grève des femmes

Vie féminine et la grève des femmes

Par Louise Metrich, responsable de Vie Féminine Bruxelles
Et Aurore Kesch, présidente de Vie Féminine

Cette année encore, Vie Féminine invitait massivement les femmes à « s’arrêter avec nous » pour dénoncer, réfléchir, prendre conscience de l’organisation injuste, inéquitable et discriminante de notre société. Une société qui répond à ses besoins collectifs sur le dos des femmes, en les exploitant et les pénalisant. S’inscrivant dans un mouvement global de « grève féministe », Vie Féminine, avec d’autres, entendait rendre visible, pour les combattre, les inégalités encore fortement à l’œuvre au niveau de la sphère privée, de l’emploi, ou encore de la vie sociale.

Grève des femmes…

Nombreuses sont les grèves des femmes dans l’Histoire, que l’on redécouvre au fil du temps, ayant été invisibilisées par une écriture masculine de l’histoire des mouvements sociaux. Nombreuses, mais aussi variées, dépassant très largement la sphère classique et dominante de la grève du travail salarié pour faire la grève du sexe ou encore la grève des impôts.[1]

L’un des exemples les plus emblématiques dans l’histoire des mouvements de femmes, et peut-être l’un des premiers évènements que l’on pourrait qualifier de grève féministe, fut certainement la grève des femmes du 24 octobre 1975 en Islande.[2] Cette action se démarque de par sa dimension totale, c’est-à-dire touchant à différents pans de la vie des femmes : grève du travail salarié, mais aussi et surtout grève du travail domestique au foyer, grève du soin aux autres (notamment aux enfants), grève des travaux des champs. 90% des femmes islandaises se sont arrêtées ce jour-là, toute la journée, jusqu’à minuit. Tandis que les écoles fermaient, les pères devaient finalement prendre leur responsabilité en emmenant leur(s) enfant(s) sur leur lieu de travail ou en s’occupant d’elleux à la maison. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’ils appelèrent ce jour « le long vendredi »…

…ou jour de congé ?

Pourtant, ce n’est pas sous la bannière de la grève que le mouvement a réussi à mobiliser aussi largement, touchant les différentes classes sociales de la population. « Grève » est en effet un mot très connoté qui peut effrayer, sembler trop fort, trop violent, peut-être trop étriqué aussi ? C’est finalement un autre concept, bien moins radical et bien moins politique en apparence, qui a facilité le ralliement de différentes mouvances de femmes en Islande : le jour de congé. Poser un jour de congé, c’est en effet moins confrontant et donc moins risqué. Pourtant, prendre un jour, un vrai, pas celui où l’on en profite pour faire toutes les tâches (ménagères, administratives, de soin, etc.) que l’on n’a jamais le temps de faire, est très loin d’être une évidence pour les femmes qui cumulent une double voire triple journée. Cela est d’autant plus vrai aujourd’hui, dans notre société néolibérale au rythme effréné, où il faut produire, consommer, soigner, toujours plus et toujours plus vite. S’arrêter quelques heures, souffler un instant, dire stop, relève pour ainsi dire du luxe pour beaucoup de femmes, dont les journées et les nuits, le corps et l’esprit, sont remplis des multiples charges que la société leur fait porter, seules. Quand une femme cheffe de famille monoparentale, quand une femme mère d’enfant en situation de handicap, quand une femme sans papiers, quand une femme victime de violences, peut-elle s’offrir ce temps de liberté si précieux pour se reposer, se ressourcer, s’abandonner à ses propres rêves ? Dans un tel contexte, prendre du temps pour soi, s’octroyer un jour de congé, ne devient-il pas un geste politique tout aussi fort que celui de faire grève ?

Grève féministe !

