L’éducation populaire ne se confine pas

Équipes Populaires

À Bruxelles comme ailleurs, la quarantaine nous a obligé.e.s à changer nos manières d’agir. Le cœur de notre activité étant des dynamiques de groupes et actions collectives, nous avons forcément dû nous adapter. Il était primordial pour nous d’opérer ce changement, afin que notre démarche colle à un quotidien bouleversé. Très rapidement nous avons pris conscience que les publics avec lesquels nous travaillons allaient subir de plein fouet les conséquences de cette crise et du confinement. Plusieurs initiatives ont été mises en place dès le début de manière assez évidente, d’autres se sont construites en réponse à cette situation inédite. Parmi celles-ci, trois nous ont particulièrement occupées :

  • Une première initiative en interne de notre organisation et en lien avec le MOC dont l’objectif est d’être au contact quasi quotidiennement avec de nombreux publics précarisés, exclus et/ou isolés, de leur donner la parole et les placer au centre de l’action politique : Les Confins.
  • La deuxième initiative découle de ce travail en amont et prend une forme différente, ouverte et horizontale, rassemblant des sans-abris, des professionnels et des citoyens engagés bénévolement : une distribution citoyenne qui a eu lieu presque tous les dimanches depuis le début du confinement.
  • La troisième est tournée vers un enjeu spécifique : le logement. Conscients qu’il faille s’organiser pour que demain, à Bruxelles, les locataires puissent être défendus et protégés face à la crise.

Loin de nous l’idée de considérer ces dynamiques comme étant passagères, comme si elles devaient s’arrêter après le déconfinement, que cette crise ne serait qu’une parenthèse et que nous pourrions repartir de là où nous en étions avant. En effet, à la crise sanitaire s’ajoute une crise politique et sociale sans précédent, qui aura sans doute un impact colossal sur nos sociétés et la condition humaine dans les mois et années à venir. Ces initiatives sont des graines que nous semons et qui nous permettront d’appréhender la suite et les défis futurs, de mettre en place un rapport de force favorable pour les prochaines luttes.

Les Confins
Tout a commencé avec un téléphone portable et une page blanche. Ces coups de fil qui n’étaient au départ que des rappels de militant.e.s ou bénévoles ont pris la forme d’un « carnet de bord du confinement ». C’était en effet le moyen le plus pratique de garder contact avec eux, de mettre en place des solidarités directes, d’avoir une vigilance et d’intervenir sur des situations sociales problématiques. Ou tout simplement de prendre des nouvelles et de briser le quotidien et la solitude. Ce journal nous permettait également en ces temps troublés et exceptionnels de garder des traces, des témoignages en mémoire.

D’autres organisations constitutives du MOC de Bruxelles ont aussi récolté les témoignages de leurs militant.e.s et sympathisant.e.s. Mis en commun, cela a donné naissance à : Les confins, résistance au quotidien. En rendant publics sur les réseaux sociaux ces coups de gueules, ces craintes, ces petites histoires, l’objectif est de se faire le porte-voix des précaires, des mal-logés, de toutes celles et ceux que nous n’entendons pas suffisamment, pour qui le confinement a eu des conséquences dramatiques sur les revenus, la santé, la scolarité des enfants, entre autres. Et pour qui fin du confinement ne rime pas avec fin de la galère, loin de là. Mais les limites de ce type d’action se sont aussi fait sentir : Comment insuffler une démarche de co-construction des savoirs quand seules deux personnes interagissent au téléphone ? Comment renforcer notre pouvoir d’agir dans le réel quand tout s’organise « dans le cloud », sur les réseaux ? Comment, in fine, faire vivre notre démarche d’éducation permanente qui nous est chère ?

Distribution de colis alimentaires
Le travail avec les sans-abris amorcé à la rentrée 2019 dans le cadre de la Journée mondiale de lutte contre la pauvreté a facilité la construction de cette maraude citoyenne. Dès le début du confinement, il est apparu vital d’organiser une distribution de colis alimentaires ciblée à la Gare Centrale. Sur place, la situation était déjà très problématique, elle a empiré avec le confinement. Malheureusement, l’absence de coordination sérieuse des structures dédiées au sans-abrisme n’a pas arrangé les choses. Cette intervention s’est faite de manière efficace sur l’aide alimentaire grâce à l’action de la Fédération des Services Sociaux.

Cette maraude est partie d’un tout petit groupe, et était adressée à une trentaine de sans-abris. Après quelques semaines avec l’aide d’une vingtaine de bénévoles pour confectionner les colis et pour les distribuer, c’est plus ou moins 150 sacs que nous acheminions à la Gare Centrale tous les dimanches. Accompagné.e.s de produits d’hygiène, de vêtements et chaussures, et d’une aide spécifique et attentionnée pour les femmes en rue.

