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Hors-Série de la revue Chou de Bruxelles – Les Confins, résistance au quotidien

Edito : Pour ne pas (re)payer l’addition.

Équipe du MOC Bruxelles & Équipes Populaires de Bruxelles

«CELUI QUI A LE CONTRÔLE DU PASSÉ A LE CONTRÔLE DU FUTUR. CELUI QUI A LE CONTRÔLE DU PRÉSENT A LE CONTRÔLE DU PASSÉ.» DANS SON ROMAN « 1984 », GEORGES ORWELL, NOUS AVERTIT SUR L’IMPORTANCE DE QUI RACONTE L’HISTOIRE. NOUS AVONS VOULU LE PRENDRE AU MOT DANS NOTRE PREMIÈRE RÉPONSE À L’URGENCE SANITAIRE DU CORONAVIRUS ET AU KRACH ÉCONOMIQUE SANS PRÉCÉDENT AUXQUELS NOUS DEVONS FAIRE FACE.

La crise économique et sociale qui se déploie devant nous sera durable et verra une intensification du conflit entre ceux et celles qui ont tout et celles et ceux qui doivent faire face à la destruction de leurs conditions de vie. Nous choisissons de construire à partir de l’histoire des second.e.s. Nous avons donc récoltés les témoignages des personnes qui sont en première ligne face à la maladie et aux conséquences sociales des crises. Contrairement au discours dominant, nous ne sommes pas tou.te.s égaux.les face à la crise.

Si l’on écoute le gouvernement et le patronat, nous faisons face à une crise totalement inédite et imprévisible, difficile à contrôler malgré une gestion de crise “exemplaire” de Sophie Wilmes et des gouvernements en général. En outre, la pandémie serait l’unique cause d‘une crise économique sans précédent. Cette dernière pèse sur les finances publiques et les voix s’élèvent déjà pour préparer les efforts à faire demain au nom de “l’unité nationale”. Face à ces efforts, comme pour la lutte contre le COVID-19, nous serions tou.te.s dans le même bateau. Le refrain semble familier et nous rappelle comment en 2008 l’explosion d’une bulle financière spéculative sans précédent était devenue « la crise des dettes souveraines » qui a justifié la mise en place du démantèlement accéléré des systèmes de protection sociale et de santé par-delà le monde.

La crise économique en cours a peut-être été déclenchée par la pandémie mais ses causes sont au coeur du système capitaliste qui n’est jamais sorti de la crise de 2008. La pandémie est aussi le résultat de l’exploitation de la nature et de l’homme au nom du profit. De la même façon, la crise sanitaire est elle aussi profondément marquée par des années de politiques en faveur des banques et des actionnaires contre les besoins des travailleur.euse.s et des peuples. Chaque jour l’histoire de “l’union nationale qui fait ce qu’elle peut contre le virus” se fissure un peu plus, à l’image de la tragique et lamentable saga des masques. L’incapacité de nos États à répondre à l’urgence sanitaire est le produit d’années d’austérité budgétaire et de la destruction méthodique du secteur public – de santé notamment- au profit du privé. Non seulement nos gouvernements ont bien trop tardé à prendre la mesure du danger mais nous n’avons pas la capacité de tester correctement les cas suspects au point qu’il a fallu confiner tout le monde pendant une longue période. Pire encore, le personnel soignant en sous-effectif chronique depuis des années témoigne de comment on l’envoie combler les brèches – dans les hôpitaux, les maisons de retraites et les institutions de soins – sans le matériel médical le plus élémentaire : masques, vêtements protecteurs, gants, etc. Cette situation – qui a certainement provoqué de nombreux malades et décès – n’est pas un accident mais la conséquence de milliards d’euros de coupes dans les soins de santé. Les dégâts auraient pu être limités si le gouvernement ne s’en était remis entièrement dans les mains avides et les “libres initiatives” du marché privé pour fournir en urgence les équipements et tests nécessaires, et s’il avait eu la décence de réinvestir d’urgence dans les soins. On sait ce qu‘il en a été.

