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Grande victoire pour la sécurité de millions de travailleuses de l’habillement

Article rassemblé par Jennifer Van Driessche (WSM),
Administratrice de la plateforme achACT

La sécurité des travailleur.se.s de la confection de vêtements reste un enjeu crucial pour l’industrie mondialisée de l’habillement, pour lequel beaucoup de mouvements sociaux se mobilisent. Après la catastrophe du Rana Plaza au Bangladesh, un Accord unique et contraignant a permis de grandes améliorations en termes de sécurité des bâtiments, tout en garantissant l’implication des multinationales de l’habillement signataires impliquées dans le pays. Il arrivait cette année à son terme. Après de longues semaines de négociations et à quelques jours de son expiration prévue le 31 août dernier, un nouvel Accord international[1] pour la sécurité des travailleur.se.s de la confection de vêtements a vu le jour. C’est une grande victoire pour la sécurité de millions de travailleur.se.s ! Nouveauté, et non des moindres dans ce secteur mondialisé : il ouvre la possibilité à l’expansion à d’autres pays de production où la vie des travailleur.se.s reste quotidiennement en danger.

L’effondrement du Rana Plaza : chronique d’un drame annoncé

La signature de l’Accord Bangladesh a suivi de quelques semaines la catastrophe du Rana Plaza, du nom de cette usine de confection de vêtements sise au Bangladesh, et dont l’effondrement a entraîné la mort de 1138 travailleuses et travailleurs et blessé gravement plus de 2000 personnes. Si l’effondrement du Rana Plaza demeure la pire catastrophe survenue dans l’industrie textile, il n’était pas le fruit du hasard. Entre 1990 et 2013, la Clean Clothes Campaign, représentée par achACT et ses organisations membres en Belgique francophone, avait dénombré, en tout, plus de 2200 mort.e.s et 4000 blessé.e.s dans les usines de vêtements bangladaises, marquées par des problèmes de sécurité chroniques. La règle dans cette industrie étant de produire toujours plus au coût le plus faible possible, les travailleurs et travailleuses de la confection sont soumis à des conditions de travail dangereuses, pour des salaires de misère.

Le scandale du Rana Plaza et la pression de la société civile qui a suivi, a convaincu plusieurs marques à mettre fin à la politique de l’autruche embrassée jusque-là. Très sensibles à leurs images, de nombreuses grandes marques ont ainsi été forcées de prendre le problème à bras-le-corps. L’Accord Bangladesh était né.

Des avancées concrètes pour des millions de travailleur.se.s

L’Accord Bangladesh lie les enseignes de la mode aux principaux syndicats du pays et aux syndicats internationaux. Près de 200 entreprises ont signé le premier Accord qui leur imposait, individuellement, de divulguer la liste de leurs fournisseurs bangladais et de garantir la sécurité dans les usines de production.

L’Accord 1, puis son prolongement, l’Accord 2, ont permis de réelles avancées. Ces « Accords » concernent plus de 2 millions de travailleur.se.s et comptabilisent ensemble plus de 35.000 inspections initiales et de suivi et totalisent 1.068 usines qui ont remédié à plus de 90 % aux problèmes détectés et 227 usines qui y ont remédié à 100%. A côté de cela, plus de 1.000 comités de sécurité ont été installés dans les usines et plus d’1,6 million de travailleuses ont été formées sur la sécurité et sur leurs droits. De vraies avancées concrètes sur le terrain de la sécurité au travail !

« Avec un Accord Bangladesh, le Rana Plaza n’aurait pas emporté un millier de vies lors de son effondrement, car les travailleuses auraient pu refuser de retourner travailler dans ce bâtiment. L’Accord inclut les voix des travailleuses, l’Accord inclut les voix des syndicats, l’Accord sauve des vies », tels sont les enjeux de l’Accord rappelés par Kalpona Akter, directrice du Bangladesh Center for Workers Solidarity.

Les droits humains ont-ils une date limite ?

Les mêmes enseignes qui s’enorgueillissaient il y a huit ans d’avoir signé un accord historique, se refusaient en 2020-21 à poursuivre le travail entamé en 2013. Les négociations ont été très difficiles, et ont même frôlé l’échec. Des entreprises ont tenté d’en affaiblir les contours, d’en rompre l’équilibre, mettant à mal les avancées obtenues à coup d’âpres négociations, notamment en termes de transparence, d’indépendance et de représentativité. Ce qui pose évidemment question quant à l’engagement réel de ces enseignes envers la sécurité et la santé des travailleuses qui produisent pour elles.

Le décalage entre le discours des marques, toujours promptes à mettre en avant leur souci des conditions de travail de leurs travailleur.se.s sur leurs sites promotionnels, et la réalité de leurs pratiques sur le terrain, est inacceptable.

