marilou de la cruz

Entretien avec Marilou de la Cruz, représentante de la Ligue des travailleuses domestiques de la CSC Bruxelles.

Le 8 octobre, à l’occasion de la projection du documentaire Overseas portant sur les travailleuses domestiques philippines suivant une formation pour travailler à l’étranger, Manon Legrand du magazine Axelle s’entretient avec Marilou de la Cruz, représentante de la Ligue des travailleuses domestiques de la CSC Bruxelles [1]

Manon Legrand : ce film montre une partie de votre vie. Vous auriez pu être dans ce film. Pourriez-vous nous expliquer votre histoire, des Philippines à la Belgique ?

Maria de la Cruz : Ma famille vit aux Philippines. J’ai deux filles. En 2011, j’ai quitté le pays. J’ai été directement engagée par un diplomate italien, mais à la fin de son affectation en 2017, je suis devenue sans-papiers. Mon expérience personnelle n’est pas très éloignée de ce que vous avez vu dans le film “Overseas” qui traite de la formation des femmes qui sont sur le point de travailler comme domestiques dans différents pays. J’ai également suivi ces cours avant de venir en Belgique sans savoir ce qui m’attendait… Vous vous imaginez ? Certain-e-s trouvent notre travail insignifiant, d’autres peuvent nous traiter comme des travailleuses non-qualifiées ; mais croyez-le ou non, les baby-sitters contribuent énormément à notre société. Nous nous occupons aussi de personnes âgées et d’enfants.  Et qui sait ? À l’avenir, l’un-e de vos enfants pourrait devenir la personne la plus puissante du monde !

Pouvez-vous nous expliquer en quoi votre travail est si important ici et essentiel pour l’économie ?

Sans nous, notre économie pourrait s’effondrer ! Cela peut sembler ridicule ou absurde, mais c’est la vérité. Il y a une forte demande de travailleuses domestiques dans le monde entier. Si nous arrêtons de travailler, l’économie s’arrêtera aussi ! Que ce soient des politiciens, des capitalistes ou simplement des familles ordinaires, iels ont besoin de nous ! Pendant que qu’eux, les politicien.ne.s, sont occupés à élaborer des politiques sur le changement climatique ou les droits de l’homme, nous, travailleuses domestiques, sommes occupées à mettre de l’ordre dans leurs maisons.

Dans ce film, nous ne voyons qu’une partie de ce travail.  Ce que nous ne voyons pas, c’est le fait que ces femmes ne suivent pas seulement une formation technique. Elles se préparent aussi à la partie la plus difficile de ce travail – qui est non seulement physiquement épuisant, mais aussi mentalement et émotionnellement douloureux. Aucune formation ne peut nous préparer à la lutte que nous devons mener. Mais nous sommes beaucoup plus résistantes que ce que l’on pense. Certaines d’entre nous sont diplômées, et même s’il n’y a pas de reconnaissance, cela prouve quand même que nous sommes suffisamment qualifiées. Celles qui étaient autrefois enseignantes, infirmières et comptables reçoivent maintenant des ordres de leurs employeurs – et il n’y a absolument aucune honte à ça. Parce que nous sommes plus que capables de faire un travail décent.

Ce que vous dites, c’est que vous participez à l’économie mondiale. Nous avons entendu dans le film que le gouvernement philippin dit que vous êtes “les héroïnes”. Malgré cela, vous êtes exploitées, vous n’avez aucun droit. Pouvez-vous nous expliquer de quelle manière vous êtes exploitées ?

Souvent, dans notre travail, nous sommes victimes d’abus et d’exploitation, surtout parce que nous sommes sans papiers. Nous ignorons aveuglément les abus de nos employeurs afin de garder notre emploi. Beaucoup d’entre nous travaillons beaucoup d’heures, mais nous restons sous-payées. Nous n’avons pas d’assurance maladie. Nous n’avons pas le droit de prendre des vacances parce que “pas de travail, pas de salaire”. C’est du travail bon marché qui profite surtout à l’État et aux employeurs ! Parce que vous savez bien que nous, les travailleuses sans papiers, nous n’avons pas d’autres options. Tout cela fait partie des “mesures d’austérité ” que l’on applique.  On profite de notre situation !

Pendant cette pandémie, nous faisons partie des personnes les plus vulnérables de notre société simplement parce que nous ne pouvons pas nous permettre de tomber malade. Le gouvernement prendra-t-il soin de nous si nous sommes infectées ? Nous n’avons ni assurance, ni protection, ni sécurité.

Malgré notre situation, certaines membres de la Ligue ont même répondu à l’appel du gouvernement de Bruxelles pour que des masques soient fabriqués gratuitement pour les citoyens. N’est-ce pas ironique ? Faire des masques pour les citoyens sans recevoir aucune compensation ni reconnaissance ! Une fois encore, les travailleuses sans papiers s’occupent des autres et ne sont pas prises en charge !

Y a-t-il une solidarité entre les femmes philippines et d’autres travailleuses en général comme nous pouvons le voir dans le film ?

Oui, nous nous occupons les unes des autres. Par exemple, si une femme perd son emploi, nous l’aidons, pour en trouver un. Quand les femmes viennent en Belgique et n’ont pas de logement, nous les hébergeons. C’est la même chose pour les femmes des autres communautés.

Face à cette situation, pouvez-vous nous dire quelles sont les actions et les revendications de la Ligue ?

Nous devons agir ! Nous, les travailleuses et travailleurs sans papiers, devons contrer les promesses vides de sens des politicien-n-e-s. Ça suffit ! Nous avons besoin de votre soutien ! La Ligue des femmes travailleuses domestiques appelle le monde politique à nous reconnaître. Soutenez notre appel à la régularisation. Prenez soin de nous comme nous prenons soin de vos familles. Nous continuerons à nous battre jusqu’à ce que iels nous entendent. Nous continuerons à marcher jusqu’à ce que qu’iels signent nos papiers. Nous venons de différents pays, nous parlons différentes langues, mais nous, la Ligue des femmes travailleuses domestiques sans papiers, quand nous sommes dans la rue, nous parlons la même langue : solidarité, union et régularisation.

En tant que Ligue, nous nous menons un combat syndical au sein du “Comité des travailleuses-eurs migrant-e-s sans papiers” de la CSC avec le soutien d’individus et d’organisations qui croient en nous, qui croient en notre importance – en notre existence ! Le plus important, c’est que nous soyons entendues. Nous appelons toutes les femmes à s’exprimer. C’est une lutte pour les droits des femmes, une lutte féministe qui profitera non seulement tous les travailleurs sans papiers mais aussi à tous les travailleurs avec papiers. Ne nous arrêtons pas ! Portons toutes et tous de notre voix au plus fort en appelant à la régularisation maintenant.

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