art 7 photo 2

Les Travailleuses Communautaires de la Santé (CHW[1]) s’organisent en Afrique du Sud

Siyabonga Mviko
Khanya college Johannesburg, SA

Dans la province de Gauteng (autour de Johannesburg) en Afrique du sud, des auxiliaires de santé, responsables de la jonction entre le système de santé et les communautés s’organisent pour faire reconnaître leur statut de travailleuses et mettre fin à leur exploitation.

En 1994, dans un effort pour combattre l’épidémie de SIDA/VIH, le nouveau gouvernement d’Afrique du Sud installa un régime de Travailleuses Communautaires de la Santé (CHW). C’étaient des personnes – en général sans formation – qui étaient placées dans des ONG et formées. Elles faisaient de l’information et de la prévention, fournissaient des soins à domicile tout en faisant la promotion pour le dépistage volontaire du VIH et le traitement de la tuberculose. En 2004, le nombre de CHW avait atteint 40 000.

Au début des années 2000 l’Afrique du Sud accélère son virage néolibéral. Alors que le système de santé et les conditions de vie et de travail se détériorent rapidement, les dizaines de milliers de travailleuses du soin n’ont ni statut légal, ni reconnaissance du ministère de la santé. Elles recevaient un dédommagement très faible de R1000 (70€) par mois. Comme ces montants étaient d’abord versés aux ONG, parfois elles ne recevaient même pas ce maigre montant.

Face à la détérioration croissante de leurs conditions de travail, les CHW se sont organisées. Leurs tentatives d’affiliation aux syndicats ont souvent été un échec. En effet, les grands syndicats ne les reconnaissaient généralement pas comme des travailleuses. Comme pour l’Etat, les syndicats les considéraient comme des bénévoles, malgré leurs contrats avec le département de la santé (par l’intermédiaire des ONG) jusqu’en 2013. Seuls deux syndicats du secteur public de la santé (National Union of Public Service & Allied Workers (NUPSAW) et National Union of Care Workers of South South Africa (NUCWOSA)) acceptaient de les affilier.

Après plusieurs années, certaines CHW n’étaient pas satisfaites des progrès de leurs revendications. A partir de 2010, certaines ont donc commencé à s’organiser en forums pour pouvoir mieux lutter contre leur exploitation, améliorer leurs conditions de travail, être reconnues par le gouvernement et obtenir un contrat à durée indéterminée. Depuis lors, le forum de la province du Gauteng, le Gauteng Community Health Workers Forum (le Forum) a obtenu une série de victoires.

Le Forum s’est formé en 2014 avec l’aide du Khanya College[2]. En réalité, l’aventure a commencé à partir de 2010, les CHW se réunissaient autour de formations dans les domaines politique, légal et médiatique. Cela leur donna les outils nécessaires pour lancer leur action. Une première mobilisation en 2012 dura 7 mois. Les CHW refusèrent de travailler plus de 3 jours par semaine, se mettant en grève les autres jours. Elles revendiquaient une augmentation de salaire, des meilleures conditions de travail, la reconnaissance de leurs formations par un certificat et leur absorption directement dans le service public de santé. En mai, une marche de 700 CHW fut interceptée par la police et fut menacée d’arrestations parce qu’elles n’avaient pas reçu la confirmation du ministère de la santé qu’elles pourraient être reçues. En septembre 2012, un accord mit fin à la grève. Le ministère augmenta les indemnités des CHW à R2263 (130€).

Suite à cette première victoire, les CHW centrèrent leur action sur la sécurité d’emploi. En effet, le ministère de la santé annonça début 2013 qu’il supprimait certaines ONG comme intermédiaires. Les ONG tentèrent de s’organiser mais les CHW refusèrent de les soutenir. Le ministère de la Santé provincial commença donc à transférer les CHW pour être employées directement. Cependant, les CHW ne furent pas payées pendant trois mois.

Le ministère de la santé de la province expliqua ce retard en disant qu’il devait vérifier le statut de chaque CHW. Au même moment, le Forum se rendit compte que le ministère avait placé une annonce dans un journal local pour des postes de CHW. Il se mobilisa donc pour éviter le licenciement des CHW et lança une pétition. Et elles lancèrent donc une procédure devant la justice du travail pour obliger le département de la santé à les reconnaître comme employées.

En parallèle, les CHW lancèrent une campagne contre SmartPurse, une firme sous contrat pour le paiement des CHW. En effet, SmartPurse refusait de faire signer des contrats et en réalité, faisait travailler les CHW pour des sous-traitants alors qu’on leur avait promis de travailler directement pour le ministère. Plusieurs agences locales de SmartPurse furent occupées.

Fin 2016, alors que la procédure judicaire pataugeait, le Forum organisa des manifestations pour aller présenter un mémorandum de revendications au département provincial de la santé. Le mois suivant le Forum perturba la cérémonie pour la journée mondiale de lutte contre le SIDA/VIH. Les travailleuses considéraient que le département de la santé utilisait la fête pour se mettre en avant alors qu’il maltraitait une composante essentielle de la lutte contre la maladie. À la fin de 2016, le Forum des CHW était représenté dans 80 hôpitaux.

Les CHW ont gagné leurs batailles juridiques contre le ministère de la santé. La justice les a reconnues comme des employées du ministère de la santé. Cependant faire appliquer ce droit et lutter contre l’exploitation reste un défi permanent. Le forum continue d’organiser des formations juridiques, organisationnelles et politiques pour permettre au CHW de faire respecter leurs droits et de lutter contre l’exploitation. Elles ont aussi lancé un département média pour relayer les mobilisations et les nouvelles du secteur de la santé.

En plus de leur lutte contre l‘exploitation, le CHW ont aussi dû livrer une lutte contre le patriarcat. D’après le camarade Mondli Hlatshwayo du Khanya college : « Sous le néolibéralisme, le travail de santé communautaire déplace la charge des soins de l’Etat vers les femmes qui sont déjà soumises au patriarcat. Ce faisant il confine les femmes dans un rôle de pourvoyeuses de soins au service des enfants et des familles ».

[1] Community Health Workers

[2] Une ONG centrée sur les droits des travailleurs : http://khanyacollege.org.za/

Partager cette publication

Articles similaires

Reprendre nos affaires en main!

À l’approche des élections, voici venue l’heure des bilans de l’action des majorités sortantes. De manière générale, ces bilans s’avèrent plutôt décevants pour celles et ceux qui ont cru aux promesses des partis dits « de gauche » qui, finalement, se sont contentés de gérer un système mortifère. Aucun gouvernement n’a opéré de réelle rupture avec les mécanismes d’oppression et d’exploitation, et cela même à Bruxelles où la coalition rouge-verte ne comptait pourtant que deux ministres étiquetés à droite (Open VLD et Defi).
Bien sûr, « ça aurait pu être pire », ça le peut toujours. La menace de la droite et de l’extrême droite est bien réelle, pas seulement en perspective de résultats électoraux mais aussi étant donné la façon dont les options sécuritaires, antisociales et discriminantes s’installent de plus en plus facilement au sein des partis dits démocratiques. Heureusement que, malgré ce contexte morose, des résistances se sont organisées pour freiner cette course vers le mur. (…) Elles ont démontré que, ensemble, nous ne sommes pas prêt.e.s à nous laisser faire en abandonnant si facilement nos droits légitimes, fort.e.s de notre solidarité et de notre créativité collective.
Dans le nouveau numéro de Mouvements, nous avons choisi de revenir sur certains enjeux qui nous paraissent essentiels pour les Bruxellois.es en perspective des élections du 9 juin.

Voir l'évènement >>