7 système de soins de santé - manifestation Santé - 13 septembre 2020

Le fonctionnement du secteur de santé, focus sur Bruxelles

Par Jean Hermesse,
Mutualités chrétiennes

18 mois après les élections législatives de juin 2010 en décembre 2011, un nouveau gouvernement est enfin formé. Son programme prévoit une sixième réforme institutionnelle impliquant cette fois le transfert de plusieurs compétences relevant de la sécurité sociale : soins de santé, emploi, allocations familiales.

Afin de répondre à la volonté des partis flamands, il fallait transférer un montant significatif  (« vette vis », poisson gras) dans le domaine des soins de santé. Pour y arriver, une série de compétences hétéroclites a été additionnée pour former un montant de 5 milliards €. Les compétences transférées sont le secteur des maisons de repos (3 milliards €), le financement des constructions hospitalières, les soins dans des centres de revalidation (autisme, toxicomanes, AVC…), l’Aide aux Personnes Âgées (APA), quelques services de santé mentale, les services de prévention (vaccinations, dépistages), l’organisation de la première ligne… Ces matières concernent peu de patients, principalement des personnes âgées dépendantes soignées en maisons de repos (près de 150000 personnes), les bénéficiaires de l’APA (près de 170000), des malades chroniques soigné.e.s en institution sur le long terme. Les vaccinations et les programmes de dépistage concernent eux plusieurs millions de personnes mais représentent des montants financiers nettement moindres.

Le financement de toutes ces compétences a été organisé par une loi spéciale de financement prévoyant des dotations fédérales sur base historique. Cette solidarité historique sera progressivement réduite dans le cadre d’un mécanisme de transition qui prend fin en 2034. Ces dotations fédérales ont été financées en les retirant du budget de la Sécurité sociale. L’origine du financement de la Sécurité sociale, à savoir la solidarité basée sur des cotisations sociales proportionnelles aux salaires, n’est plus identifiable et donc la gestion paritaire par les partenaires sociaux, fondement de notre Sécurité sociale, ne s’impose plus pour la gestion des matières sociales transférées aux Régions et Communautés. D’ailleurs, l’implication dans la gestion des protections sociales régionales est très différente entre les trois régions.

Un mécanisme de croissance des dotations fédérales est également prévu en fonction de l’inflation, de la croissance du PIB et de certains paramètres démographiques. Mais in fine, les taux de croissance des dotations ainsi calculés seront dans  toutes les hypothèses largement inférieurs que si ces compétences étaient restées au sein d’un budget global des soins de santé permettant d’accorder aux soins chroniques une plus grande marge. En fait, par ce mécanisme de financement, l’État fédéral s’est déchargé d’un secteur de soins en croissance importante vu le vieillissement et l’évolution des besoins en soins chroniques. Et comme les dotations fédérales sont largement insuffisantes vu l’évolution des besoins, cela risque de conduire de facto à une privatisation larvée aux personnes âgées.

Pour comprendre l’organisation et la gestion des soins de santé à Bruxelles, rappelons d’abord que la santé et l’aide aux personnes relèvent de ce qu’on appelle les matières « personnalisables », c’est-à-dire qui sont attachées aux citoyen.ne.s (et non à un territoire précis). C’est donc d’abord la Communauté flamande, la Communauté germanophone et la Fédération Wallonie-Bruxelles qui devaient hériter des matières transférées. Les francophones ont cependant décidé de séparer cette gestion entre la Wallonie et Bruxelles et c’est la Commission Communautaire Commune (COCOM), une entité bilingue, qui gère les compétences transférées sur le territoire de la Région bruxelloise. Pour la gestion des compétences, un modèle hybride a été retenu, fruit d’un compromis entre les partenaires de la majorité. D’un côté Iriscare, un OIP (Organisme d’Intérêt Public) créé pour la gestion d’une série de matières en santé, aide aux personnes et allocations familiales, organisé selon le modèle de la gestion paritaire (prestataires de soins, mutualités, syndicats et patrons). De l’autre côté, l’administration de la COCOM faisant partie des services du Collège Réuni garde une série de compétences dites « régaliennes ». La gestion des matières santé et aide aux personnes est donc un exercice collectif. La gestion quotidienne des flux financiers et administratifs a été confiée aux mutualités qui assuraient ces missions avant le transfert des compétences. Pour ce faire, toutes les mutualités ont créé des Sociétés Mutualistes Régionales propres à chaque région. Pour assurer une certaine cohérence et la portabilité des droits entre les régions (pour permettre qu’un citoyen d’une région puisse faire valoir ses droits dans une autre région) trois accords de coopération ont été conclus. Enfin signalons encore la Conférence Inter-Ministérielle (CIM) réunissant régulièrement tou.te.s les ministres compétent.e.s pour régler les nombreuses zones d’ombre, interprétations, délimitations, coordonner les initiatives politiques et se concerter pour gérer la crise sanitaire…

Tout le monde s’accorde pour constater que la sixième réforme institutionnelle a encore complexifié la gestion et l’organisation des soins de santé en Belgique. Les personnes, « experts », encore intéressées par et capables de plus ou moins comprendre et expliquer cette lasagne institutionnelle sont rares. Cette complexité éloigne les citoyen.ne.s et les représentant.e.s politiques des questions sur l’organisation et la politique de la santé et concentrent l’attention sur la tuyauterie institutionnelle et des discussions sans fin sur le partage des compétences. Depuis 2011, soit depuis 10 ans, des milliers d’heures ont été consacrées pour créer de nouvelles institutions, de nombreux textes réglementaires, de nouvelles procédures administratives pour juste assurer que cela marche comme « avant » puisque  ça marchait bien « avant »…

Plus navrant encore, ce transfert de compétences a entraîné un recul de la couverture pour les malades chroniques, des politiques différenciées en matière de prévention, d’organisation de la vaccination et des dépistages et donc forcément plus de complexité et de lourdeur organisationnelles. C’est un handicap lorsque face à une pandémie, la rapidité d’action est essentielle. Le rôle des interlocuteurs sociaux dans le cadre de la gestion paritaire s’est affaibli. Face aux défis du vieillissement, de la croissance des maladies chroniques, des inégalités par rapport à la santé, des problèmes d’accès aux soins, des évolutions technologiques et de la marchandisation de la santé : quelle réforme nous assurera plus d’efficacité et de perspectives aux citoyen.ne.s et aux patient.e.s ?

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