Donald Trump, l’extrême-droite et le fascisme: quatre questions, quatre réponses

Par Daniel Tanuro auteur de “Le moment Trump:
Une nouvelle phase du capitalisme mondial”, Demopolis, 2018

Quelles sont les caractéristiques de l’extrême-droite aux Etats-Unis?
Il n’y a pas une mais des extrêmes-droites aux Etats-Unis. Des groupes nazis et antisémites, très violents, arborent la croix gammée et se réclament d’Hitler. Le Ku-Klux-Klan s’enracine dans l’histoire de la terreur visant à mater toute révolte des Noirs contre l’esclavage capitaliste. Depuis les années soixante, en réaction aux luttes féministes et pour les droits des gays et lesbiennes, se développe une extrême-droite « pro-vie » (anti-avortement) et pro-patriarcat qui ne recule pas devant des attentats. Plus récemment encore sont apparus des groupes islamophobes qui multiplient les actes haineux, en particulier contre les femmes. La liste est longue. Ce qu’on appelle l’Alt-right est en partie une tentative de rassembler ces mouvances en les modernisant et en les débarrassant de leurs aspects « folkloriques ». La manifestation de Charlottesville, en août 2017, a montré le danger de ces groupes. En même temps, elle a montré les limites du danger: malgré une mobilisation nationale très soutenue, les manifestants fascistes étaient moins de trois mille. Quelques semaines plus tard, dans une autre ville, une tentative de rassemblement nazi a été complètement étouffée par une foule bigarrée de plus de 30.000 manifestant.e.s. Enfin, un an après Charlottesville, les fascistes ont voulu manifester à Washington: ce fut un échec complet.
Le plus grand danger d’extrême-droite ne vient pas de ces groupes. Il vient de la  radicalisation à droite de couches sociales majoritairement petites-bourgeoises des régions périurbaines ou semi-rurales, qui entraînent avec elles des fractions, principalement mâles, de la classe ouvrière. Il s’agit d’un phénomène de masse au sein de la population blanche aisée ou relativement aisée. Il est apparu en pleine lumière avec la formation spontanée du Tea Party. Né à la base en réaction à la déroute électorale des Républicains face au candidat Obama, ce Tea Party est une mouvance au sein du Parti Républicain qui s’est développée à vive allure tout en glissant de plus en plus à droite. Elle a pu conquérir de nombreuses positions électorales sur base d’un programme ultra-néolibéral dogmatique, sécuritaire, bigot-réactionnaire sur le plan des mœurs, anti-intellectuel, anti-migrant.e.s et hostile à toute forme de solidarité – en particulier aux programmes sociaux en faveur des minorités. Un courant politicien de droite extrême nationaliste, protectionniste et isolationniste existait depuis plusieurs décennies, en marge du parti républicain ou au sein de celui-ci (Trump y avait fait ses premières armes en politique). L’apparition du Tea Party lui ouvrit un espace de développement. L’état-major du parti Républicain utilisa d’abord le Tea Party pour se refaire face à Obama. Ensuite, avec l’aide du grand capital, il voulut nettoyer les rangs de ses élus de ces intégristes de l’équilibre budgétaire, qui devenaient encombrants. Mais le mouvement à la base était trop fort; il avait eu le temps de s’enraciner avec l’aide des églises évangéliques et de toute une série de think tanks de droite financés par des réactionnaires richissimes. C’est ainsi que la dimension anti-establishment s’est développée au sein du Tea Party, en plus des caractéristiques citées plus haut. Du coup, Trump l’outsider était le mieux placé pour capter cet électorat. Depuis lors, il ne cesse de le consolider tout en le radicalisant encore plus à droite, et en l’utilisant pour mettre l’ensemble de la structure Républicaine à sa botte.

Sur quoi se base le succès de cette extrême-droite « trumpiste »?
L’élection de Trump est avant tout le résultat d’un double mouvement: d’une part, la mobilisation militante de la mouvance Tea Party; d’autre part, la profonde démobilisation du monde du travail, des femmes, des jeunes et des minorités, déçus de la présidence Obama, scandalisés par le sauvetage des banques après la crise de 2007-2008 et dégoûtés par Hillary Clinton, la candidate de Wall Street (Bernie Sanders aurait sans doute changé la donne). A ces deux facteurs clés, il convient d’ajouter deux éléments « techniques »: le rôle décisif du collège des grands électeurs (en nombre de voix, Trump a perdu les élections) et le fait que d’innombrables astuces permettent de priver  massivement les pauvres du droit de vote (le régime politique US, en réalité, ne mérite pas d’être considéré comme une « démocratie bourgeoise formelle »). Enfin, Trump a bénéficié du soutien d’une partie du petit club d’ultra-riches qui complotent depuis des années pour tirer les USA vers l’extrême-droite néolibérale en finançant des candidat.e.s à leur image. Robert Mercer et sa fille Rebekka, en particulier, ont joué un rôle très important. Les Mercer sont extrêmement riches, misanthropes, ultra-réactionnaires et climato-négationnistes. Mathématicien de génie, Robert Mercer a fait sa fortune par la création d’algorithmes sophistiqués pour manipuler les marchés financiers…ou les électeurs. Sa fille et lui ont investi énormément d’argent dans Cambridge Analytica (célèbre depuis le scandale Facebook) et dans le site Breitbart News. Leur objectif: en faire les outils d’un projet de destruction du système politique bipartisan et d’instauration d’un pouvoir autoritaire. Steve Bannon est présenté comme l’éminence grise de ce projet, mais il n’était que l’employé des Mercer. Ceux-ci en ont fait le directeur de campagne de Trump, puis le conseiller spécial du président, jusqu’à ce que Bannon tombe en disgrâce à la fois à la Maison Blanche et auprès de ses maîtres.

