Ende Gelande : bloquer la destruction de la Terre

Par Philippe et Junie, militants JOC
Interview réalisé par Zoé Masquelier,
JOC Tournai

Fin juin 2019, une petit groupe d’une quinzaine militant.e.s des JOC prenaient la route pour Ende Gelande, une action de désobéissance civile de masse dans le bassin du Rhin en Allemagne. L’objectif de cette action, et de son camp de base, est clair : le blocage des mines de lignites à ciel ouvert, situées non loin de la frontière belge. Quelques semaines après notre retour, je retrouve Philippe et Junie en terrasse pour débriefer leur participation, discuter de leur ressenti. Pour tous les deux, c’était une première, retour sur leur expérience…

Pourquoi avoir décidé de vous rendre à Ende Gelande ? Que saviez-vous de cette action et du camp avant de partir ?

Junie : Depuis plusieurs mois je m’implique plus dans la lutte contre le réchauffement climatique. Après avoir participé à des actions en Belgique, je me demandais à quoi pouvait ressembler une action de masse telle qu’EG et ça me semblait important de participer. J’ai aussi participé à des manifestations mais je me suis vite rendu compte qu’elles ne servent qu’à engager le débat sur le sujet, je voulais passer à quelque chose de plus concret. Je savais qu’en Allemagne les mines à ciel ouvert étaient encore actives mais sans plus. Quand j’ai entendu parler d’EG je me suis documentée et la situation m’a révoltée : en effet, la mine continue de s’étendre et de menacer des forêts mais aussi des villages.

Philippe : J’ai appris ce que c’était l’année dernière et je voulais voir ce qu’il en était concrètement. En plus il s’agit d’une problématique qui me tient à cœur étant donné l’hypocrisie d’avoir troqué un type d’énergie pour une autre tout aussi polluante, et ça dans l’immédiat et dans le futur.[1]

Pour qu’on comprenne mieux le fonctionnement d’Ende Gelande, pouvez-vous expliquer chacun.e quelle place vous avez prise dans l’action ?

P : J’ai participé au fingergold, l’un de ceux qui a pu pénétrer dans le cœur de la mine et la bloquer quelques heures. On a quitté le camp samedi à l’aurore, au son des tambours et de slogans divers tels que « aufghet’s ende gelande » dans une humeur assez enthousiaste pour converger jusqu’à la gare de la ville mais sur les côtés des grappes d’uniformes bleus commençaient déjà à veiller au grain. Ça s’est vérifié une fois arrivés à la gare : un généreux premier comité d’accueil nous attendait, sans doute pour veiller à ce que l’on monte dans le bon train. Là le groupe a été scindé pour des raisons logistiques, pas assez de place dans les trains donc d’autres prenaient place dans des cars. Ensuite après une bonne heure de trajet, nous sommes arrivés dans la ville se trouvant à proximité de la mine. Là on a dû attendre que tout se mette en place et que les différentes parties se retrouvent toutes. Après avoir marché un certain temps on est arrivés à proximité du gouffre, la vue est à la fois belle et inquiétante, ça m’a marqué ! Dans une certaine confusion le dispositif policier au bord du précipice a été forcé alors que le signe de se regrouper avait été donné mais d’une manière inexplicable, cela a été interprété comme un signal de dispersion et nous avons commencé à courir vers l’abîme : la police gaze et frappe, le groupe des JOC a perdu une camarade, blessée… Puis nous sommes presque arrivés au fond de la mine, on a été bloqués environ 50 m avant d’avoir atteint le fond. Puis on s’est fait nasser, évacuer, et après quelques heures on est rentrés au campement à Viersen sur le coup de 5h du mat’.

J : Pour plusieurs raisons, je n’ai pas participé directement à l’action mais cela m’a permis de découvrir comment fonctionnait le camp. Je suis restée pour aider à la logistique. En fait, sur un camp si grand et presque auto-géré, il y a toujours moyen de participer : c’est comme ça que je me suis retrouvée à participer à un poste de garde la nuit avec les copain•e•s du camp. C’était plutôt épique puisqu’on se parlait dans un anglais approximatif pour se faire comprendre des allemands mais cela a abouti sur des conversations super intéressantes sur leur vision de la politique belge en matière de climat et de migration par exemple. J’avais peur de me sentir inutile en restant sur le camp mais finalement c’était tout le contraire. Ça m’a permis de comprendre l’organisation d’une telle action ! J’ai aussi participé au meeting “tous les villages vivent”, c’était vraiment intéressant. Cela m’a permis d’en savoir plus sur la situation des villages aux alentours de la mine à ciel ouvert, de voir comment la lutte s’organise directement dans le cœur du village et surtout de voir de mes propres yeux à quoi ressemble une mine de charbon à ciel ouvert. C’était assez impressionnant de voir le nombre de villages qui ont déjà été rayés de la carte et ceux qui sont toujours menacés par la mine. Les intervenants ont donné plus de détails sur les rapports entre l’entreprise qui exploite la mine et les pouvoirs politiques, et expliqué en quoi il fallait continuer les actions. Cela m’a permis de me rendre compte de l’importance des actions comme EG, qui permettent d’interpeller un plus grand nombre et les principaux intéressés.

