Protection sociale

La protection sociale, un droit universel peu appliqué

Par Claire Courteille
Directrice Bureau International du Travail (BIT) à Bruxelles

La protection sociale, un droit universel peu appliqué
Avec la création d’emploi, le respect des droits au travail et le dialogue social, la protection sociale est un des quatre piliers du travail décent tel que défini par le Bureau International du Travail

Le slogan de campagne «la protection sociale pour tous », promu tout particulièrement en Belgique, est d’actualité. L’universalisation des droits à la sécurité sociale est bien un défi, sinon LE défi majeur, au niveau mondial. Avec plus de 70% de la population mondiale qui n’est pas couverte de manière adéquate, il apparait clairement que la promesse d’une protection sociale universelle, à laquelle l’article 22 de la Déclaration Universelle des Droits Humains et d’autres conventions internationales font référence, ne s’est pas réalisée pour la grande majorité de la population mondiale.

Le Rapport mondial du BIT sur la protection sociale 2014-2015 intitulé «Bâtir la reprise économique, le développement inclusif et la justice sociale», affirme en effet que seuls 27% de la population mondiale disposent d’un accès à une sécurité sociale complète.

Pourtant, la protection sociale est un outil politique essentiel pour réduire la pauvreté et les inégalités tout en stimulant la croissance inclusive. En améliorant la santé et les capacités des segments vulnérables de la société, elle augmente la productivité et soutient la demande au niveau macroéconomique.

De surcroît, ces dernières années semblent indiquer que les bénéfices de la protection sociale sont encore plus évidents en période d’incertitude économique, de faible croissance et d’inégalités grandissantes. La crise économique et financière mondiale actuelle en est un exemple. Dans la première phase de la crise (2008-2009), au moins 48 pays à revenus élevés ou intermédiaires ont mis en place des plans de relance pour un montant total de 2.400 milliards de dollars, dont environ un quart était consacré à des mesures de protection sociale. Ce soutien a agi comme un stabilisateur automatique qui a aidé les économies à retrouver leur équilibre et à protéger les chômeurs et les plus pauvres. Il est à noter cependant que dans la seconde phase de la crise, à partir de 2010, de nombreux gouvernements ont changé de trajectoire et se sont embarqués prématurément dans des mesures d’assainissement budgétaire, malgré le besoin de prolonger le soutien aux populations et de stabiliser la consommation.

Le rapport du BIT met en avant l’extension de la protection sociale comme un moyen de sortie de crise et un facteur de développement et de justice sociale. Il met aussi en exergue les considérables changements intervenus ces dernières années dans les pays du Sud. En effet, depuis quelques décennies, et de manière globale, les pays à revenu intermédiaire ont eu tendance à étendre leurs systèmes de protection sociale et à soutenir les revenus des ménages,  favorisant ainsi une croissance tirée par la demande. La Chine, par exemple, est près de réussir la couverture universelle des pensions et a nettement augmenté les salaires minimaux tout comme le Brésil qui a accéléré de manière remarquable l’extension de la couverture de protection sociale.

Certains pays à bas revenu, comme par exemple le Mozambique, ont aussi amplifié leur couverture mais souvent par des filets de sécurité temporaires avec de faibles niveaux de prestation. Cependant beaucoup de ces pays déploient dorénavant des efforts pour construire des socles de protection sociale dans le cadre de systèmes intégrés.

Les instruments du BIT en matière de protection sociale
La Convention phare est la Convention N° 102 qui couvre 9 catégories de risques et définit les conditions et les niveaux de prestations. La liste des 9 catégories de risques visés  inclut les soins médicaux, les allocations familiales, les prestations de santé, de chômage, de vieillesse, d’accidents du travail, de maternité, d’invalidité et de survivants. En 2012, cette Convention a été renforcée par la Recommandation N° 202 sur les socles de protection sociale, qui porte essentiellement sur l’extension de la couverture de façon à ce que toutes les personnes dans le besoin puissent être protégées au moins à un niveau élémentaire.

De fait, la stratégie du BIT sur l’extension de la protection sociale repose sur une approche bidimensionnelle, adoptée par la 100ème session de la Conférence Internationale du Travail, en 2011. Cette approche bidimensionnelle vise d’une part, la mise en œuvre rapide de socles nationaux de protection sociale, contenant des garanties élémentaires qui assurent un accès universel aux soins de santé essentiels et la sécurité élémentaire de revenu (dimension horizontale), conformément à la Recommandation N° 202. Elle vise d’autre part, à élever progressivement le niveau des prestations dans des systèmes de protection sociale intégrée (dimension verticale), selon les principes de la Convention N°102 sur la sécurité sociale.

