Elodie Stockman, Jeunes CSC Bruxelles
Depuis plus de neuf semaines, Bruxelles voit défiler des dizaines de milliers de jeunes pour réclamer l’arrêt immédiat d’une catastrophe déjà bien avancée : le basculement climatique que nous vivons depuis plusieurs années déjà, sous l’égide de rapports de plus en plus alarmants du monde scientifique. L’intervention de Greta Thunberg, lors de la COP 24 a donné le coup d’envoi de ce mouvement social. Cette jeune Suédoise de 16 ans résume en deux phrases les enjeux et profits qui caractérisent l’économie actuelle, l’exploitation des pays du Sud pour le bénéfice des riches pays du Nord :
« Notre biosphère est sacrifiée pour que les riches des pays comme le mien puissent vivre dans le luxe. Ce sont les souffrances du plus grand nombre qui paient pour le luxe du plus petit nombre. Et si les solutions au sein du système sont impossibles à trouver, nous devrions peut-être changer le système lui-même. »
A l’issue de ce discours et de l’appel de Greta Thunberg à une mobilisation de masse des jeunes partout dans le monde, un mouvement spontané de la jeunesse, principalement néerlandophone à sa base, s’est lancé dans les rues de Bruxelles, mené par quelques jeunes sous la bannière de « Youth for climate ». Ce mouvement s’est depuis étendu à d’autres villes comme Leuven, Anvers, Gand, Namur, Tournai, Liège, Mons, Huy, Charleroi, etc.
Les interventions médiatiques des représentant.e.s de Youth for climate Anuna de Wever, Kyra Gantois (côté néerlandophone) et Adélaïde Charlier (côté francophone) peuvent laisser apparaître une ambiguïté sur leur positionnement politique, il est vrai que leurs discours ne relient pas directement causes structurelles et réponses structurelles. Nous avons pu discuter avec Eva, étudiante à l’UCL en sociologie-anthropologie et active dans le mouvement : pour elle, « c’est vraiment une bonne chose que les questions écologiques soient rendues visibles et que l’initiative récente des marches pour le climat soit portée par des jeunes flamands et wallons, il faut que la voix des jeunes soit portée sans être instrumentalisée par les médias, les réseaux sociaux ou les partis politiques. Les jeunes demandent aux politiques d’agir parce qu’ils savent que ce n’est pas eux seuls qui changeront les choses mais l’ensemble de la société réunie. »
Des tentatives de récupération ont évidemment eu lieu : entre Marie-Christine Marghem qui estime « soutenir les jeunes », alors que ces mêmes jeunes estiment qu’elle n’y comprend rien, l’apparition d’une Loi climat venant d’Ecolo-Groen et du PS et la campagne « Sign for my future » sous la bannière des patrons des grosses entreprises et d’une partie du monde politique, il est facile de penser que le mouvement social de la jeunesse peut échapper aux protagonistes de la base. « Ces réponses sont minimes et peu pertinentes, la ministre de l’enseignement Schyns a envoyé une circulaire qui a d’ailleurs fait débat sur le fait d’encourager les élèves ou pas à aller manifester. La société civile a déjà montré à de nombreuses reprises son indignation, c’est au tour du politique d’agir de manière concrète, le monde universitaire lui a déjà donné des clés avec la proposition de loi climat créée par des académiciens et chercheurs. »,ajoute Eva.
La loi Climat constitue un pas en avant. Elle est bloquée en particulier côté néerlandophone par la NV-A et l’OpenVLD. Mais elle ne répond pas aux problèmes posés par les grosses entreprises, premiers gros pollueurs : exploitation des matières premières, extraction des énergies fossiles des pays du Sud pour le bénéfice des riches pays du Nord, au détriment de milliers de personnes délogées, expulsées, violentées, surexploitées sur leurs propres terres pour des salaires de misère, avec les femmes et les enfants comme premières victimes. La Loi Climat propose de mettre en place des comités d’experts, assortie d’une transition douce vers les énergies renouvelables. Les maîtres mots sont : maintien du réchauffement en dessous de 2° et diminution des émissions de gaz à effets de serre. Ce sont des priorités mais il faut y ajouter la justice sociale et pointer les responsabilités des multinationales.
