BVM b

Convictions et engagement face à un avenir inconnu   : entretien avec Bernard Van Meenen

Par Gilles Maufroy
CIEP-MOC Bruxelles

Notre collègue Bernard Van Meenen a passé près de 25 ans au service du mouvement. En cette année à nulle autre pareille, il quitte sa fonction d’aumônier du MOC Bruxelles. L’occasion pour la rédaction de «   Mouvements   » de le remercier pour sa présence et de revenir avec lui sur son parcours, les questionnements et réflexions qui continuent à le, à nous traverser.

Mouvements   : Bernard, peux-tu nous rappeler les grandes étapes de ton parcours ?

Je suis devenu prêtre en 1981, il y a près de quarante ans. J’avais prolongé mes études en théologie sur l’exégèse biblique, que j’ai enseigné dès le départ à des adultes. J’ai toujours eu aussi un pied dans la pastorale paroissiale, du côté d’Ottignies, de Braine l’Alleud et puis de Bruxelles. En 1996, Vie Féminine cherchait un aumônier au niveau national. Et Guy Cossée de Maulde, un jésuite engagé dans l’associatif, est venu me chercher. J’ai eu la chance d’être formé par une équipe nationale super dynamique. VF réfléchissait à la fois à son identité chrétienne et à son option féministe. J’ai donc pu faire le tour du mouvement, dans les régions, pour échanger sur ces questions. Le mouvement vieillissait. Ça a été un débat fascinant, une ouverture des yeux sur le réel par rapport à ce qu’était devenu pour nombre d’entre elles le rapport à la foi, à l’Eglise, à l’institution, mais aussi les choix éthiques, l’engagement dans le mouvement social, le féminisme, etc. Le mot «   féminisme   » est pour certaines femmes un épouvantail, ce qui s’est traduit par une grande «   effervescence   » au moment du lancement de la revue Axelle, qui remplaçait l’hebdo du mouvement distribué par les équipes locales de VF dans leur quartier. Au congrès de 2001, l’identité chrétienne explicite a été remplacée dans la dénomination par l’identité féministe. Un choix pluraliste actant la réalité de fait. Aux semaines d’études de juillet à Floreffe, la messe avait déjà été remplacée par un moment de rencontre, de recueillement, de débat sur des options de type spirituel, religieux ou éthique en lien avec le thème de la semaine. J’ai été passionné par cette démarche, qui a été un laboratoire d’activation d’autres perspectives à travers le féminisme. Cela a permis de recomposer le mouvement en termes générationnels. A ce moment-là je travaillais aussi sur la théologie et l’exégèse biblique féministes, qui manquent en Belgique francophone. J’ai aussi connu la période très vivante de la Marche Mondiale des Femmes, qui a rassemblé plus de 20000 femmes à Bruxelles autour du 8 mars de l’an 2000.

J’ai quitté Vie Féminine en 2003. Je suis resté dans le champ pastoral et j’ai continué l’enseignement et la formation au service théologique du vicariat de Bruxelles et des Facultés Saint-Louis, à l’Ecole des sciences philosophiques et religieuses. Étant proche de Luc Roussel qui devenait doyen du quart Nord-est de la zone de Bruxelles et devait quitter son rôle d’aumônier du MOC Bruxelles, celui-ci m’a rencontré avec Daniel Fastenakel, secrétaire régional de l’époque, pour me demander si j’étais intéressé à succéder à Luc. Nous étions alors en 2009-2010. Ça m’a donc mené à cette dizaine d’années de présence dans l’équipe du MOC Bruxelles avec des liens à la CSC et à la Mutualité aussi.

Quels éléments marquants, quels enseignements gardes-tu de ce parcours   ?

Dans les groupes et les milieux des mouvements sociaux (VF, MOC, CSC, EP, etc.), et les instances, même avec le poids de celles-ci, ce qui m’a toujours mobilisé c’est la recherche constante de l’intelligence des situations vécues par les concerné.e.s dans le mouvement et sur les multiples terrains de conscientisation, de mobilisation, etc. Ayant un pied dans les activités écclésiales (d’Eglise) et un autre dans le mouvement, j’ai pu mesurer l’écart. Du côté des mouvements, il y a cette constante et intime conviction que l’analyse des situations reste le socle d’une action qui peut être pertinente, qui est autre chose que de l’agitation, de la publicité, ou de l’occupationnel.

Peux-tu nous dire aussi quelques mots sur ta vision des liens entre foi et engagement, et le rôle des aumôniers ?

