Avec Bolsonaro au pouvoir, les syndicats s’organisent pour lutter

Par Santiago Fischer,
Solidarité Mondiale

Le Brésil a basculé. Le plus grand pays d’Amérique Latine aux plus de 200 millions d’habitants est désormais gouverné par un président ouvertement d’extrême droite.  Rêvant d’un retour à la dictature militaire (1964-1985) où la violence était utilisée impunément contre les opposant.e.s politiques, Jair Bolsonaro donne des sueurs froides aux populations les plus vulnérables, aux premiers rangs desquels on peut compter les indigènes, les  femmes, les homosexuel.le.s, les transgenres et, d’une manière générale, les populations les plus précaires. Les défenseurs des droits humains et environnementaux ainsi que les militant.e.s du PT (Parti des Travailleurs) et du PSOL (gauche radicale), et bien sûr les syndicalistes, seront également dans le viseur du président et de ses sympathisants lors des quatre prochaines années qui vont jalonner son mandat.
«Notre peuple ne mérite pas quelqu’un comme Bolsonaro. Ce qu’il veut faire va provoquer une catastrophe sociale. Il veut favoriser les grands propriétaires et va accentuer les discriminations. C’est un grave retour en arrière», nous confie, très inquiet, Ricardo Patah, le président de la centrale syndicale UGT[1], qui rassemble 1.300 syndicats et 12 millions d’affilié.e.s au Brésil.
Le nouveau président a été élu dans un climat de récession économique, avec 14 millions de chômeur.se.s et des populations de plus en plus précarisées par des conditions de travail indignes. La colère gronde et alimente les peurs, principal moteur utilisé par Bolsonaro pendant la campagne électorale. Dans une campagne émaillée de fausses informations diffusées dans les médias sociaux tels que Whatsapp, les haines ont été attisées contre des boucs émissaires tout trouvés, à commencer par les militants du PT, parti rejeté par une grande partie de la population à la suite des différents scandales de corruption dévoilés ces dernières années. Bolsonaro s’est érigé en figure exemplaire, en personnage héroïque capable de mettre fin d’un coup de baguette magique à la violence endémique qui ronge le pays, ainsi qu’à la corruption généralisée. Son discours de haine a plu et a rassuré 55% des Brésiliens qui l’ont choisi pour conduire la destinée de leur pays.

La solidarité plutôt que le repli sur soi
«Nos compatriotes semblent avoir la mémoire courte. Pour vivre mieux, le Brésil a besoin de politiques sociales et solidaires, pas d’un repli sur soi. Sous la présidence de Lula, il y a eu de grands progrès sociaux. Il a développé la région du nord-ouest du pays, pourtant très précaire, en lançant un grand projet d’électrification pour apporter la lumière dans les maisons, ainsi qu’un plan visant à amener l’eau courante. Il a permis à des millions de pauvres d’accéder au système d’allocations familiales pour vivre dignement. Les pensionnés ont vu leur revenu mensuel augmenter de 70 à 300 dollars. Il a amélioré le système éducatif afin de le rendre plus égalitaire et performant. Il a insufflé plus de participation citoyenne dans les prises de décisions, permettant ainsi une meilleure inclusion de populations jadis laissées pour compte comme les afro-descendant.e.s, les femmes, les LGBTI. Ces catégories de personnes ont pu mettre leurs préoccupations en avant et proposer des progrès dans les politiques publiques», rappelle Ricardo Patah.
Jair Bolsonaro a promis au contraire de mettre fin aux politiques sociales, de favoriser les grands investissements et de continuer l’exploitation de l’Amazonie, au mépris des politiques environnementales impulsées les années précédentes. Il privilégie la torture par les forces de police comme moyen d’obtenir des informations et entend faciliter le port d’arme pour les Brésilien.ne.s. Il a aussi menacé d’exiler ses opposants politiques ou de les mettre en prison.