La campagne « Sign for my future », si elle peut paraître attrayante, perd vite de sa superbe lorsqu’on se rend compte de qui tient les rênes : comme le dit Eva, « l’initiative semble liée à des grosses entreprises belges, ce qui est à mon sens incohérent. » Là non plus, aucune réponse structurelle n’est apportée. A la place, nous avons affaire à du greenwashing: les multinationales parmi les plus polluantes (Danone, Unilever, PNB Paribas, EDF Luminus…) se sont retrouvées signataires de cette campagne, afin de redorer leur image à grand coup de publicités tandis que leurs investissements dans les énergies fossiles ne ralentit aucunement.
Certes, « Youth for climate » a signé la campagne « Sign for my future » et paraît satisfaite des propositions de la Loi Climat. Mais devrait-on pour autant retirer tout soutien au mouvement dans son ensemble, alors même que la jeunesse se mobilise massivement, une mobilisation historique, tous les jeudis un peu partout en Belgique, avec dans les cortèges des prises de position fermes face à l’inertie de notre système économique et politique devant les urgences écologiques et sociales ? Alors même que ces jeunes demandent du soutien concret du mouvement ouvrier ? Poser la question, c’est y répondre.Anuna de Wever subit des menaces quotidiennes depuis qu’iel a initié « Youth for climate » mais iel est toujours là, la ministre flamande de l’environnement Joke Schauvliege a été contrainte de démissionner pour ses propos complotistes sur les mouvements des jeunes, Théo Francken veut se moquer du mouvement à coups de tweets sans succès dans la jeunesse. Tout cela montre que quelque chose bouge et que le vieux monde tremble.
Ces jeunes sont souvent conscient.e.s qu’une véritable transition écologique va de pair le respect des travailleur.se.s et des plus précaires. Greta Thunberg le répète à chacune de ses interventions. Iels ont jeté hors de leurs manifs les membres du groupuscule d’extrême-droite Schild en Vrienden. Beaucoup pointent également la limite des actions individuelles, qui ne suffisent pas si l’on veut changer fondamentalement les structures de notre société. Faire porter la responsabilité du basculement climatique sur les individus est une tentative de plus du monde politique et des multinationales de se dédouaner de leurs énormes responsabilités.
Un danger pour le mouvement serait d’attendre trop du monde politique. Le rapport de forces peut être en leur faveur et sans doute ne se rendent-iels pas encore compte du pouvoir qui se trouve là entre leurs mains. Si le monde politique ne répond pas à leurs attentes, il faudra trouver d’autres moyens de s’imposer. Les jeunes ont besoin de tous les soutiens possibles, leur combat nous concerne tou.te.s. « Pour moi, les syndicats devraient soutenir ces luttes sans pour autant reprendre le flambeau des mains des initiateurs originaux, avoir le rôle de de porte-voix en somme pour inviter les travailleurs à faire de même. », poursuit Eva. Les mouvements de jeunes que sont « Youth for climate », « Students for climate » et leurs soutiens « Teachers for climate » et « Workers for climate », ont lancé un appel à une grève générale pour le climat ce 15 mars 2019. Cet appel a été relayé par plus de 300 scientifiques. D’autres mouvements comme Génération climat, Act for Climate justice, Climat et Justice sociale ou Extinction rebellion appellent à poursuivre et compléter la lutte par de la désobéissance civile.
Côté syndical, nous avons bien sûr été interpellés par cette formidable mobilisation de la jeunesse. Cela provoque heureusement de nombreuses discussions dans nos mouvements, avec en filigrane des questions de fond comme « sur quelle planète voulons-nous (sur)vivre, nous et la génération qui vient ? », « que veut-on produire ? », « de quels moyens de transport avons-nous besoin ? », etc. S’il n’est pas évident au premier abord pour le mouvement ouvrier de se saisir de ces questions, la CSC et plusieurs de ses centrales ont décidé (comme certains homologues côté rouge) de soutenir la grève du 15 mars pour le climat en couvrant tou.te.s les affilié.e.s et dans les meilleurs des cas en mobilisant activement les militant.e.s. Quoi qu’il en soit, ce mouvement laissera des traces, et on espère que cette génération deviendra celle de syndicalistes combatifs dans un futur proche.