Révolution soudanaise - avril 2019 - Creative Commons

Mouvements n°13: Afriques en luttes

Il n’est pas si loin le temps où les puissances européennes s’appropriaient le continent africain en le tailladant de frontières rectilignes pour se partager le pillage des ressources naturelles et l’exploitation des populations. Aujourd’hui, rien de moins qu’une funeste mer sépare les deux continents dans un rapport de domination néocolonial aux dégâts persistants. Mais les stratégies de résistance et les soulèvements populaires restent vigoureux dans plusieurs pays, maintenant vivant l’espoir d’un avenir enfin débarrassé de toute forme d’injustice et de domination. A lire dans le nouveau numéro de Mouvements, la revue trimestrielle du MOC Bruxelles.

Par Céline Caudron, secrétaire fédérale du MOC Bruxelles

Les luttes d’indépendance n’ont pas toutes ni entièrement abouti. Il reste en Afrique des territoires occupés, comme le Sahara occidental où le Maroc garde une mainmise féroce avec le soutien de la France et de l’Espagne et dans l’indifférence de la communauté internationale. Partout, les relations internationales empestent le néocolonialisme. Sous des formes variables, les puissances impérialistes et les multinationales poursuivent en Afrique leur propres intérêts économiques et géostratégiques, avec la complicité des élites locales qui y trouvent évidemment leur compte, et sans se gêner d’appuyer, parfois même ouvertement, des régimes autoritaires et sanguinaires. En même temps, l’Europe forteresse renforce ses frontières et les déplace même jusque sur le continent africain, dans l’illusion de contrôler et endiguer les flux migratoires mais avec pour effet concret le sacrifice de milliers d’hommes, femmes et enfants qui tentent la traversée pour fuir la misère, la guerre et la destruction de leur environnement.  

La France en particulier continue à considérer les pays d’Afrique de l’ouest et centrale comme un terrain de jeu, pour s’y servir de pétrole, de gaz ou d’uranium, vendre des armes, contrôler la monnaie ou intervenir militairement dans une « guerre contre le terrorisme » qui vise surtout à s’assurer des gouvernements à sa botte et des parts de marché, ainsi qu’à légitimer sa propre politique intérieure sécuritaire, au grand bonheur d’une extrême droite qui ne cesse de se renforcer. Mais l’opposition à l’impérialisme français sur le continent africain se renforce. Au Mali, au Niger, au Burkina ou en Centrafrique, les populations rejettent massivement la présence de l’armée française, bien conscientes que les véritables objectifs de l’Hexagone n’ont rien d’humanitaire. La France, pas encore totalement évincée, n’est désormais plus hégémonique. D’autres puissances comme la Chine, la Turquie ou la Russie sont à l’affût pour tirer profit du chaos.

Bien sûr, la Belgique n’est pas en reste. Si ce petit pays n’a plus le contrôle de l’immense Congo, du Rwanda et du Burundi comme autrefois, il continue d’étouffer ses anciennes colonies, notamment en fuyant ses responsabilités sur la constitution d’une dette illégitime et odieuse, alors même que la dette initiale a été largement remboursée. Des excuses qui paraissent impossibles à exprimer, et encore moins les « regrets » récemment concédés, ne peuvent pas remplacer les devoirs de rétrocession des richesses pillées pendant des décennies et de réparation pour les crimes et terribles dommages causés à la population. Les mouvements sociaux en RDC réclament la justice sociale et la liberté, tant face à leurs dirigeants qu’à leurs multiples « partenaires » internationaux (Belgique, USA, Chine, etc.) et aux multinationales qui continuent à piller le sous-sol congolais, les travailleur.se.s et menacent la forêt tropicale. Non sans lien avec tout ça, dans l’Est congolais, les groupes armés continuent à semer la terreur avec la complicité du régime rwandais.