Des travailleur.se.s de plus en plus précarisé.e.s
L’UGT craint également une précarisation croissante des conditions de vie des travailleur.se.s. Ceux-ci ont déjà subi tous azimuts, ces derniers mois, des attaques de la part de l’actuel président, Michel Temer. Différentes dispositions législatives ont été approuvées, avec des conséquences catastrophiques pour l’ensemble de la population. La loi sur le «travail intermittent», par exemple, permet de flexibiliser les conditions de travail, en instituant le travail à l’heure avec un salaire plafonnant à 10 % du niveau minimum. Désormais, toute fonction peut être assurée par une sous-traitance bon marché, rappelant des conditions proches de l’esclavage. Les femmes sont également fortement touchées par les mesures récentes.  Ainsi, une loi permet de faire travailler les femmes enceintes dans des conditions insalubres, au nom de la sacro-sainte croissance économique et de la création d’emploi, et cela au mépris de leur santé. Bolsonaro a promis de continuer à aller dans ce sens en accentuant la flexibilisation.
«On ressert les vieilles recettes néo-libérales pour lutter contre la crise. On croit que cela va tout régler, mais on oublie la dignité des travailleurs, alors que c’est l’essentiel», tempête Ricardo Patah. Les quatre prochaines années seront placées sous le signe de la résistance. Les différents syndicats vont devoir s’unir, au-delà des clivages, afin de sauver les acquis sociaux qu’il reste. «Nous avons déjà commencé à nous organiser afin d’offrir une opposition féroce à ce gouvernement. Face à ce front réactionnaire, nous avons besoin de tous les démocrates pour lutter.»
Les syndicats devront malheureusement compter sur des moyens financiers limités. Leurs ressources ont en effet été rabotées par le gouvernement Temer, poussant ces mouvements sociaux au bord du gouffre et les obligeant à licencier leur personnel à tour de bras. S’attaquer aux syndicats s’inscrit dans une stratégie bien réfléchie qui vise à briser la contestation sociale. Il s’agissait avant tout de s’assurer que ces moyens ne soient pas alloués au soutien de la campagne présidentielle du PT. Les syndicats, exsangues, vont devoir composer avec cette cure d’austérité qui va perdurer.
«Mais le succès de la lutte passera aussi par la solidarité internationale. Des partenaires comme la CSC en Belgique sont de véritables alliés pour nous. Outre les moyens financiers, ils nous apportent un soutien politique indispensable. Ce qui arrive chez nous est aussi en train de se passer ailleurs dans le monde. Nous, les travailleurs, nous devons nous unir à travers le globe pour affronter les politiques réactionnaires qui plongent les populations dans un avenir social des plus sombres», conclut le syndicaliste.
Avec un taux de syndicalisation atteignant les 20 %, la base militante est bien présente au Brésil et risque de mener la vie dure au nouveau président. Néanmoins, une alliance avec l’ensemble de forces vives sociales (mouvements de femmes, indigènes, environnementalistes, LGBTI, etc.), également dans le viseur de Bolsonaro, s’avère indispensable, si l’on veut contenir les dérives autoritaires du nouveau régime et à terme, favoriser l’émergence d’un gouvernement progressiste.

En Amérique latine, la gauche de plus en plus évincée du pouvoir
Au-delà du Brésil, c’est l’ensemble du continent latino-américain qui change de couleur. Après le virage à gauche des années 2000, la région tourne à droite depuis quelques années. En Argentine, Colombie et Chili, les gouvernements conservateurs ont pris les commandes. Avec le Brésil désormais à leur côté, un axe de droite dure se dessine.  Ces régimes vont-ils accepter le jeu démocratique ou seront-ils tentés par un retour à l’autoritarisme? Cette droite décomplexée par l’arrivée de Donald Trump au pouvoir aux États-Unis se sent pousser des ailes et profite du désenchantement des classes moyennes envers le pouvoir politique. Ces populations, tantôt déçues par l’échec des gouvernements progressistes à vaincre la crise économique, tantôt effrayées par les privilèges qu’elles risquent de perdre, ont trouvé un nouveau terrain d’expression en votant pour des candidats autoritaires et charismatiques présentés comme des sauveurs.

Pour aller plus loin : «L’Amérique latine à la croisée des chemins», La Revue Nouvelle, numéro 5, 2018 (par François Reman et Xavier Dupret).

 

 

 

 

[1] L’UGT est soutenue par la CSC (Confédération des Syndicats Chrétiens)

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