Police4

Mouvements n°5 – Vacciner ou punir

Par Thomas Englert,
Secrétaire fédéral MOC Bruxelles

A l’heure où ce numéro de MouvementS part pour l’imprimeur, tous les regards sont braqués sur Bruxelles. Médias et politiques pointent un doigt accusateur vers les « quartiers bruxellois » où la population des travailleur.euse.s, pauvres, jeunes, et pour une grande part racisé.e.s auraient succombé aux sirènes du complotisme. Ce faisant ils et elles tiendraient en échec la stratégie sanitaire du gouvernement. « A cause d’eux », le pass sanitaire est la « punition » qui pend au nez des bruxellois.e.s et du reste du pays.

On oublie rapidement les échecs des derniers mois. La réponse politique à la pandémie a révélé et exacerbé des failles profondes dans notre société. Rien de neuf mais cette fois c’est évident que ça a coûté des vies : des services publics, la santé en particulier, détruits par des années d’austérité ; un fédéralisme d’austérité inefficace et chaotique ; des gouvernements plus préoccupés par l’économie et les lobbies que par la santé publique ; des maisons de repos indignes,… Les mensonges et erreurs répétées ont non seulement coûté des vies mais ont laissé exactement les populations aujourd’hui visées seul.e.s en première ligne, dans la santé, le nettoyage, les livraisons, la grande distribution, dans des bus bondés, des services sociaux fermés et/ou surchargés, des salles d’attentes pleines à craquer. Les mêmes qui ont dû subir la répression, des amendes et de la suspension des libertés au nom de la pandémie.

Pourtant ce sont aussi celles et ceux-là qui ont organisé la solidarité, celles et ceux qui ont cousu les masques, distribué les colis alimentaires. Ceux et celles qui ont tenu tête aux patrons qui refusaient de mettre en place des mesures dignes de ce nom, qui ont refusé de prendre le volant de bus non désinfectés. Ceux et celles qui aujourd’hui refusent de revenir au monde d’avant, des salaires gelés, du détricotage de la sécurité sociale, des jobs dangereux et épuisants, de la déshumanisation des travailleur.euse.s sans-papiers et de la destruction de notre environnement de vie. Celles et ceux qui servent aujourd’hui de paratonnerre aux échecs prévisibles d’une politique sanitaire pensée par les élites pour elles-mêmes.

Alors : complotisme ? Peut-être. Mais peut-on vraiment le réduire à une consommation sans recul de vidéos sur les réseaux sociaux ? Un problème en plus que l’associatif – qu’on écoute vaguement d’une oreille tirer la sonnette d’alarme depuis 30 ans – devra régler? Ou faudrait-il commencer par reconnaître qu’on a abandonné ces quartiers à eux-mêmes, au mépris de classe et au racisme depuis bien longtemps ? Avec des écoles qui excluent, des emplois précaires et sans avenir, un chômage qui contrôle plus qu’il ne soutient, une politique de soins sans première ligne, sans généralistes, sans moyens pour compenser les logements insalubres, la misère et l’exclusion. Aujourd’hui, le gouvernement semble découvrir tout d’un coup que la santé des nantis dépend aussi de celle des classes populaires et que le capitalisme ne peut tourner sans les travailleur.euse.s ; l’injonction à la santé et à la vaccination passerait par la communication mais surtout par la punition ? Il y a fort à parier que l’on fera progresser plus l’extrême droite que la vaccination.

Le vaccin est un bien commun et une partie incontournable de la solution, il faut le dire et l’expliquer. C’est aussi le rôle des organisations sociales, populaires et de gauche de le faire savoir. Si nous défendons le vaccin, c’est avant tout parce que c’est un élément essentiel de la santé et la protection collective des travailleur.euse.s et des quartiers, pas parce qu’il permettrait le « retour à l’anormal » et la reprise des profits. Ce sont nos proches, nos voisin.e.s, nos collègues, nos camarades, sœurs et frères des milieux populaires qui restent les plus exposé.e.s au virus et risquent le plus de se retrouver aux soins intensifs. Défendre la vaccination doit s’accompagner d’une réelle défense à long terme de la santé de nos quartiers à tous niveaux, c’est-à-dire en faisant face au bilan social et sanitaire que la pandémie nous a jeté au visage : réinvestir massivement la première ligne de santé et les maisons médicales, investir dans l’aération des locaux, l’embauche dans l’enseignement, organiser des réunions publiques dans les quartiers en lien avec les associations locales, lever les brevets sur les vaccins pour protéger l’humanité entière…Et au-delà : mettre fin à la chasse aux chômeurs, aux expulsions de logements, à l’exploitation des sans-papiers, augmenter les salaires et garantir des emplois sûrs et de qualité, abolir enfin le statut de cohabitant et toutes les mesures qui organisent l’exclusion et l’exploitation et détruisent la santé,… Pour sortir de la crise, il faut faire front avec les quartiers et les travailleur.euse.s pour faire de la politique avec les pieds sur le terrain et changer les structures, les systèmes qui excluent et qui tuent. Les pauvres et les travailleur.euse.s sont la solution, pas le problème. C’est là le cœur de l’éducation populaire, du mouvement ouvrier : organiser la solidarité et la lutte. Reprenons ce chemin.

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