Rappelons que les aumôniers étaient simplement des prêtres de paroisse, avec pour charge pastorale l’accompagnement d’un groupe JOC, ou VF, etc. Plus on montait dans la hiérarchie du mouvement, plus c’était des hommes d’influence, des «   directeurs d’œuvres   » dans les instances. Il y avait un travail de relation, de proximité avec les permanent.e.s et leurs familles et un travail local d’animation des groupes. Pour beaucoup de militant.e.s, leur trajectoire dans le mouvement, par exemple des JOC aux EP, il y avait cette continuité de destinées, dont les aumôniers étaient garants par leur présence et leur nombre, y compris dans les écoles, les prisons ou les hôpitaux. En ce qui concerne la foi et l’engagement, le lien que je n’établis pas, c’est ce lien de cause à effet qui affirmerait: «   je suis croyant donc j’ai des engagements sociaux   ». Pour moi le rapport est réciproquement critique. Ce qui est passionnant, c’est que ma foi puisse être entamée, que des brèches puissent s’ouvrir par le travail dans le mouvement, et qu’inversément je puisse contribuer à cette intelligence des situations, des êtres et des groupes, dans le mouvement. Et là on peut faire appel à tous les ressorts de la raison, des conditions sociales, de l’activité symbolique, de la situation politique. Mais je ne suis pas accroché à la nécessité d’une aumonerie de mouvement. Je crois que dans sa configuration classique, ça a vécu. Il faudrait réinventer autre chose, et c’est au mouvement à en décider   : quel profil conviendrait pour assumer cette présence et cet accompagnement, cette orientation, cette interpellation sur les questions «   secondes   », que nous n’avons pas sous les yeux en permanence   ?

Comment vois-tu les défis actuels, à la fois du mouvement, et de l’Eglise   ?

Nous vivons une époque où les corps intermédiaires, dont nous faisons partie, sont gravement menacés. Alors que voulons-nous devenir   ? Les réformes organisationnelles, c’est indispensable. Mais nous avons besoin de clarté sur la volonté qui mobilise la raison collective, qui indique une direction où aller ensemble. Il est temps, nous ne pouvons plus nous permettre d’atermoiements. Ce qui se passe en France, les débordements du néolibéralisme, c’est extrêmement inquiétant et c’est à notre porte, ça nous pend au nez. On ne peut pas faire comme si de rien n’était et continuer avec des discours complètement décalés de ce réel. Par exemple, le discours et les pratiques «   de gauche   »   : nous devons sortir du faux choix entre soit les errances «   social-démocrates   » ou les radicalisations activistes. Entre les deux, quel rôle jouons-nous dans cette «   pièce de théâtre   »   ? Un troisième terme est possible. En ce qui concerne l’Eglise, elle est également prise dans le maelstrom de la globalisation. La prise de conscience de cela est très lente, un peu accélérée par des textes du pape François, mais sur le terrain cela reste limité   : les préoccupations sont celles des temps de disette. Dans ces temps-là, la tentation est celle du repli et de «   l’entre-soi   », ce qui est catastrophique à mon sens. Le modèle territorial en paroisses de l’Eglise s’effondre, on assiste à une dé-territorialisation de la foi catholique et de ses implications dans la société. L’avenir reste inconnu, par définition. Je ne suis ni optimiste ni pessimiste. En tant que catholiques nous devrions nous intéresser aux rapports entre mystique et politique. Nous avons dans notre histoire de très grands devanciers et ça vaudrait la peine de s’y arrêter longuement.

Ta conclusion sur la pandémie actuelle   ?

Je rencontre beaucoup de lassitude. Je donne cours à des étudiants adultes, beaucoup issus de pays d’Afrique, mais aussi d’Haïti, Madagascar, etc. Ils sont beaucoup plus patients que nous. Ils s’étonnent que nous ne soyons pas encore au point avec cette situation, une forme d’   «   être dedans   », de vivre avec, sans être défait. Et puis dans mon métier, quand on rencontre les familles autour des funérailles, il faut être très à l’écoute car ce sont des deuils très durs, souvent avec des personnes qu’on n’a plus pu voir pendant des semaines voire des mois…C’est une adaptation constante. Je vois aussi des émergences de solidarités imprévisibles, des gens qui se retroussent les manches pour faire un petit quelque chose de concret. Petite lueur d’espoir dans un gros nuage noir de crise économique.

Un grand merci Bernard et à bientôt   !

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