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Nous sommes essentielles ! Pourquoi les travailleuses luttent pour augmenter leur salaire ?

Par Alicia Schmit
permanente syndicale
Femmes CSC Bruxelles

Hayat, Agnieszka, Cathy, Flor et Marie. Toutes ces femmes travaillent dans des secteurs essentiels au bon fonctionnement de la société, comme travailleuses du nettoyage, de la grande distribution, aide-ménagères avec et sans papiers ou puéricultrice. Pourtant, leur salaire sont très bas et peu représentatifs de leur charge de travail. J’ai eu le plaisir de les rencontrer ces derniers mois dans la rue lors d’actions syndicales et elles m’ont expliqué leurs motivations. Des femmes fortes et impressionnantes qui luttent pour défendre les conditions de travail et de salaire de leurs collègues et d’elles-mêmes. Tour d’horizon.

Aujourd’hui en Belgique, les femmes gagnent en moyenne annuellement 23,7% de salaire en moins que les hommes. Pour les ouvrières, l’écart est encore plus grand et monte à 42% ! Ce qui fait que les femmes sont plus souvent des travailleuses pauvres. Plusieurs facteurs influencent cet écart, notamment le fait que les femmes travaillent majoritairement dans des secteurs où les salaires sont très bas, mais aussi parce qu’elles subissent souvent des emplois à temps partiel.

Cathy, Marie et Flor

Cathy travaille dans les titres-services. Elle m’a expliqué que le salaire minimum dans le secteur c’est moins de 12€ bruts par heure. Vu le très bas salaire, la situation était encore pire avec 30% de revenus en moins lors du chômage temporaire COVID. Du jour au lendemain, elle n’avait plus que 900€ par mois. « Pour beaucoup de mes collègues, la situation était encore pire car elles bossent à temps partiel parce que leur corps ne tient plus. » En effet, le nettoyage, s’il permet de prendre soin des foyers des autres, c’est un métier pénible. Cathy ne compte plus ses collègues qui sont passé à mi-temps médical à cause de problèmes de dos, d’épaules, de poignets, etc. dus aux mouvements répétitifs.

C’est aussi le cas pour Marie, qui travaille comme puéricultrice. Quand elle a commencé, son salaire était de moins de 14€/heure. Ici il n’y a pas de discrimination de salaire pour les femmes. Pour un même boulot, femmes et hommes gagnent le même salaire. Mais comme pour les titres services, c’est un secteur qui est occupé à plus de 90% par des femmes. C’est le salaire de tout le monde qu’il faut augmenter. Si on reconnaît facilement que le dos et les épaules d’un éboueur sont mis à rude épreuve et que cela nécessite une augmentation de salaire et un aménagement de la charge de travail, ce n’est pas le cas pour les travailleurs et surtout les travailleuses des crèches ou des titres-services. « On se dit que s’occuper des enfants ou faire le ménage, c’est un truc normal pour les femmes. Qu’il ne faut pas de compétence, que ce n’est pas si difficile. Pourtant je mets au défi n’importe quel.le ministre de venir faire notre travail pendant un mois. On verra comment il.elle s’en sort ! » m’explique Marie. « On n’est pas assez nombreuses pour faire notre travail. On est fatiguées. C’est pour ça qu’on se bat pour avoir plus de moyens pour les services non marchands et notamment les crèches. »

Refinancer les services collectifs, c’est nécessaire pour permettre aux personnels de ces secteurs de travailler dans de bonnes conditions, mais c’est aussi nécessaire pour les usagers et usagères. Car quand les services collectifs manquent, par exemple pour prendre soin des enfants ou des personnes âgées, c’est souvent les femmes qui vont diminuer leur temps de travail (et donc leur salaire et leur pension) pour s’occuper de leurs proches.

Celles et ceux qui ont les moyens vont peut-être avoir recours à une travailleuse domestique sans papiers. C’est le cas de Flor qui vit en Belgique depuis plusieurs années. Elle travaille dans plusieurs familles pour faire le ménage ou s’occuper des enfants. Elle fait un boulot nécessaire pour permettre à d’autres de continuer à travailler. Pourtant, elle n’a pas de papiers. « Je dépends complètement de la bonne volonté de mes employeurs. Si je tombe malade je n’ai droit à rien vu que je ne peux pas payer de cotisations sociales à la Sécu. Moi j’ai encore de la chance, mais plusieurs amies, sont payées à 5 ou 7€ de l’heure. » Elle dénonce les violences économiques, mais aussi sexuelles et institutionnelles que subissent les personnes sans-papiers. « Quand on est sans-papiers, on n’a pas de droit. Une amie a subi des violences sexuelles de la part de son patron. Elle n’a pas osé aller à la police par peur d’être envoyée en centre fermé. » Avec la Ligue des Travailleuses Domestiques de la CSC Bruxelles, elles se mobilisent pour pouvoir porter plainte et être protégées contre les employeurs abuseurs, mais aussi pour pouvoir être régularisées. « Si 100.000 travailleurs et travailleuses sans-papiers étaient régularisé.e.s, nous pourrions contribuer à 65 millions d’euros nets par mois pour les caisses de la sécurité sociale. »

