STIB 4

Les agents de la STIB en première ligne dans la bataille pour le droit de retrait

Par Gilles Maufroy
CIEP-MOC Bruxelles

Laurent Vogel l’évoque dans son article d’ouverture de ce deuxième numéro de Mouvements : les travailleur.se.s de la STIB ont fait parler d’eux au mois de mai, en mettant sur la table la revendication du droit de retrait, qui concerne en réalité l’enjeu fondamental de défendre la santé et la vie, y compris dans des secteurs « essentiels », face à la fois à l’autoritarisme patronal et face à la nécessité de générer des profits pour l’économie capitaliste dans son ensemble. Nous nous sommes entretenus avec Oliver Rittweger De Moor, délégué CSC Services publics à la STIB, qui nous parle de leur combat pour cette nouvelle conquête sociale, qui constituerait une avancée importante en ces temps de pandémie.

Oliver, peux-tu nous dire comment les travailleurs de la STIB ont vécu l’arrivée de la pandémie sur leur lieu de travail ? Comment avez-vous réagi syndicalement ?

Les travailleur.se.s de la STIB étaient, comme tout le monde, très inquiets pour leur santé et celle de leur famille. Si la STIB au début a pris la pandémie à la légère, les représentant.e.s des travailleurs CSC ont arraché des mesures de prévention au CPPT (comité pour la prévention et la protection au travail), pour limiter les risques de contamination des travailleurs. Parmi ces mesures, il y avait notamment et principalement : des quotas de voyageurs maximum dans les véhicules, la suppression de la vente à bord et de la montée à l’avant, l’installation d’une chaîne pour maintenir une distanciation physique, la suppression des remplacements sur ligne et des services coupés, l’instauration de services dépôt-dépôt et enfin la désinfection et le nettoyage quotidien des véhicules avant chaque sortie sur le réseau. Toutes ces mesures de prévention ont permis aux agents de la STIB de traverser courageusement la première vague, et d’assurer notre mission essentielle de transport public.

Peux-tu nous rappeler le contexte dans lequel l’action collective spontanée des travailleur.se.s de la STIB a démarré en mai ?  Quelles étaient vos revendications principales ?

La revendication était précisément de maintenir plus longtemps toutes ces mesures de prévention. Quand la STIB a décidé de supprimer, à partir du 11 mai et sans passer par le CPPT,  les quotas de voyageurs maximum dans les véhicules, de remettre des remplacements sur ligne qui surexposaient les agents de conduite aux risques de contamination avec jusqu’à quatre postes de conduite différents sur le même service, dans des bus qui n’allaient plus être désinfectés, les agents se sont estimés, à juste titre, confrontés à un danger grave de contamination. Ils demandaient également l’installation d’une bâche hermétique comme aux TEC et chez De Lijn. Les agents de la STIB ne voulaient pas non plus mettre en danger les voyageurs de la STIB, dans des véhicules pleins à craquer et plus suffisamment désinfectés, pour ne pas contribuer à une seconde vague… Les milliers de morts supplémentaires leur ont malheureusement donné raison.

Comment ont réagi l’employeur et les pouvoirs publics au moment des actions ?

Plus de 1000 agents de conduite de la STIB ont exercé leur droit de retrait pour demander d’être mieux protégé.e.s, et pendant 6 jours, ils et elles ont été abandonnés, ignorés tant par la direction de la STIB que par le gouvernement bruxellois… Alors qu’ils étaient prêts à reprendre le travail le jour même ! D’ailleurs, la reprise du travail a eu lieu à l’annonce par le front commun syndical de l’organisation d’un CPPT d’urgence pour rediscuter de certaines mesures de prévention supplémentaires. Ces engagements n’ont finalement pas été tenus. Au moins 400 (!) agents de la STIB ont été contaminés, au moins un en est mort et d’autres sont toujours entre la vie et la mort aux soins intensifs.

À l’extérieur, y a-t-il eu des mouvements de solidarité ?

Oui, c’est formidable, nous avons reçu la solidarité de nombreux travailleur.se.s des transports publics en France et, depuis l’annonce de la procédure au tribunal du travail, du soutien du monde entier à travers un réseau syndical international ! De très nombreux syndicalistes de toute la Belgique nous soutiennent également, tout comme le MOC et les Jeunes CSC, bien conscients de l’importance d’obtenir une jurisprudence en faveur du droit de retrait en Belgique. Je tiens aussi à remercier Laurent Vogel, juriste et spécialiste en sécurité et santé au travail à l’Institut syndical européen ( ETUI ), pour son soutien.

Pourquoi avoir choisi l’option du tribunal du travail ? Quels sont les enjeux pour la STIB et pour le monde du travail dans son ensemble ? 

Non seulement la STIB n’a pas entendu ni mieux protégé les agents ayant exercé leur droit de retrait, en commettant des infractions sanctionnées par l’Inspection de contrôle du bien-être, mais les travailleur.se.s ont en plus été considéré.e.s en « absences injustifiées » et les jours de droit de retrait ont été déduits de leurs salaires. Aucune conciliation n’ayant été possible, le tribunal du travail est la seule option à la fois pour annuler les absences injustifiées, récupérer la rémunération déduite, obtenir plus de respect pour les travailleur.se.s, la santé et la sécurité au travail, le respect de la législation et du code du bien-être, ainsi que pour obtenir la reconnaissance de la légitimité de notre droit de retrait et une jurisprudence qui profitera à tou.te.s les travailleur.se.s et secteurs en Belgique.

Quels sont les besoins de solidarité et les moyens de soutenir l’action de ce collectif de agents STIB ?

Des centaines de chauffeurs et conductrices ont besoin de soutien financier pour remporter cette procédure juridique cruciale pour le monde du travail. Une procédure qui risque d’être longue et coûteuse. Nous avons choisi l’avocate spécialisée en droit du travail Maître Sophie Remouchamps. La STIB a désigné un puissant cabinet d’avocats, aux frais des contribuables bruxellois. Concrètement, il est possible de nous soutenir en aidant financièrement notre Collectif des Agents, en versant un montant, même modeste, sur le compte N° BE71 0837 4799 3069, avec la communication libre « Droit de retrait STIB ». Visitez notre page facebook et partagez-la autour de vous : https://www.facebook.com/Collectif-pour-le-respect-du-droit-de-retrait-110064994220661 . Nous avons aussi une  adresse mail : soutien.droit.retrait@gmail.com.

Que penses-tu du débat sur le travail essentiel? Les chauffeurs de la STIB sont-ils des « héro.ine.s » ? Comment vois-tu l’avenir proche des luttes sociales dans cette épidémie qui n’a pas encore fini d’influencer nos vies?

Les secteurs essentiels, les services publics ont démontré pendant le confinement à quel point on ne pouvait s’en passer, contrairement aux grands actionnaires. Oui, à mes yeux, mes collègues de la STIB font partie des « héros » de cette crise sanitaire, et ils méritent eux aussi beaucoup plus de considération et de reconnaissance. Cela passera par une meilleure protection au travail, mais aussi une revalorisation salariale. Et cela sera impossible sans une plus grande justice fiscale en Belgique. Ce sont nos trois priorités, durant cette crise sanitaire et quand on en sera sorti.

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