toute La pyramide qui souffre: tu as les aides-soignantes, les aides-logistiques, les brancardiers, la cuisine, le service technique. Tout ce personnel est en blouse blanche et est en souffrance . Chaque hôpital pouvait faire à sa sauce. La seule consigne, c’était d’être visible et de retransmettre après l’événement sur Facebook avec #lemardidesblousesblanches.

Est ce qu’il y a une coordination entre les sites?

LD : La santé en lutte ? Alors ça, ça n’a rien à voir à la base avec le syndicat. J’ai suivi leurs pages sur Facebook. C’est un groupe de militants. Nous, on se joint à eux le 13 septembre pour leur prochaine assemblée générale. Par curiosité pour voir ce qu’il en est. D’après ce que j’ai compris, mais ça n’a rien à voir avec nous.

Et pourquoi est-ce que tu penses que ça a bien marché ?

LD: Le fait que cette action ait lieu sur place, et de la faire à 13 heures, qui est le temps de pause, qui est le moment où l’équipe du matin est relayée par l’équipe de l’après-midi. Les gens ont tellement envie de se faire entendre qu’ils se relayent dans les services en disant 13 heures, c’est un peu plus calme, les gens ont mangé, il y a moins de sonnettes, ils font souvent la sieste et donc ça permet à une grosse partie du personnel de descendre et de venir avec nous devant.

Et du coup, on a l’impression de voir des gens que tu n’avais jamais vu avant.

LD: Oui, c’est sûr, il y a des gens dont jamais on aurait pensé qu’ils seraient descendus. Il y avait des non-affiliés. Il y avait des autres couleurs syndicales qui sont descendues. Donc je pense que c’était le fait d’être avec tout le monde, d’être dehors qui les a attiré, de voir un peu ce qui se passait, de voir un peu qu’est-ce qu’on faisait et d’avoir un échange avec les travailleurs. On a fait des urnes avec des messages pour les employeurs et le gouvernement. Et puis se voir sur Facebook, ça marche bien. Tout le monde se partageait les vidéos. Les gens réclamaient leurs vidéos.

La mobilisation a eu beaucoup d’impact, comment vous voyez la force du mouvement?

SJ: Le fait que les directions soutiennent et tout le monde qu’on a mobilisé. Arriver en disant que même les directions nous soutiennent, ça va avoir un plus gros impact auprès des ministres. Et aussi, on en a parlé beaucoup plus, je trouve, que juste une manif dans un jour de grève où là, ça passe une fois à la radio, qu’il y en a autant qui ont bougé et généralement ils font plus attention à celui qui a cassé une voiture qu’aux milliers qui sont présents. Ici par contre, ça a fait beaucoup de remue-ménage sur les réseaux sociaux. Même si l’action était le mardi ça découlait sur les autres jours de la semaine, de tous ceux qui partageaient ou qui likaient les photos, les vidéos que tout le monde postait sur les actions qu’ils avaient faites. Jusqu’où ça s’est propagé moi je ne sais pas, mais personnellement, sur ma page Facebook, pendant tout le mois de juin, j’ai vu des photos et des vidéos qui disaient que les infirmières ne sont pas contentes.

LD: C’est sûr, ça a eu beaucoup d’impact au niveau médiatique, au niveau réseaux sociaux, mais niveau gouvernement rien n’a bougé. C’est sûr que nous, on reprend le mouvement le 10 septembre.  Le 9 septembre la commission paritaire se réunit avec les employeurs mais on se doute que rien ne va ressortir de là, donc on recommencera le mouvement. Je pense qu’on l’étendra jusqu’au moment où il y aura quelque chose qui bougera et ou on sera entendu.

SJ:  Jusqu’à ce qu’on obtienne ce qu’on mérite et ce que les patients méritent.

Donc vous allez reprendre le mouvement, vous allez ressortir tous les mardis?

LD: Ah oui. Et puis, on attend aussi que les centrales programment quelque chose. Il faut qu’il y ait un préavis de grève ou il faut qu’il y ait une manif qui soit programmée. tant qu’il n’y a pas ça. C’est un peu difficile nous de bouger autrement. En tout cas, pour les mardis sont couverts.

Comment vous décidez des actions ?

SJ: Chaque semaine, on donne le mot d’ordre de l’action suivante et on va dans tous les services pour leur dire. Les première semaine, c’était surtout juste mettre les brassards noirs et les autocollants partout. Ça été super suivi, on leur a demandé de poster en mettant le hashtag mardi des blouses blanches. Ils l’ont fait en masse. Et la semaine d’après, on est reparti dans les services et c’est seulement la troisième semaine qu’ on a vu qu’il y avait moyen de faire bouger pour faire une action…

Donc, par rapport à ce mouvement, tu as l’impression qu’il y a des choses qui sont différentes par rapport à ce que tu as connu avant comme mouvement depuis que tu es déléguée?

LD: Je trouve que c’est une chouette action qui a pu impliquer les travailleurs sur leur site. Cette action-là a permis à tous de participer par le port de l’autocollant, par le port du brassard. Et je crois que les conditions de travail deviennent tellement difficiles qu’on n’a pas vraiment de mal à mobiliser.

Donc, pour toi, il y a une leçon à tirer de cette expérience pour les mobilisations futures ?

LD: Je pense que les gens sont effectivement demandeurs de faire quelque chose. Les gens sont demandeurs que leurs conditions de travail s’améliorent. Je crois que descendre dans la rue, marcher d’un point A à un point B, ça ne marche pas. Il faut être honnête, on l’a déjà dit, faire les petits moutons en respectant l’itinéraire, ça ne marche pas non plus. Je crois que les gens veulent aller parfois un peu plus au crash. On se rend compte, on te dit tu marches du Nord au midi. Alors ça fait quoi? En plus, tu marches en rue, tu chantes, tu danses. C’est pas montrer que t’es en colère.

SJ: Le fait était qu’avant on faisait tout le temps la même chose et que les gens en avaient marre et avaient l’impression que ça ne servait à rien. On ne donne pas assez de feedback de ce qu’on a atteint, grâce à nos actions, on les motive à faire l’action mais après pour dire, ce qu’on a obtenu, ça tombe un peu à plat et on n’informe pas assez les travailleurs de ce qu’on a atteint. Et le fait que c’est tout le temps la même chose. Le rassemblement gare du nord et de marcher jusque gare du midi tout le temps et même les délégués le disent: les gens en ont marre, c’est bon on connaît la rue par cœur. Ici, franchement, d’avoir fait un truc nouveau, d’avoir trouvé une idée qui va toucher plus de travailleurs et le fait que c’est un mouvement qui continue, je pense que ça a donné un impact beaucoup plus positif. Et ça nous donne nous la chance aussi de rester en contact. Ceux qui sont venus mardi passé, ce n’est pas les mêmes qui vont travailler mardi prochain, donc on est obligés de retourner dans les services pour mobiliser, rappeler que c’est important, que y a ça qui ne va pas et qu’on veut obtenir un vrai changement.

Est-ce que toi, il y a quelque chose que tu voulais ajouter pour les gens qui nous lisent?

LD: Bah oui, ils vont de toute façon être victimes parce que les gens qui nous lisent un jour ou l’autre, ils seront patients et avec ce qui sont en train d’arriver ils en paieront les conséquences.

[1] Pour des raisons pratiques, les deux interviews ont été menées séparément, avec l’accord des interviewées nous les avons rassemblées à posteriori.

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