En parallèle, les témoignages affluent de travailleur.euse.s obligé.e.s de travailler sans pouvoir respecter les gestes élémentaires de protection, dans les supermarchés, la logistique ou le nettoyage en particulier. Grâce à l’argent des travailleur.euse.s, le chômage temporaire et économique, c’est la collectivité et la sécurité sociale qui ont absorbé la majorité du choc de la pandémie. Ici aussi, les témoignages affluent des abus et surtout des énormes difficultés auxquels doivent faire face les ménages qui perdent jusqu’à 30% de leurs revenus du jour au lendemain, voire 100% pour travailleur.euse.s précaires, informel. le.s, ou les sans-papiers. C’est dans ces témoignages que la crise sanitaire révèle l’étendue de la destruction et des inégalités sociales crées et alimentées par quarante ans de néolibéralisme. Le loyer, l’eau et l’énergie prennent immédiatement les plus précarisé.e.s à la gorge. Les dettes des plus précaires s’accumulent. Le mal-logement, c’est aussi l’enfer pour celles et ceux qui sont confiné.e.s dans des espaces trop petits, bruyants, surpeuplés ou avec un conjoint violent. Les mesures publiques de soutien déplacent un peu le problème mais au final garantissent surtout la perception des loyers aux propriétaires. Pour les plus précarisé.e.s, comme les travailleur. euse.s sans-papiers licencié-e-s sans autre forme de procès, l’alimentaire s’ajoute au loyer. L’incapacité des femmes travailleuses domestiques à renvoyer de l’argent chez elles, renforce la dimension internationale de la crise sociale. Les sans-abris se retrouvent dans des rues vides seuls face à la maladie. Pour tou.te.s l’accès au matériel sanitaire de base est inabordable et/ou impossible.


Face à des espaces trop exigus ou sans abris, des conjoints violents, la nécessité de manger ou d’espérer travailler un peu, ce sont les plus précaires qui sont contraint.e.s de sortir dans l’espace public où ils-elles font face à la réponse répressive, parfois violente, de la police. Les amendes administratives, légalisées à la hâte par des pouvoirs spéciaux, viennent empirer une réalité souvent désespérée. Délit de faciès et racisme alimentent une différence de traitement inacceptable selon que l’on habite à Woluwe ou à Anderlecht.


Ces vécus-là peuvent parfois être crus, brutaux. C’est à la hauteur du choc de la pandémie et de la violence de la crise sociale. Mais c’est aussi dans ces vécus-là que se révèlent les résistances du quotidien. C’est dans les contacts maintenus que se sont organisés les groupes de solidarité qui ont cousu des masques, confectionné et distribué des colis alimentaires ou encore assisté celles et ceux qui subissent la fracture numérique. C’est sur les témoignages des problèmes de loyer que se structurent les appels à les baisser ou les suspendre. C’est sur base du travail des syndicats en première ligne pour le chômage temporaire que sont lancés les appels à un vrai soutien pour tous les travailleur. euse.s salariés, intérimaires, étudiants ou artistes C‘est à partir du vécu des travailleur.euse.s sans-papiers qui se retrouvent sans aucun revenu qu’émane à nouveau l’appel à leur régularisation. Alors que le gouvernement continue de livrer nos soins de santé à l’industrie pharmaceutique et déconfine très vite au nom du retour au profit pour une minorité ; une majorité de personnes a organisé de véritables solidarités populaires matérielles et politiques avec les soignant- e-s, les travailleur.euse.s essentiel. le.s, les jeunes des quartiers, celles et ceux dans le besoin, les personnes sans-abris et sans papiers.


Ce Chou exceptionnel se veut un écho de ces vécus, invisibilisés par le discours « d’en haut ». Avec les confins, nous avons voulu contribuer à écrire l’histoire populaire du COVID-19 parce que c’est dans cette histoire-là, par « en bas », que se retrouve la légitime colère des soignant-e-s abandonnés et insulté-e-s, des travailleur.euse.s sacrifié-e-s sur l’autel du profit, de celles et ceux qu’on licenciera demain, des travailleuses domestiques abandonné.e.s par leurs « familles », des personnes âgées , des sans abri, sans emploi, sans papiers livrés à l’épidémie… Nos organisations devront être en phase avec cette colère. Pouvoir donner corps aux evendications pour le refinancement des soins de santé, pour des salaires à la hauteur du rôle essentiel des nettoyeur.euse.s et caissier.e.s, pour la garantie d’un logement digne à tou.te.s. Pour ne plus se refaire bercer, comme en 2008 par les appels à “moraliser” le capitalisme, le rendre “plus durable, plus juste, plus sain”…et voir ensuite revenir l’austérité des banques et du patronat. Le Covid19 agit comme un puissant révélateur et accélérateur des contradictions sociales et politiques de notre époque. Aujourd’hui, nous faisons les comptes, pour une contre-histoire, notre histoire collective, qui puisse nous servir à préparer nos actions collectives : nous refusons de payer – encore une fois – cette crise.

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