En plus des guerres, des instabilités et corruptions politiques, 60 % des pays africains sont étranglés financièrement par le remboursement de la dette pour lequel ils dépensent davantage que pour les soins de santé. Désormais, le continent comporte des puissances considérées comme « émergentes », avec notamment l’Afrique du Sud qui a rejoint les BRICS en 2011 ou l’Egypte et l’Ethiopie qui y sont invitées pour 2024. Mais ces Etats, qui rencontrent des divergences importantes sur la guerre, l’environnement ou l’argent, ne proposent en rien une politique alternative au capitalisme et à l’impérialisme pratiqués par les Etats du G20. Au contraire.

L’alternative réelle est pourtant bien là : elle se trouve du côté des forces sociales et syndicales de la société civile, qui subissent souvent la répression de gouvernements autoritaires en plus des conséquences du néocolonialisme. La créativité, le courage et la ténacité de la jeunesse et des femmes en particulier permettent d’organiser de remarquables résistances, armées ou non. Celles-ci peuvent prendre la forme d’un réseau associatif et informel qui s’adapte aux pires situations de guerre pour apporter une aide concrète à la population, comme au Burkina ; d’une riche vie culturelle et associative, appuyée sur l’auto-organisation politique et administrative, comme le font les réfugié.e.s du Sahara occidental ; d’une action syndicale dans la fonction publique, l’enseignement et dans le secteur informel où de nombreux.euses jeunes cherchent à gagner leur vie, comme en Guinée ; ou encore de révoltes populaires massives dirigées à la fois contre les élites corrompues et contre les pays impérialistes et les régimes autoritaires voisins qui soutiennent ces dernières, comme au Soudan où le mouvement révolutionnaire a organisé plus de 5.000 comités de résistance clandestins qui ont mené à la chute du président en 2021 et à l’adoption d’une « charte révolutionnaire » prônant une gouvernance du pays basée sur la justice sociale et le « pouvoir par en bas ».

De véritables politique sociales et environnementales ne peuvent advenir qu’à travers un rapport de force, construit depuis les pays africains et de concert avec les peuples des pays (néo)coloniaux. Depuis l’Europe et la Belgique, il est possible et nécessaire de (re)construire un mouvement de solidarité internationaliste avec les peuples opprimés du monde entier, qui souffrent des effets des politiques (néo)colonialistes des Etats occidentaux et de la politique meurtrière de l’Europe forteresse. Il s’agit de sortir de l’indifférence envers la situation socio-politico-économique des pays africains, de soutenir les peuples en résistance, d’exiger des comptes de la part de nos gouvernements pour que ces derniers mettent fin au financement des régimes autoritaires, au pillage des ressources, au contrôle des frontières, aux dettes illégitimes, reconnaissent les méfaits de leur passé colonial pour rétablir la vérité historique et assumer les réparations qui s’imposent ainsi qu’honorer leurs obligations internationale en accueillant dignement les réfugié.e.s.

Partager cette publication

Articles similaires

Reprendre nos affaires en main!

À l’approche des élections, voici venue l’heure des bilans de l’action des majorités sortantes. De manière générale, ces bilans s’avèrent plutôt décevants pour celles et ceux qui ont cru aux promesses des partis dits « de gauche » qui, finalement, se sont contentés de gérer un système mortifère. Aucun gouvernement n’a opéré de réelle rupture avec les mécanismes d’oppression et d’exploitation, et cela même à Bruxelles où la coalition rouge-verte ne comptait pourtant que deux ministres étiquetés à droite (Open VLD et Defi).
Bien sûr, « ça aurait pu être pire », ça le peut toujours. La menace de la droite et de l’extrême droite est bien réelle, pas seulement en perspective de résultats électoraux mais aussi étant donné la façon dont les options sécuritaires, antisociales et discriminantes s’installent de plus en plus facilement au sein des partis dits démocratiques. Heureusement que, malgré ce contexte morose, des résistances se sont organisées pour freiner cette course vers le mur. (…) Elles ont démontré que, ensemble, nous ne sommes pas prêt.e.s à nous laisser faire en abandonnant si facilement nos droits légitimes, fort.e.s de notre solidarité et de notre créativité collective.
Dans le nouveau numéro de Mouvements, nous avons choisi de revenir sur certains enjeux qui nous paraissent essentiels pour les Bruxellois.es en perspective des élections du 9 juin.

Voir l'évènement >>