Dès le départ et encore aujourd’hui, c’est avec le public sans-abris, les premiers concernés, que nous organisions ces distributions. Cette maraude citoyenne d’urgence s’est arrêtée ce dimanche 19 juillet, nous estimons en effet que c’est aux pouvoirs publics de prendre en charge sur le long terme l’aide alimentaire et l’accompagnement social mis en place par le groupe. Ce n’est pas aux citoyens d’organiser ce type d’aide d’urgence, mais bien aux responsables politiques.

Si le message général diffusé par les institutionnels du secteur est que « les politiques à destination des sans-abri ont été efficaces et à hauteur des enjeux », nous sommes pour notre part plutôt dubitatifs et ne cédons pas à l’auto-congratulation ambiante. La vigilance reste de mise, en ce qui nous concerne, la démarche d’éducation populaire au service des hommes et des femmes privé.e.s de logement comme nous l’avons fait ces derniers mois n’en est qu’au début.

Merci à Dominique sans qui tout cela n’aurait pas été possible. Merci aussi à Michel, Viviane, Chantal, Hicham, Gaëlle, Salma, Laura, et Touati. Prompt rétablissement à Geoffrey et Alex, courage à Sofiane et Laurent. Un tout grand merci à Klaartje, Virginie, Karin, Jacqueline, Sabine, à Corinne, Anne, à Anne-Catherine et ses enfants. Merci à Brieuc, Nathalie, Lila et Sylvie,… Merci et bravo à tou.te.s, et à bientôt.

Action Logement Bruxelles
Action Logement Bruxelles est un groupe composé de locataires précaires et militant.e.s pour le droit au logement – avec ou sans chapeau associatif –, né du constat suivant : le confinement va amener des situations inédites, de nouvelles personnes vont tomber dans la précarité, et les premiers touchés seront celles et ceux devant payer un loyer – trop souvent exorbitant – tous les mois. Notre volonté est de mettre en lien les locataires précaires et habitants de Bruxelles, les fédérer, se soutenir et s’informer mutuellement, rechercher des moyens d’action collectifs et dénoncer les processus de marchandisation et de financiarisation du logement. Nous revendiquons des logements abordables et dignes pour toutes et tous à tout moment. Nous pensons que la propriété privée immobilière telle qu’elle existe empêche le droit au logement, au sens où elle sert des intérêts lucratifs (de vendeurs et de bailleurs) plus qu’elle ne permet d’assurer l’accès au logement pour toutes et tous. C’est pourquoi il nous paraît essentiel de la questionner, de la limiter et de la repenser, tout en cultivant des alternatives (logements sociaux, coopératifs, autogérés). Le groupe est en construction et projette de réunir les locataires en assemblées au plus vite. D’un contact principalement numérique – confinement oblige – nous passons petit à petit aux contacts dans le réel, avec un enjeu capital en tête : comment toucher les non-numériques, les personnes non connectées, toutes celles dites en “fracture numérique” ?

Nous ne mesurons pas encore les conséquences sociales qu’aura cette période de confinement. Mais ce qui est sûr, c’est que la précarité a augmenté, et que face à cela nous ne sommes littéralement pas tous logé.e.s à la même enseigne. Pour les locataires précaires, les sans-papiers, les sans-abri, les travailleur.se.s pauvres, les intérimaires, les étudiant.e.s jobistes, il est urgent de créer du lien, du collectif, de s’organiser pour défendre ses droits, défendre ce qui a été gagné durant la crise mais aussi se battre pour récupérer ce qui a été perdu et ce qui n’était déjà pas là avant celle-ci. Les expulsions reprennent dès le premier septembre, plus que jamais la voix des locataires doit être entendue. Et que dire des personnes sans-abri confinées dans des hôtels dits « réquisitionnés », qu’en adviendra-t-il à la fin de l’été lorsque le dispositif s’arrêtera ? Un retour à la rue ? Si nous ne pouvons nous satisfaire de mesures d’urgence, il n’est pas non plus acceptable qu’elles s’arrêtent purement et simplement, sans mise en place de mesures structurelles.

Par ailleurs, la dématérialisation des rapports sociaux rend toute mobilisation et tentative d’organisation collective compliquée, de facto en sont exclus les personnes déjà aux marges de nos sociétés. Pour les personnes sans-chez-soi, qui ont un accès encore plus difficile à l’information, la situation est d’autant plus catastrophique.

Nous avons dû par la force des choses adapter notre mode de fonctionnement et notre manière de travailler avec nos publics. Mais la nature même de notre travail et le public avec lequel nous nous organisons fait que nous devons nous ancrer dans le réel.

Quand l’espace public est virtuel, quand les mobilisations se font sur les réseaux sociaux et l’organisation de ces mobilisations en vidéo conférence, nous laissons derrière nous les personnes précarisées qui, hier, étaient au cœur de nos mouvements. Cela pose aussi la question du fonctionnement démocratique des mouvements, plateformes, collectifs : qui participe ? Qui décide ? Qui organise ? La voix de qui peut-on porter ? Aux Équipes Populaires nous avons à cœur de mettre nos membres au centre de ce processus. Mais comment continuer à faire cela correctement quand ils et elles ne sont pas connecté.e.s ?

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