15

Birmanie : Être syndicaliste face à la junte militaire

Interview réalisé par Pietro Tosi, 
CIEP-MOC Bruxelles

Mouvements : Comment êtes-vous devenu syndicaliste ?

Khaing Zar : J’ai terminé mes études secondaires à 16 ans et j’ai commencé à travailler pour aider ma famille. J’ai montré une carte d’identité d’une personne de 25 ans, empruntée à mon cousin, et cela m’a permis d’obtenir un emploi dans une usine textile. J’ai ensuite été licencié de cette usine parce que j’étais mineur ; l’âge légal pour travailler au Myanmar est de 18 ans. J’ai ensuite travaillé dans différentes usines, en double horaire pour pouvoir suivre des cours universitaires à distance. Une fois mon diplôme universitaire obtenu, j’ai trouvé du travail dans des usines de confection de l’autre côté de la frontière, en Thaïlande. Quand je travaillais dans des usines au Myanmar et en Thaïlande, j’ai travaillé avec des enfants de 13 et 14 ans qui voulaient retourner à l’école.

J’ai été frappé par le niveau de vie médiocre, la façon dont les travailleurs étaient exploités et le peu ou aucune chance qu’ils avaient d’améliorer leur vie. Alors, je suis allé à une session de formation syndicale alors que je travaillais dans une usine de confection en Thaïlande et je n’ai pas arrêté depuis. J’ai rejoint la Fédération des syndicats de Birmanie (FTUM), maintenant appelée Confédération des syndicats du Myanmar (CTUM), dont je suis membre du comité exécutif depuis début 2007. À l’époque, nous formions les travailleur.se.s migrant.e.s en Thaïlande sur la loi du travail thaïlandais.  Pour les sensibiliser à leurs droits, en aidant les travailleur.se.s qui ont perdu leur emploi ou ont eu des problèmes au travail. Les syndicats étant illégaux au Myanmar, nous avons invité des travailleur.se.s du Myanmar à venir se former dans des lieux sûrs loin de la dictature.

À quoi ressemble l’organisation des travailleur.se.s depuis que les syndicats sont devenus légaux au Myanmar ?

KZ : Entre 2017 et 2019, IWFM a augmenté le nombre de ses membres de 17 000 à 24 000. Cependant, la pandémie a entraîné des pertes d’emplois et également une diminution des effectifs syndicaux. Actuellement, l’IWFM compte 13 000 membres. Il y a différentes choses qui rendent l’organisation difficile. Les gens voient des dirigeants syndicaux se faire licencier et ont peur de s’affilier à un syndicat par crainte de représailles. Changer le comportement des gens prend du temps. Et même si les syndicats sont légaux, le processus d’enregistrement auprès des autorités est difficile. Officiellement, le processus devrait prendre trois mois mais prend souvent beaucoup plus de temps, nous encourageons donc les dirigeants syndicaux locaux à commencer quand même le travail syndical pour leurs membres conformément aux lignes directrices sur la liberté d’association.

Le Myanmar n’a pas de tradition de dialogue social et la connaissance générale des syndicats est assez faible, tant parmi les travailleur.se.s que parmi les employeurs. Il y a un grand besoin d’établir des relations patronales-syndicales fonctionnelles au niveau de l’usine, ce qui nécessitera une formation à la fois des représentants syndicaux et patronaux. L’IWFM fait beaucoup de formation pour les travailleurs, y compris ce qu’est un syndicat, que fait un syndicat, qu’est-ce que le dialogue social, quel est le processus de convention collective, les lois du travail, la stratégie d’organisation, l’égalité des sexes, la sécurité sanitaire au travail et normes internationales du travail. Beaucoup pensent que le syndicat est une question de combat et de lutte de classe, mais il s’agit d’éducation. Nous voulons de bons emplois et nous voulons améliorer les conditions de travail, mais cela doit passer par des négociations. Si les employeurs perdent des affaires, nous perdons des emplois. Nous encourageons les travailleur.se.s à recourir à la grève en dernier recours.

Quel rôle les syndicats jouent-ils dans le mouvement de désobéissance civile, protestant contre le régime militaire ?

Des centaines de milliers de personnes ont participé aux manifestations pacifiques à travers le pays. Le mouvement de désobéissance civile rassemble vraiment des gens de tout le Myanmar, quelle que soit leur position ethnique, sociale ou géographique, et des travailleur.se.s de différents secteurs comme les transports, l’énergie, les mines, l’habillement, la construction, la médecine.Les syndicats ont été très actifs et nos membres de l’industrie du vêtement se sont joints aux manifestations. Comme vous pouvez être licencié après trois jours de grève, il y a eu des négociations avec la direction pour obtenir l’autorisation de rejoindre le mouvement. Dans certains cas, les syndicats/travailleurs ont envoyé une lettre à l’employeur indiquant qu’ils se joignaient aux manifestations pacifiques, nécessaires en raison de la situation actuelle du pays et qu’ils exerçaient leurs droits fondamentaux et de la liberté d’association.