On connaît toutes aujourd’hui le slogan-phare « Quand les femmes s’arrêtent, le monde s’arrête ». Or, durant ces deux dernières années de pandémie et de crise sanitaire et sociale, il n’a jamais été aussi évident que lorsque le monde est à l’arrêt, les femmes, elles continuent. Elles continuent de faire les courses, elles continuent de nettoyer, elles continuent de s’occuper des enfants, des aîné-es et de la société. En bref, elles continuent de travailler. Mais elles continuent aussi de produire. Des masques. Massivement, et gratuitement.

La grève féministe prend en compte toutes ces dimensions : grève du travail rémunéré, grève du travail domestique, grève du soin aux autres, grève de la consommation. En mettant ainsi la société à l’arrêt, un espace est créé par les femmes pour se faire entendre par-delà l’habituel brouhaha de l’économie capitaliste. C’est aussi cela que permet la grève féministe : se rencontrer entre femmes, partager et écouter nos vécus, construire nos revendications, s’organiser collectivement et solidairement, se renforcer, lutter ensemble contre toute forme de discrimination et d’oppression.

La grève féministe, c’est montrer que nous voulons un autre modèle de société, à partir d’une conscientisation des inégalités liées aux rôles et tâches assignées aux femmes et aux hommes dans ce monde-ci. En rendant visible ce qui ne se ferait pas sans les femmes, on se met à exiger du changement par rapport au poids qui pèse sur chacune d’entre elles. Que ce soit dans la sphère privée ou dans la sphère professionnelle, les femmes se chargent souvent, et de manière additionnelle, des tâches qui tournent autour de l’organisation du « ménage », de l’éducation des enfants, du soin aux proches et aux autres. Nous voulons pouvoir affirmer avec toutes les femmes qui le souhaitent, que ces tâches restent encore dévalorisées, minimisées et invisibilisées, alors qu’elles pallient le manque d’infrastructures et de propositions publiques, et qu’elles permettent à toute une société de fonctionner. Et ce, dans un contexte où l’écart se creuse toujours plus entre les plus nantis et les plus précaires de la planète : la « women’s global strike » qui regroupe un ensemble d’organisations féministes et alliées et qui veulent, comme nous, plus de droits pour les femmes, déclarait en septembre dernier 2020, qu’il est urgent de se faire entendre car « l’inégalité a augmenté alors que la richesse s’est accrue. Parce que cette richesse a été en grande partie créée par des femmes qui ne peuvent pas en bénéficier. Nous vivons dans un ordre économique qui exploite les femmes et profite du travail de soins gratuits ou peu rémunérés que nous effectuons, des bas salaires et des conditions de travail assouplies… »

L’éducation permanente, dans tout ça ?

Affirmer et dénoncer, oui, mais comment ? L’éducation permanente féministe nous amène au plus près des femmes, dans leur ancrage, dans leurs réalités, dans leur vécu. Avec elles, ensemble, il s’agit de décoder, comprendre, dénoncer les inégalités sociales, le racisme, le sexisme, le validisme, et toutes ces discriminations et oppressions qui se cumulent et s’accumulent, se démultiplient et se renforcent, pour venir écraser les femmes. Mais il s’agit aussi, en partageant les expériences, les savoirs, les stratégies et les ressources, de construire des revendications et de faire valoir nos droits, dans une perspective d’émancipation individuelle et collective et d’une transformation sociale radicale.

L’Education permanente féministe, c’est permettre aux femmes de s’octroyer ce jour d’arrêt, que ce soit sous forme d’une grève ou d’un congé. Mais c’est aussi permettre aux femmes d’aller un pas plus loin. Offrir un espace-temps où, hors de la routine, de l’oppression, et des discriminations quotidiennes, nous pouvons nous rencontrer pour échanger, partager, créer, s’organiser, revendiquer. Lutter.

[1] Quelques exemples depuis l’Antiquité : https://www.axellemag.be/greves-de-femmes/

[2] L’histoire passionnante de cette grève : https://www.bbc.com/news/magazine-34602822

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