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L’action syndicale comme mobilisation féministe

Par Tina De Greef (permanente ACV Pulse)
Traduction Chou de Bruxelles.

La Million Women’s March contre la politique de Trump. Les grèves des femmes islandaises pour l’égalité salariale. Les mobilisations historiques du 8 mars 2018, notamment en Espagne. La vague #MeToo contre le sexisme, le harcèlement et les violences sexuelles dans la vie quotidienne. Le mouvement Ni Una Di Menos pour dénoncer les féminicides. Etc.

Ces dernières années de par le monde des mouvements ont émergé pour défendre les droits des femmes. Cette nouvelle dynamique s’accompagne d’une quête de méthodes et de programmes. La lutte contre le sexisme doit être liée à la lutte contre les politiques d’austérité et, plus largement, à la lutte syndicale.

Le post-féminisme

Nous sortons d’une longue période de post-féminisme. Ces revendications féministes étaient surtout tournées vers des quotas pour les parlements et les conseils d’administrations. En d’autres mots, sans remettre en cause l’importance des femmes dans la sphère publique et politique dans un sens large, il s’agissait avant tout de femmes politiques qui défendaient leur droit aux mêmes privilèges que les hommes dans leur environnement social. Cette approche a généré peu de mouvements, car cela tournait autour de plans de carrières personnels.

Cette approche part d’une vision purement formelle de l’égalité : l’idée que l’égalité a déjà été gagnée et que la lutte contre le sexisme doit maintenant se baser sur la responsabilité individuelle et les comportements. Elle pointe un enseignement défaillant et des mauvais « choix de vie » des femmes (temps partiels, mauvaise orientation professionnelle, mauvais timing pour avoir des enfants, …) comme cause du sexisme et non du capitalisme.

La responsabilité écrasante des entreprises et des politiques d’austérité, et le lien entre discrimination, oppression et fonctionnement du capitalisme sont complètement ignorés. Jamais le lien n’est fait avec la lutte d’autres groupes opprimés, ni avec la lutte des travailleur.euse.s contre la politique néolibérale et son impact sur les conditions de vie et de travail des femmes.

Ce type de “féministes” posent souvent les intérêts des femmes en opposition à ceux des hommes, au lieu de les opposer aux intérêts des actionnaires des grandes entreprises. L’égalité de genre a même servi de justification au démantèlement des droits sociaux des hommes, au lieu d’améliorer ceux des femmes. Le résultat est que le féminisme s’est retrouvé avec une image de plus en plus négative au sein du mouvement ouvrier.

La lutte collective de retour à l’agenda.

Récemment on a vu du changement. Le post-féminisme n’a pas complètement disparu, mais le consensus sur celui-ci s’est rompu. Partout dans le monde des jeunes femmes et des filles sont confrontées brutalement à la réalité du monde du travail, de l’espace public et de la famille. Elles revendiquent avec détermination l’égalité véritable et une politique qui mette réellement fin au sexisme et à la discrimination.

On assiste au retour de l’action collective. Des millions de jeunes et de travailleur.euse.s passent à l’action contre le sexisme. Les mobilisations massives en Inde contre la culture du viol, aux États-Unis contre la politique de Trump (2017), en Pologne et en Irlande pour le droit à l’avortement (2016-2018), ou en Espagne le 8 mars 2018, démontrent la nécessité d’une réponse collective à un problème collectif, de s’organiser pour sécuriser ce qui a été gagné dans le passé et pour mettre fin à la discrimination, l’oppression et l’exploitation.

Il ne s’agit plus des intérêts d’un petit groupe de femmes mieux nanties, mais d’un programme qui répond aux problèmes de la majorité. Ainsi, dans le cadre du débat sur la difficulté de combiner travail et famille, Femma (l’équivalent néerlandophone de Vie féminine, n.d.l.r.) a proposé la réduction collective du temps de travail (30 h/semaine) comme une réponse à la double journée de travail des femmes et à leur surreprésentation dans les emplois à temps partiel. Cette revendication mérite tout notre soutien, parce qu’elle apporte une réponse collective au problème – et on peut y rajouter que des embauches compensatoires et le maintien des salaires seront nécessaires.

Les droits sont de retour.

Sans surprise, les droits des femmes sont de retour à l’agenda. Beaucoup d’acquis – y compris pour les femmes – ont été conquis dans les années 60 grâce à la lutte de massive des travailleur.euse.s. Mais depuis les années 80, ces acquis sont attaqués par les politiques d’austérité. Depuis la crise de 2008, le rythme s’est accéléré.

En Belgique il y a eu plusieurs acquis juridiques : l’assouplissement de la loi sur le divorce, la décriminalisation de l’avortement et la reconnaissance du viol dans le couple. Par contre, sur le marché du travail, les conditions se sont détériorées. Le travail à temps partiel et hyper flexible qui touche surtout les femmes augmente continuellement, ainsi que les attaques sur les allocations sociales. Face au chômage structurel, nombreux sont ceux/celles – les femmes en particulier – qui doivent accepter des emplois précaires.

La politique néolibérale transfère une partie toujours plus importante de la richesse produite dans les poches des 1%, alors que les 99% doivent se serrer la ceinture. Mais l’égalité et l’émancipation ne peuvent survenir d’un désert social. Sans une lutte collective de masse pour exiger des conditions de vie et de travail décentes pour tou.te.s, nous courons le risque de nous battre entre nous pour des miettes. Le sexisme, le racisme, la LGBTQI+-phobie, etc., sont utilisés pour diviser la résistance des travailleur.euse.s, en créant des bouc-émissaires pour la misère et les problèmes dans la société.

Peut-on encore obtenir des victoires ?

Nous ne pouvons gagner qu’en luttant. Le renouveau de la lutte et le recul du post-féminisme amènent de nouvelles discussions dans les différents courants du féminisme : quels sont les causes de l’oppression des femmes ? Qui est responsable ? De quelles méthodes et de quel programme avons-nous besoin ? Ce ne sont plus les hommes qui sont systématiquement montrés du doigt comme les responsables du sexisme, mais de plus en plus les entreprises et la société dans son ensemble. Nos allié.e.s sont ceux qui luttent contre les politiques d’austérité qui sapent les conditions de vie et de travail de la majorité des femmes. C’est en développant l’unité des travailleur.euse.s – hommes et femmes, jeunes et vieux, avec et sans travail, d’origine Belge ou avec une histoire de migrations, LGBTQI+ ou pas, etc. – que nous pouvons engranger des victoires. Il n’y a qu’ensemble que nous pouvons combattre la discrimination et l’oppression qui empêchent notre émancipation.

Le 8 mars c’est la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes. Tu veux mener des actions le 8 et le 9 mars ? Contacte ton permanent !

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