Les dirigeants syndicaux ont été pris pour cible par l’armée. La police a émis des mandats d’arrêt contre 20 dirigeants syndicaux, la majorité de l’IWFM, dont notre vice-président, Ma Soe Lay. Les employeurs ont subi des pressions pour qu’ils donnent des informations sur les dirigeants syndicaux à l’armée, et de nombreux dirigeants syndicaux ont été contraints de se cacher. Le 14 mars, une grave attaque a eu lieu dans la plus grande zone industrielle de Yangon, Hlaing Thar Yar. Plus de 100 personnes ont été tuées et des milliers de travailleur.se.s ont quitté la zone industrielle à cause des fusillades et des arrestations. Malgré les défis, de nombreuses usines ont rouvert en mars. Il existe un risque réel que les usines profitent de la situation actuelle pour licencier des travailleur.se.s. Si vous vous absentez du travail pendant plus de trois jours, l’employeur peut éviter de verser des indemnités de licenciement, ce qu’il serait obligé de faire dans les cas réguliers de licenciement. Nous voyons déjà cela se produire, ce qui est injuste dans les cas où les travailleur.se.s ne peuvent pas se rendre au travail pour des raisons de sécurité.

De quoi l’IWFM a-t-elle besoin que la communauté internationale fasse ?

L’IWFM a travaillé sans relâche pour protéger les droits et améliorer la vie des travailleurs du vêtement et de leurs familles depuis que nous avons été autorisés à rentrer dans le pays après la dictature précédente, de retour au Myanmar en 2012. Nous continuerons à lutter contre le coup d’État militaire actuel parce que nous savons à quel point le régime militaire est cruel. Et nous avons eu huit ans de liberté partielle et avons assisté au développement du pays. Personne ne veut retourner à l’âge des ténèbres. Il est certain qu’il n’y a pas d’avenir, pas de liberté et pas de prospérité sous un régime militaire.

Nous avons besoin de sanctions globales contre le Myanmar, en particulier dans les secteurs du pétrole et du gaz et des assurances, pour réduire les revenus du régime militaire. Et nous avons besoin d’un embargo international général sur les armes contre le Myanmar. IWFM fait pression pour que les grandes marques de vêtements qui produisent au Myanmar demandent aux fournisseurs de ne pas punir les travailleur.se.s qui participent aux manifestations. Et IWFM a appelé les marques à condamner le coup d’État militaire au Myanmar et à montrer que le coup d’État militaire aura un impact négatif sur les investissements étrangers. Nous avons également besoin que les employeurs et les marques qui produisent au Myanmar ne licencient pas les travailleur.se.s dans la situation actuelle. De nombreux travailleur.se.s ont déjà perdu leur emploi, des syndicalistes sont contraints de se cacher et des familles sont sans revenus. Notre peuple courageux continue de défier l’armée terroriste brutale. Les travailleur.se.s et le peuple du Myanmar ont besoin d’une aide humanitaire immédiatement.

Partager cette publication

Articles similaires

Reprendre nos affaires en main!

À l’approche des élections, voici venue l’heure des bilans de l’action des majorités sortantes. De manière générale, ces bilans s’avèrent plutôt décevants pour celles et ceux qui ont cru aux promesses des partis dits « de gauche » qui, finalement, se sont contentés de gérer un système mortifère. Aucun gouvernement n’a opéré de réelle rupture avec les mécanismes d’oppression et d’exploitation, et cela même à Bruxelles où la coalition rouge-verte ne comptait pourtant que deux ministres étiquetés à droite (Open VLD et Defi).
Bien sûr, « ça aurait pu être pire », ça le peut toujours. La menace de la droite et de l’extrême droite est bien réelle, pas seulement en perspective de résultats électoraux mais aussi étant donné la façon dont les options sécuritaires, antisociales et discriminantes s’installent de plus en plus facilement au sein des partis dits démocratiques. Heureusement que, malgré ce contexte morose, des résistances se sont organisées pour freiner cette course vers le mur. (…) Elles ont démontré que, ensemble, nous ne sommes pas prêt.e.s à nous laisser faire en abandonnant si facilement nos droits légitimes, fort.e.s de notre solidarité et de notre créativité collective.
Dans le nouveau numéro de Mouvements, nous avons choisi de revenir sur certains enjeux qui nous paraissent essentiels pour les Bruxellois.es en perspective des élections du 9 juin.

Voir l'évènement >>