Après y avoir participé, comment pensez-vous qu’une action telle que EG crée un rapport de force et participe à la lutte contre le réchauffement climatique ?

P : Je pense que ce genre d’action peut être intéressante pour des personnes qui n’ont que peu d’expérience en matière de lutte, elle peut servir à façonner de nouveaux imaginaires mais pas à changer durablement la spirale néfaste du capitalisme qui nourrit le réchauffement climatique. Elle ne peut être qu’une partie, je pense que se limiter à ce genre d’actions, c’est se condamner à l’impuissance avec une lutte qui devient trop convenue.

J : Je suis d’accord avec toi, pour ma part je pense qu’EG crée un rapport de force dans le sens où on arrive à rassembler des gens autour d’une cause commune en incluant tout le monde : je pense au finger queer/féministe et à celui pour les personnes à mobilité réduite, le rainbow finger. La métaphore des fingers s’applique totalement à la situation : des milliers de personnes qui se rassemblent pour former une main géante qui s’empare de la cause. Cela montre aussi à ceux qui pensent que la cause n’intéresse pas grand monde qu’ils se trompent.

Selon vous, quels éléments s’inspirent ou peuvent inspirer d’autres secteurs, d’autres luttes ? Que retenez-vous de cette expérience ?

J : Une action de masse comme celle-ci devrait selon moi inspirer tous les secteurs de lutte. En effet, les militant.e.s sont organisé.e.s, sont préparé.e.s pour l’action et donc savent mieux réagir et garder leur objectif en tête. On donne aux militant.e.s les outils pour réagir aux situations dans lesquelles iels risquent de se retrouver.

: Ce que je retiens, c’est la capacité d’organiser de grands groupes de personnes afin de converger vers un but commun. Les techniques pour forcer les barrages de police et ne pas se faire attraper, ça doit nous inspirer pour d’autres actions.

C’était pour tous les deux votre première participation à EG, qu’en retenez-vous ? Que voulez-vous approfondir à ce sujet ?

: Je retiens qu’il y a encore beaucoup de choses à faire car même lorsque l’on s’organise un minimum, on peut trouver les moyens de se désorganiser : il faut multiplier les actions sur de nombreux fronts à l’échelle locale et globale pour commencer à mettre vraiment la pression. D’un côté, je suis déçu parce que j’ai trouvé ça trop convenu, mais d’un autre, je suis optimiste de voir que de plus de gens se mobilisent.

: Pour ma première participation à EG je retiens surtout que lorsqu’on a un objectif commun, on peut l’atteindre avec un peu d’organisation. Chacun.e à sa manière peut participer et rendre possible une action comme EG, que ce soit en participant de manière active à l’action ou en restant sur le camp à faire la vaisselle, un poste de garde ou en participant à la cuisine… Il y a toujours des choses à faire, le tout est de chercher là où on serait le plus utile et où on sentirait le mieux, ça me paraît important. Ça m’a permis d’accomplir des choses auxquelles je ne pensais pas et de rencontrer des personnes qui partagent les mêmes intérêts. Je retiens surtout que nous ne sommes pas seul.e.s dans la lutte et qu’en unissant nos forces, nous pouvons avoir un impact, ne fût-ce qu’en dénonçant et montrant les situations qui nous révoltent !

L’action de blocage 2019 a été une véritable réussite, pendant 45h l’accès à une centrale à charbon a été complètement bloqué par des activistes, 2000 personnes ont réussi à entrer et occuper la mine de Garzweiler et l’ont ainsi bloquée, entre 5000 et 6000 personnes ont participé à l’action, les jeunes de FridaysForFuture, le mouvement des étudiant.e.s allemand.e.s en grève scolaire, ont manifesté à Aix-la-Chapelle et ont participé à un rassemblement à Keyenberg, l’un des villages menacés par les excavatrices. C’était un « week-end plein de superlatifs » peut-on lire sur le site d’Ende Gelande…

: C’est clair : c’était dingue ! Ça m’a reboostée, ça m’a donné envie de continuer de me bouger pour faire entendre ma voix ! Je retournerai sûrement l’an prochain !

[1] L’exploitation du lignite fait partie d’un vaste plan du gouvernement allemand pour sortir du nucléaire.

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