La Recommandation N° 202 sur les socles de protection sociale
Les socles de protection sociale sont des ensembles de garanties élémentaires, définies au niveau national, qui permettent de prévenir et réduire la pauvreté, la vulnérabilité et l’exclusion sociale. Ces garanties devraient assurer au minimum à toute personne dans le besoin, tout au long de la vie, l’accès à des soins de santé essentiels et une sécurité élémentaire de revenu.

Selon la Recommandation N°202, les socles nationaux de protection sociale devraient au moins comprendre les quatre garanties suivantes, définies à l’échelle nationale :

  1. accès aux soins de santé essentiels, y compris les soins de maternité;
  2. sécurité élémentaire de revenu pour les enfants, y compris l’accès à l’alimentation, à l’éducation, aux soins et à tous les autres biens et services nécessaires;
  3. sécurité élémentaire de revenu pour les personnes d’âge actif qui sont dans l’incapacité de gagner un revenu suffisant, notamment pour des raisons liées à la maladie, au chômage, à la maternité ou l’invalidité;
  4. sécurité élémentaire de revenu pour les personnes âgées.

Ces garanties devraient être fournies à tous les habitants et à tous les enfants, être définies dans la législation et soumises aux obligations internationales existantes. La dimension de genre est essentielle puisque les femmes ont des besoins spécifiques en matière de protection sociale et qu’elles ont une position moins favorable que les hommes sur le marché du travail.

Dans la mise en place de socles au niveau national, le BIT veille à ce qu’un lien soit établi entre la protection sociale et les politiques de l’emploi afin d’assurer que les individus s’affranchissent de manière durable de la pauvreté, puissent trouver un emploi décent, éviter le chômage de longue durée et participer davantage au marché du travail.

Alors qu’ils sont adoptés au niveau mondial, les socles de protection sociale sont définis au niveau national dans le cadre de structures institutionnelles, de contraintes économiques, de dynamiques politiques et d’aspirations sociales spécifiques à chaque pays. La mise en œuvre progresse généralement en fonction des priorités et des capacités nationales, en tirant parti des programmes de protection sociale existants et sur la base de sources de financement viables.

Concernant le soutien financier, la rareté du travail décent au niveau mondial rend urgent le besoin de concevoir des formes nouvelles de financement de la protection sociale. Les pays du Sud ont de riches expériences dans la mise en place de systèmes contributifs et non contributifs innovants. Les études du BIT montrent que tous les pays peuvent mettre en place des socles de protection sociale, de façon progressive et évidemment adaptée aux revenus du pays et à la capacité contributive de la population.

Enfin, il faut voir dans ces socles la première étape vers une protection sociale améliorée. Dans la mesure où les économies se développent et où leur marge de manœuvre financière et budgétaire s’agrandit, il sera nécessaire d’envisager une nouvelle extension de la protection sociale. Dans les pays disposant déjà de systèmes complets mais fragmentés, le socle de protection sociale ne doit pas être considéré comme susceptible de diminuer les niveaux de protection mais plutôt comme un moyen de combler les lacunes en termes de couverture et/ou de prestations.

Le nouveau Programme pour le développement durable
La communauté internationale a un rôle important à jouer. Assurer qu’un plus grand nombre d’hommes et de femmes ait accès à la protection sociale, fait partie des ambitions du nouveau Programme de développement 2030 adopté par l’Assemblée Générale de Nations Unies en septembre 2015. L’objectif n° 1 de ce programme, portant sur l’éradication de la pauvreté sous toutes ses formes, prévoit notamment la mise en œuvre au niveau national de systèmes et mesures adéquates de protection sociale pour tous, y compris des socles, ainsi que la couverture substantielle des personnes pauvres et vulnérables d’ici à 2030.

L’engagement au niveau international est scellé, les outils existent et ils sont à disposition. La coordination interinstitutionnelle au niveau mondial a rarement été aussi satisfaisante et les sources de financement sont identifiées. Il reste une chose à faire : travailler avec toutes les parties concernées y compris les partenaires sociaux au niveau national afin de faire de l’article 22 de la Déclaration Universelle une réalité : « Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale »

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