© Patricia Hurtado

La grève du 8 mars. Une lutte qui cherche à dépasser les frontières

Par Natalia Hirtz, chercheuse-formatrice au Groupe de recherche pour une stratégie économique alternative- Gresea

Le 8 mars 2017, une trentaine de pays ont lancé la première grève internationale féministe. Cette grève questionne les frontières séparant les pays et les régions mais aussi les secteurs professionnels, les lieux de travail, la production et la reproduction, le personnel et le politique. En reprenant l’outil de lutte ouvrière par excellence, ce mouvement reconfigure la grève et lui donne un caractère international et global.

Lancé en 2017 par des féministes sud-américaines et polonaises, le mouvement de grève féministe ne tarde pas à s’étendre dans d’autres pays. En 2018, les féministes d’Espagne rejoignent massivement cet appel, encourageant la participation d’autres pays européens. En Belgique, des jeunes féministes, souvent extérieures aux structures syndicales et aux institutions féministes, décident de lancer un mouvement d’appel à cette grève. Comme dans d’autres pays, au départ, elles sont taxées d’utopistes. En effet, en prenant l’initiative d’une grève, sans compter préalablement sur la décision des organisations syndicales, elles se confrontent à l’idée préconçue consistant à considérer le syndicat comme seule institution valide pour appeler à une grève. De plus, aucune institution féministe belge n’avait pris cette initiative, ce qui renforçait le sentiment d’incertitude concernant le succès de cette action, ne se trouvant dans aucun agenda institutionnel mais remplissant depuis l’été 2018 celui d’une centaine des femmes déterminées à rejoindre ce mouvement international pour la visibilisation du travail assigné aux femmes. En reprenant l’outil de lutte ouvrière par excellence, ce mouvement reconfigure la grève et lui donne un caractère international et global.

Que ce soit en Belgique, en Argentine, en Espagne ou en Italie, loin de chercher à rentrer en compétition ou à délégitimer les organisations syndicales, les féministes appellent à la grève tout en cherchant à encourager la mobilisation de ces organisations qui souvent ont du mal à concevoir la grève comme un outil de lutte qui va au-delà des combats portant des revendications précises et se soldant par une négociation collective.

En effet, la grève du 8 mars, cherche à dépasser des combats ponctuels visant des succès partiels. Elle vise à favoriser un processus d’unité et d’organisation collective pour une transformation globale de la société. A cette fin, les femmes s’organisent en assemblées dans lesquelles elles expérimentent des formes d’organisation et des modes de relation non autoritaires et inclusives. L’assemblée n’est pas seulement conçue comme un lieu de prise de décisions, mais comme un espace-temps de construction et d’autoémancipation, c’est-à-dire un espace pour libérer et se réapproprier la parole, définir ses propres priorités et les moyens d’action et construire des liens de sororité.

Par cette grève, les féministes cherchent également à redéfinir la notion du « travail » habituellement compris comme synonyme d’« emploi » ou de « travail rémunéré ». En analysant la formation historique de la division sexuelle du travail, les féministes montrent que la séparation et la hiérarchisation entre le travail rémunéré et les « tâches domestiques » n’ont pas existé de tout temps. C’est lors de la formation du capitalisme que cette séparation a eu lieu, provoquant l’invisibilisation d’un travail qui sera assigné gratuitement aux femmes.

La grève du 8 mars cherche ainsi à rendre visible le rôle indispensable de ce travail, invisibilisé par le capitalisme patriarcal. Avec le slogan « On est toutes des travailleuses ! », les femmes se réapproprient la grève, habituellement réservée aux employé.e.s de l’économie formelle, pour mettre cet instrument de lutte à disposition de toutes et de tous. Enfin, en questionnant la séparation historiquement située entre « vie privée – lieu domestique » et « vie publique – lieu de travail », cette grève nous invite à penser l’imbrication du salariat dans l’ensemble de nos vies. Le travail domestique est défini comme travail reproductif, consistant à assurer la reproduction de la vie. La lutte pour le travail reproductif consiste donc à défendre la reproduction de la vie. Dans ce sens elle englobe une diversité de combats qui vont de la santé, l’éducation et la culture au salaire et aux conditions de travail ou encore à l’immigration, l’écologie, l’accaparement des terres et les conflits armés.

Enfin, comme le travail reproductif s’occupe de la reproduction de nos vies, ce combat nous invite également à ne pas nous limiter à revendiquer la valorisation de ce travail, mais surtout à questionner : quelle vie veut-on vivre ? Cette lutte pour la vie ne peut donc pas se limiter à un pays, un secteur professionnel ou un lieu de travail en particulier.

En expérimentant de nouvelles formes d’organisation et de lutte, cherchant à traverser les frontières séparant les secteurs professionnels, la production et la reproduction, le personnel et le politique, les pays et les régions, le succès de la grève du 8 mars, prouve le désir croissant d’une grande partie de la population mondiale de sortir des lieux socialement assignés pour embrasser une lutte globale.

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