Comment qualifier cette extrême-droite et quel danger constitue-t-elle par rapport au mouvement ouvrier et aux mouvements sociaux en général?
Il y a des fascistes dans l’entourage immédiat de Trump, mais ne banalisons pas le fascisme: le fascisme, c’est la destruction physique du mouvement ouvrier et des autres mouvements sociaux à l’aide d’un mouvement de masse extra-parlementaire. Nous n’en sommes pas là. Les grèves récentes aux USA – celles des enseignant.e.s de plusieurs Etats, par exemple – n’ont pas été attaquées par des bandes fascistes. Les manifestations féministes, écologiques, etc. ne le sont pas davantage. Trump, paradoxalement, tente même de séduire des syndicats, avec un certain succès. Conclusion: les comparaisons avec les fascistes des années trente sont utiles, mais ne doivent pas cacher les traits spécifiques de la vague d’extrême-droite actuelle. Dire que le (néo)fascisme est au pouvoir aux USA est absurde. Le « trumpisme » est un nationalisme autoritaire, xénophobe, démagogue, machiste, raciste, islamophobe, climato-négationniste, à la fois antisémite et pro-sioniste. Trump profite du désarroi du monde du travail pour chercher à construire une hégémonie électorale réactionnaire en se basant principalement sur des fractions de la petite-bourgeoisie révoltées contre la mondialisation néolibérale et sur des couches ouvrières, mâles et blanches en particulier. Dans la mesure où il établit cette hégémonie, il s’offre au capital comme un véhicule possible pour le renforcement du pouvoir exécutif nécessaire à l’approfondissement du néolibéralisme dont la gestion « globaliste » est en crise. C’est là que réside la menace majeure. Le « trumpisme » pourrait éventuellement créer des conditions propices au développement ultérieur d’une extrême-droite plus dangereuse encore, voire même d’un authentique mouvement de masse fasciste. C’est d’ailleurs ce qui se passe au niveau international: l’exemple de Trump a inspiré Bolsonaro qui incarne une menace fasciste beaucoup plus réelle et immédiate que Trump lui-même. Dans tous les cas, la dérive fasciste n’est nulle part automatique: tout dépend de la résistance des exploité.e.s et des opprimé.e.s. Or, justement, la résistance se développe aux Etats-Unis. Dans ce pays, il est donc délicat de parler de « préfascisme », de « néofascisme » ou de « proto-fascisme ». Cela n’atténue en rien l’importance du combat idéologique dont le « trumpisme » qui se caractérise par un mélange sauvage de nihilisme, d’individualisme forcené et d’indifférence absolue face aux ravages écologiques et sociaux qu’il entraîne. Mais ne nous trompons pas de diagnostic.

Comment combattre cette extrême-droite?
Par les luttes, l’organisation des luttes et la convergence des luttes syndicales, féministes, écologiques, antiracistes. Le « trumpisme » est le produit de quarante ans de néolibéralisme échevelé. Ce n’est pas un phénomène temporaire. Il est bien enraciné dans certaines couches privilégiées ou relativement privilégiées de la société. La très grave crise systémique – à la fois sociale, économique, écologique et morale – du capitalisme pousse les dominants vers le recours à la violence et à la dictature pour maintenir à tout prix leur pouvoir. Le trumpisme est l’expression de ce mouvement profond. C’est une illusion grave de penser qu’il pourrait être éliminé en douceur, en votant pour le parti Démocrate qui a fait son lit. La lutte contre le cancer trumpiste exige la réinvention dans l’action d’un projet d’émancipation des exploité.e.s et des opprimé.e.s. Le mouvement syndical porte une grande responsabilité. Là où il est inclusif des femmes, des minorités et actif dans les mobilisations écologiques ainsi que dans la solidarité avec les migrant.e.s, il contribue à faire murir une alternative. Là où il reste corporatiste, mâle et blanc, il se fait contaminer par la démagogie trumpiste et scie la branche sur laquelle il est assis.

 

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