Les temps partiels : les luttes de Hayat, travailleuse du nettoyage dans une école et Agnieszka, caissière dans la grande distribution

Un autre facteur expliquant les inégalités de salaire, c’est la question des contrats à temps partiel. 43,5% des femmes travaillent à temps partiel, pour 11% des hommes. Une enquête de 2017 l’a encore démontré[1], dans l’écrasante majorité des cas, ce n’est pas un choix volontaire ! Dans certains secteurs comme les maisons de repos ou le commerce, c’est devenu presque impossible d’avoir un contrat à temps plein. Agnieszka travaille dans la grande distribution. « 82% des caissières sont des femmes et 79% d’entre-nous sont à temps partiel. C’est pratique pour notre employeur. Ça lui permet de jouer sur la flexibilité des horaires, ne pas remplacer les malades et nous pousser à accepter de travailler le dimanche pour avoir un peu plus de salaire à la fin du mois. » En moyenne, le salaire brut comme caissière c’est 1521€. « Le gouvernement nous interdit d’avoir plus de 0,4% d’augmentation maximum de salaire, ça représente 6,1€ bruts par mois. Quand on sait que le groupe Ahold Delhaize a fait des ventes nettes proches de 75 milliards d’euros en 2020, ça me met en colère. » Cette loi de 1996 qui bloque la libre négociation des salaires en imposant une norme maximale pour les deux années à venir, c’est une loi injuste, en faveur des employeurs et au détriment de tous les travailleurs, mais particulièrement des travailleuses.

Hayat est déléguée pour une entreprise de nettoyage. Elle travaille dans une école, mais beaucoup de ses collègues travaillent dans des hôpitaux ou des bureaux. Elle m’explique que les principales difficultés sont la pénibilité non reconnue et les horaires compliqués. « Chez nous on a souvent un shift très tôt le matin et un shift très tard le soir pour venir nettoyer quand les autres travailleurs ne sont pas là. Beaucoup de collègues doivent se lever vers 4h30-5h du matin pour commencer à travailler vers 5h45 ou 6h du matin. Puis elle reviennent en fin de journée et rentrent tard vers 20h30-21h. Quand on a des enfants en bas âge c’est vraiment compliqué. S’il n’y a personne dans la famille pour aider, les collègues n’ont souvent pas d’autre choix que de demander de travailler à temps partiel. Et avec les problèmes de santé qui s’accumulent, c’est impossible de travailler à temps plein jusque 67 ans. »

Ces différentes situations sont représentatives de la réalité de beaucoup de travailleuses coincées dans des secteurs avec des salaires très bas ou des emplois à temps partiel et/ou précaires. Mais toutes ces femmes ont aussi en commun une fierté de leur travail et une envie de se battre pour défendre leurs droits et ceux de leurs collègues. Si la situation n’était pas facile pendant la crise du COVID pour beaucoup de travailleuses de ces secteurs, c’était la première fois qu’on les remerciait et qu’on les valorisait. Sans elles, plus personne n’aurait pu manger, se soigner, etc. Maintenant, cette valorisation doit aussi se traduire dans de meilleurs salaires et de meilleurs conditions de travail. Car les applaudissements, ça ne remplit pas le frigo et ne soigne pas le mal de dos. C’est pourquoi ces militantes se mobilisent que ce soit pour une libre négociation des salaires avec l’AIP, un refinancement des services non-marchands pour augmenter les salaires et le personnel, ou pour des emplois stables et de qualité.

Les travailleuses de chambre de l’hôtel Ibis en France l’ont encore montré récemment. Ce 25 mai, après 22 mois de lutte, dont 8 mois de grève, elles ont gagné une victoire historique, avec notamment des augmentations de 200 à 300€ par mois, une baisse des cadences et la paye des heures supplémentaires. Si la lutte peut être longue et difficile, c’est le chemin pour la dignité. La lutte paye. [1]

 

[1]          (2017), Etude sur l’écart salarial de l’Institut pour l’Egalité entre les Femmes et les Hommes

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