Au moment même où sont négociées des législations sur le devoir de vigilance des entreprises pour les responsabiliser en matière de droits humains – tant au niveau international, qu’européen et belge – il était impensable de remettre en cause la suite d’un accord qui a fait ses preuves mais qui doit être, encore et continuellement, mis en œuvre. Les droits humains ne se négocient pas, les droits humains ne sont pas un argument marketing.

Renouvellement, mais soutien à garantir

Les organisations syndicales et les marques et enseignes signataires de l’Accord Bangladesh s’accordent sur la nécessité de préserver et poursuivre les efforts en matière de sécurité des bâtiments et prévention des incendies dans les usines de production de vêtements.

Le nombre de signataires de la nouvelle version de “l’Accord Bangladesh” sur la sécurité des travailleur.se.s du textile est en diminution, passant de 200 en 2013 à environ 150 aujourd’hui (dernier update : 3 novembre 2021). Actuellement, il y a quatre entreprises belges parmi elles : C&A, JBC, Tex Alliance et Van der Erve. On est encore loin des 11 entreprises qui avaient signé l’accord précédent.

Ce nouvel accord maintient les éléments essentiels de l’Accord Bangladesh : la force exécutoire des engagements des marques, un mécanisme de surveillance indépendant, l’obligation pour les marques et enseignes de payer aux fournisseurs des prix suffisants pour soutenir des lieux de travail sûrs, et l’obligation de cesser de faire affaire avec toute usine qui refuse de fonctionner en toute sécurité.

Au-delà du Bangladesh, le nouvel accord permet l’expansion à d’autres pays de production où la vie des travailleur.se.s reste quotidiennement en danger. Cette mesure attendue depuis longtemps doit être prise rapidement et sans réserve dans l’intérêt des travailleur.se.s de l’habillement, par exemple au Pakistan, qui réclament de meilleures mesures de sécurité depuis de nombreuses années.

achACT et son réseau international, la Clean Clothes Campaign accueillent très favorablement cette nouvelle et se mobilisent pour que le plus grand nombre de marques et enseignes de l’habillement s’approvisionnant au Bangladesh signent ce nouvel accord. De même, nous veillerons à ce que l’expansion d’un tel engagement à d’autre pays de production soit effective dans les plus brefs délais. Il reste donc du pain sur la planche.

Covid-19 et Rana Plaza : les déséquilibres de pouvoir à nu

La crise du Covid-19 réduit à néant les moyens de subsistance de millions de personnes dans l’industrie de l’habillement et rend encore plus nécessaire de soutenir les luttes pour un salaire vital, une protection sociale, la liberté d’organisation et la sécurité des usines.

En ces temps de pandémie virale mondiale, des millions de travailleuses et de travailleurs ont à nouveau dû choisir entre leur santé et leur sécurité d’une part, et leurs moyens de subsistance de l’autre. Une fois de plus, iels ont été forcé.es d’entrer dans les usines en y risquant leur santé, sans aucune garantie de soutien légitime par les propriétaires d’usine, les marques et enseignes ou le gouvernement, comme ce fut le cas au lendemain de l’effondrement pour l’indemnisation des victimes.

« Les déséquilibres de pouvoir au sein des filières d’approvisionnement mondiales sont aujourd’hui amplifiés par la crise du Covid-19. Mais ils ne sont pas neufs, déclare Amirul Haque Amin, président du National Garment Workers Federation du Bangladesh (NGWF), partenaire de WSM. Les marques et les enseignes doivent réformer fondamentalement leurs filières d’approvisionnement et donner priorité aux droits des travailleuses et des travailleurs, en mettant en place des moyens permettant d’assurer la sécurité sociale et des salaires décents grâce à des systèmes contraignants et transparents. »

Au cours des huit dernières années, de nombreux acteurs de l’industrie ont en outre travaillé avec diligence au Bangladesh pour mettre fin à l’insécurité financière des travailleuses et des travailleurs victimes d’accident de travail et de leurs familles en établissant un système d’assurance. Il est de la plus haute importance de veiller à ce que la mise en place de ce système tant attendu ne soit pas davantage retardée. La crise actuelle devrait au contraire inciter à créer un filet de protection sociale solide et conforme aux normes de l’Organisation internationale du travail en matière d’indemnités d’accident de travail, de chômage et d’assurance maladie. Le gouvernement du Bangladesh doit jouer un rôle de premier plan dans la mise en place de tels systèmes, mais ceux-ci ne peuvent être établis qu’avec un partage des coûts intégrés dans les prix des vêtements payés par les acheteurs internationaux.

[1] https://bangladeshaccord.org/updates/2021/08/25/brands-and-unions-reach-agreement-on-new-expanded-worker-safety-pact

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